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© Kourtney Roy

Aux femmes, citoyens !

Les libé­ra­tions de juin passent, mais ne se res­semblent pas. Aujourd’hui, ce ne sont pas des chars alliés, des troupes d’hommes armés, cas­qués, bot­tés qui défilent à tra­vers le pays au pas caden­cé, mais une marée humaine mas­quée, chan­tante et féminine.

Au début, quand ils ont annon­cé le confi­ne­ment natio­nal pour enrayer une pan­dé­mie mon­diale, j’ai été mise au chô­mage par­tiel et télé­por­tée, d’un coup de baguette tra­gique, des siècles en arrière, trans­for­mée en esclave à domi­cile d’un trio de gamins retors, pri­vés de liberté. 

Pendant que Chéri était confi­né dans la chambre pour cause de télé­tra­vail inva­sif, je déci­dai de prendre en main mon des­tin et d’organiser la résis­tance au marasme ambiant, en inven­tant une péda­go­gie alter­na­tive à base d’écoute de vieux vinyles et d’histoire du punk rock éner­vé, de créa­tion d’une fresque pic­tu­rale sur drap dénon­çant le manque de moyens alloués aux hôpi­taux et de cho­rale de chants révo­lu­tion­naires sur balcon.

Pendant l’apéro, télé allu­mée, je me livrais à un cours d’analyse de l’actualité devant mes trois bou­deurs visi­ble­ment ennuyés et mon com­pa­gnon légè­re­ment émé­ché. Je détri­co­tais les tor­rents d’informations anxio­gènes dis­til­lées par nos chaînes natio­nales, où défi­laient de grands pontes de la san­té, de la poli­tique, de l’économie, tous aus­si « mous­ta­chus » les uns que les autres, qui nous assé­naient des exper­tises contra­dic­toires et des remèdes miracles dans un grand tohu-​bohu de testostérone.

La nuit, à l’extinction des feux, je rejoi­gnais le maquis des petites ondes et la « Lucie Aubrac » bien éveillée en moi bran­chait son oreille sur les réseaux sociaux de la résis­tance. Loin du mans­prea­ding des grands médias, je com­pa­rais les chiffres, les courbes, appre­nais que 78 % du per­son­nel soi­gnant étaient des femmes, qu’une gué­rilla popu­laire, com­po­sée en grande majo­ri­té de cais­sières, infir­mières, aides-​soignantes, aides à domi­cile, cou­tu­rières, mères, main­te­nait la nation la tête hors de l’eau avec leurs petits bras costauds. 

Radio L’ombre racon­tait que, sur le ter­rain, ces ouvrières du care com­bat­taient à mains nues un enne­mi invi­sible qui ter­ras­sait en majo­ri­té… la gent mas­cu­line, com­po­sant les 75 % des patient·es atteints de la forme grave de la maladie. 

Alors, la solu­tion est appa­rue, d’abord comme un bruis­se­ment, puis enfin au grand jour, impa­rable, incon­tes­table. Il fal­lait, pour les pro­té­ger, confi­ner uni­que­ment les per­sonnes les plus fra­giles, c’est-à-dire les hommes. Pendant que les femmes conti­nue­raient à faire tour­ner le monde. 

La pilule ne fut pas facile à ava­ler pour nos couillus, mais il en allait de leur sur­vie et de celle de notre éco­no­mie. Voilà pour­quoi, en ce beau mois de juin, toutes unies dans une marche inou­bliable, nous enva­his­sons nos rues, ban­da­na sur le museau, pour fêter la recon­nais­sance de nos savoirs, de nos pou­voirs et l’augmentation de nos salaires, sous les hour­ras de ces mes­sieurs, qui, aux abris der­rière leurs fenêtres, nous applau­dissent et affichent des pan­cartes inédites : « Merci à nos sau­veuses », « À nos héroïnes » et l’incroyable « Nous sommes tous des fémi­nistes ». 

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