La mort de Morgan Keane le 2 décembre 2020 suite à un accident de chasse, a conduit six de ses amies à monter le collectif "Un jour un chasseur". Leur but : briser le tabou entourant les accidents de chasse et demander plus de rigidité dans sa règlementation. Un combat loin d'être gagné.
Morgan Keane, 25 ans, coupait du bois devant sa maison de Calvignac dans le Lot quand il est touché par une balle. Destinée à un sanglier, elle tue le jeune homme sur le coup. C’était le 2 décembre dernier. Le tireur, un chasseur des environs, pensait tirer sur du gibier.
Quelques jours plus tard, Sara, Nadège, Peggy, Léa, Zoé et Mila, des amies d’enfance de la victime, lancent une boite mail afin de recueillir les témoignages d’habitant·es de la région. Car si toutes et tous sont accablé·es par ce drame, les jeunes femmes constatent qu'ils ne semblent pas surpris·es : « Plein de gens nous disaient "Cela allait finir par arriver vu comment les chasseurs peuvent être dangereux dans le coin", se souvient Mila. On a aussi réalisé qu'il y avait un tabou à ce sujet-là et que les gens, même quand ils parlaient, n'étaient pas écoutés. »
Face à la centaine de messages reçus en l’espace d’une semaine, elles décident d’investir l’espace le plus propice pour quiconque souhaite libérer la parole : les réseaux sociaux. Le 11 décembre, elles publient certains témoignages sur un compte Instagram qu’elles nomment "Un jour un Chasseur", comme le collectif qu’elles viennent de former. Balles qui frôlent des promeneur·euses pendant des balades, échanges agressifs avec des chasseurs, menaces de représailles en cas de dénonciation… Les récits recueillis sont édifiants et renforcent leur conviction qu'il faut que les choses changent. Alors, en prévision d’un rendez-vous avec Huguette Tiegna, députée du Lot, elles écrivent une tribune qui sera plus tard publiée sur le site de Reporterre. Dedans, elles demandent à l’Etat de « mettre fin à l’impunité judiciaire et sociale dont jouissent les chasseurs, en prenant ses responsabilités et en proposant des mesures strictes qui assurent la sécurité des habitants et usagers des campagnes. » L'échange avec l'élue ne donne rien de concret.
Heureux hasard ou magie de la portée des réseaux sociaux, toujours est-il que le 15 janvier, le collectif reçoit un mail du cabinet de Bérangère Abba, Secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée de la Biodiversité, leur proposant un rendez-vous. Le 1er février, les Lotoises se rendent à Paris. Dans leurs valises, un dossier de 50 pages répertoriant témoignages et images d’accidents, beaucoup de questionnement et une liste de propositions. Parmi elles : la création d’un jour sans chasse, des distances de sécurité plus strictes, un permis renouvelable et non plus valable à vie. Bilan de cet entretien ? « Cela nous a montré que le gouvernement n’avait pas l’intention de faire quoi que ce soit. Les seules mesures qui seront prises, ce sera de la communication pour sensibiliser les chasseurs », avoue Mila.
Faire des témoignages un contre-poids
Car au sein du gouvernement, on consent que « tout accident, mortel ou pas, concernant un chasseur ou un non-chasseur, est évidemment un accident de trop » mais « ce ne sont pas les règles qui sont en cause, mais bien leur application. Il faut donc continuer les actions sur la formation, et pas seulement au moment du passage du permis, l’information et évidemment la répression. Sur ce sujet, les chasseurs ont conscience des enjeux. Ils l’ont dit et ils y travaillent avec nous », explique à Causette Bérangère Abba. Concrètement, cela se traduira par des panneaux de signalisation de chasse sur les voies publiques et le port de gilets fluorescents pour les chasseurs. Même son de cloche du côté de la Fédération des Chasseurs du Lot. Ce qu’il faut, c’est faire de la prévention. « On explique, au travers de films et de vidéos, comment un accident peut arriver alors qu’on ne s’y attend pas du tout. Il faut en permanence se rappeler qu’un accident peut arriver, tout le temps » détaille Serge Gay, vice-président de la Fédération. Ce type de formation existe déjà, mais n’était dispensé jusqu'en 2019 qu’à celles et ceux qui passaient le permis. Désormais, tous les chasseurs doivent la suivre.
Est-ce que cela suffira à réduire le nombre d'accidents qui était, selon un rapport de l'Office de la biodiversité, de 136 dont 11 mortels, sur la saison 2019 – 2020 ? Pour le collectif "Un jour un chasseur", la réponse est clairement non. Les propositions du gouvernement sont des demi-mesures et la cause de ces accidents se trouverait bien dans les mesures de sécurité trop faiblardes : « Même quand les règles sont respectées, elles sont insuffisantes. La règle des 150 mètres par exemple [interdiction de chasser à moins de 150 mètres d’une habitation ndlr]. Dans le cas de Morgan, le chasseur était à 180 mètres. Pourtant, il y a eu un drame. Les fédérations de chasse disent souvent que quand les règles sont respectées, il n'y a pas d'accident. On a tellement d’exemples qui montrent que ce n'est pas vrai » explique Léa.
Comment faire alors pour que ces paroles soient entendues ? Pour Bastien Lachaud, député France Insoumise de Seine-Saint-Denis, une seule solution : créer une force citoyenne suffisamment importante pour avoir un poids face aux lobbies. « La moindre réforme passe par une lutte frontale avec le lobby de la chasse. La mobilisation citoyenne doit être de plus en plus massive et doit faire de la chasse un sujet important des débats. » C’est là que Sara, Nadège, Peggy, Léa, Zoé et Mila vont trouver leur place. Car les milliers de témoignages qu'elles ont rassemblés ne pèsent pas tant par leur quantité que par leur origine : des ruraux qui dénoncent d’autres ruraux. Fait assez rare, ce ne sont pas des urbains qui critiquent la chasse, mais des habitants des campagnes.
Loin d'être découragées, les six jeunes femmes prévoient de continuer à recueillir et partager les témoignages qu’elles reçoivent. En parallèle, elles préparent des pétitions et des droits d’interpellation citoyenne pour « les prochaines semaines ».