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©Claudio Schwarz

Sur Instagram, les comptes de moti­va­tion mas­cus prolifèrent

De nom­breux comptes Instagram dits de « moti­va­tion mas­cu­line » pul­lulent sur Internet. Derrière une esthé­tique mas­cu d'apparence inof­fen­sive se cache en réa­li­té une idéo­lo­gie mortifère.

« Je tra­vaille sur trois choses : moi-​même, mon bon­heur, mon argent. » « Celui qui endure conquiert. » « Le rejet te rend plus fort, pas plus faible. » Dimanche midi, gueule de bois. Vous dérou­lez les sto­ries Instagram de vos connais­sances, même les plus loin­taines. Et puis vous tom­bez, la énième sto­ry ouverte, sur ce genre de cita­tions, accom­pa­gnées de pho­tos de lions, de Cristiano Ronaldo, de Tom Hardy ou de Cillian Murphy en noir et blanc, l’air pensif. 

Vous avez un sen­ti­ment de déjà-​vu, et pour cause : cette esthé­tique mas­cu, vous l’avez aper­çue plu­sieurs fois ces der­niers mois. Elles pro­viennent de comptes Instagram dits de « moti­va­tion mas­cu­line ». La recette est simple : des pho­tos d’acteurs bour­rus (si ça vient de Peaky Blinders, c’est encore mieux), une cita­tion sur la force, l’argent ou le côté sombre du mâle alpha, et un logo sté­réo­ty­pé (géné­ra­le­ment un gros M pour « mil­lions », « moti­va­tion » ou « men »). Et ça car­tonne : des pages comme « Millionaire men­tor » ou « Mensclub » cumulent des cen­taines de mil­liers, voire des mil­lions d’abonnés. 

Idéologie mor­ti­fère

Sous chaque publi­ca­tion, les com­men­taires d’admirateurs fusent. Morceaux choi­sis : « Ce que je veux, je l’aurai quoi qu’il arrive. Repasse-​toi ce mes­sage en boucle. » « Les rêves sont pour les enfants. Le busi­ness, c'est pas du rêve, c'est du tra­vail. » Et puis des emo­jis flammes. Beaucoup. Liste non exhaus­tive de ces pages de « coa­ching » ou « d’inspiration » à unique des­ti­na­tion des hommes cis et hété­ro­sexuels : @millionaire_mentor (8,2 mil­lions d’abonnés), @mensclub.(363 mil­liers d’abonnés), @citations_entrepreneurs (186 mil­liers d’abonnés), @millionnaire.riche (153 mil­liers d’abonnés), @thehighvaluemensclub (141 mil­liers d’abonnés), @mental_de_millionaire (117 mil­liers d’abonnés), @millionairesempires (19,7 mil­liers d’abonnés).

Cette ima­ge­rie beauf peut paraître inof­fen­sive, mais elle véhi­cule une idéo­lo­gie mor­ti­fère. Car ces pho­tos, par­ta­gées en masse, prônent une idéa­li­sa­tion de l’homme domi­nant et un rejet de la plu­part des femmes, for­cé­ment ten­ta­trices et per­fides. Pour être un homme, un vrai, il faut une Lamborghini et Scarlet Johansson à son bras, se débar­ras­ser et mépri­ser les « per­sonnes toxiques » (à savoir les femmes qui nous ont écon­duits) et ne comp­ter sur per­sonne pour aller mieux. « C’est très axé sur l'argent, la réus­site, réagit Olivia Gazalé, phi­lo­sophe, essayiste et autrice de Le Mythe de la viri­li­té (Robert Laffont, 2017). Et il y a cette idée que la femme, c’est la mère ou la pute. Celle qui sera la mère de mes enfants et qui sera sanc­ti­fiée – en théo­rie – et de l’autre côté, toutes les autres, qui sont mépri­sées. »

« Il y a un sen­ti­ment d'appartenance à un groupe de domi­nants, alors que dans la vie, ils sont dominés. »

Olivia Gazalé, phi­lo­sophe, essayiste et autrice

Au-​delà de cette ima­ge­rie rétro­grade, la phi­lo­sophe décèle un vrai malaise autour de la mas­cu­li­ni­té. « Tout ça pro­cède d'une pro­fonde inquié­tude. ‘'Est-​ce que je suis au niveau ?’’ Cette viri­li­té est tel­le­ment arti­fi­cielle que l’on est tout le temps dans le doute. » D’autant que bon nombre de ces hommes, sou­vent jeunes, qui se ruent sur ces comptes Instagram pour chi­ner les pré­cieux conseils de leurs « men­tors » ne cor­res­pondent pas du tout aux sté­réo­types tout en muscles de ces pages. Et ils sont loin de gagner des mil­lions. « Il y a un sen­ti­ment d'appartenance à un groupe de domi­nants, alors que dans la vie, ils sont domi­nés. La sen­sa­tion illu­soire d’appartenir à un cercle de pri­vi­lé­giés. Dans la réa­li­té, sou­vent, ce sont des gens qui n’ont pas du tout réus­si à accom­plir leur rêve », ana­lyse Olivia Gazalé.

Et ce sen­ti­ment d’appartenance, à la dif­fé­rence de com­mu­nau­tés Instagram ouvertes comme des comptes life­style ou cultu­rels, est fon­dé sur l’exclusion. « C'est un groupe qui se consti­tue beau­coup sur le rejet de l'autre. Ce ne sont pas seule­ment des affi­ni­tés qui nous réunissent : on se recon­naît entre nous, mais pour mieux exclure. » L’autre étant l’homme faible et pauvre, donc. Un maigre lot de conso­la­tion pour ces hommes à la vie par­fois vide de sens. « Les gens qui vont sur des comptes de ‘’mil­lion­naires’’ n'en sont pas. Ils sont réunis par la frus­tra­tion, parce que la défi­ni­tion de la viri­li­té à laquelle ils aspirent, ils ne l’atteindront jamais. »

De nom­breux ados et jeunes adultes trouvent dans cet uni­vers un refuge, une com­mu­nau­té et des « valeurs phi­lo­so­phiques ». Ces pages leur font ima­gi­ner un futur fait de Rolex, de Porsche et de man­ne­quins, quitte à accroître leur mal-​être. Et Olivia Gazalé de conclure : « Les admi­nis­tra­teurs de ces comptes sont un peu des nou­veaux mes­sies. Il y a une affaire de salut là-​dedans. Pour deve­nir riche et puis­sant, il faut que je sois dans le sillage de ces types-​là, il faut que je leur res­semble. Et leur suc­cès pros­père sur la misère sociale. »

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