Le site Rencontre Ados est accusé depuis plusieurs jours d’héberger des pédocriminels. Pour Justine Atlan, directrice générale du 3018, numéro national contre les violences numériques, l'urgence est d'instaurer une vérification de l'âge et une obligation de service de modération.
Dix minutes. C’est le temps qu’il nous a fallu pour recevoir une proposition à caractère sexuel sur Rencontre Ados.net. Comme d’autres médias, nous avons testé le site au cœur d’une polémique depuis plusieurs jours née suite au signalement d'une mère de famille sur X (ancienne Twitter). Notre faux profil, Lou, 13 ans, n’a pas tardé à susciter l’attention. En quelques minutes, une pluie de demandes d’amis – alors même que nous n’avions pas mis de photo. Seulement des hommes supposément âgés de 16 à 25 ans. « Tu parles de sexe ? », nous demande d’emblée un certain Alex, 24 ans, avant de nous demander sans ambages si « on peut se voir en vrai ». Un autre utilisateur qui répond au pseudo « Coléo » et qui dit avoir 22 ans, nous demande, lui, la pointure de nos pieds, expliquant devant notre étonnement qu’il est fétichiste et qu’il aimerait recevoir des photos.
Ce genre de messages, plusieurs médias et internautes, s’étant infiltré·es sur la plateforme, affirment en avoir reçu ces derniers jours. Ils·elles témoignent ainsi de très nombreuses demandes déplacées envoyées aux mineur·es, surtout aux filles. La polémique est telle que le gouvernement a réagi par la voix du ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot qui a déclaré avoir saisi la procureure de la République. Dans la foulée, Google a décidé de supprimer, ce jeudi, le site de son magasin d’applications, en raison du non-respect de ses conditions générales d’utilisation, sans donner pour l’heure plus de précision. S’il a disparu du magasin d’applications de Google, le site est toujours accessible via Internet.
« Meilleur site de rencontres gratuit pour les jeunes de 13 à 25 ans »
Pour les associations de protection de l’enfance sur internet, le site Rencontre ados n’est pas un inconnu. Né sur la toile en 2006, bien avant l’émergence des réseaux sociaux, il se veut être le « meilleur site de rencontres gratuit pour les jeunes de 13 à 25 ans », comme l’indique sa page d’accueil. Sa promesse ? Y Trouver l’amour ou des ami·es. « Il est très simple de trouver des ados célibataires près de chez vous », assure le site.
Là-dessus, il tient sa promesse. L’inscription est rapide. Une adresse mail, un pseudo et une date de naissance suffisent à acquérir son droit d’entrée. Le site précise que « les mineurs de plus de 13 ans doivent demander l’autorisation à leurs parents » mais à aucun moment une vérification de l’âge n’a lieu. Et c’est ici que le bât blesse. Sans vérification, des enfants de moins de 13 ans et des adultes de plus de 25 ans peuvent s’immiscer sur la plateforme, avec dans le lot des prédateurs sexuels et pédocriminels. « On a toujours connu ce site et les problématiques qu’il comporte », atteste Justine Atlan, directrice générale du 3018, numéro national contre les violences numériques.
Depuis 2009, Pharos, la plateforme du ministère de l’Intérieur, où peuvent être signalés les contenus illicites, a déclaré avoir reçu 497 signalements concernant Rencontre Ados.net. Et si ce dernier est actuellement sous les feux des projecteurs, il existe une myriade de sites similaires et tout aussi problématiques.
« Il faut se poser la question de “Est-ce que c’est légal de faire un site pour mettre en relation des adultes et des mineurs ?”
L’existence même de ces site à destination d’adolescent·es et de jeunes adultes soulève des interrogations. Lors de son inscription, dans les filtres, notre Lou a pu choisir de discuter avec des hommes majeurs, ce qui atteste le fait qu’un adulte puisse communiquer avec un·e mineur·e, le rencontrer et donc avoir des relations sexuelles avec lui·elle. « Je ne comprends pas qu’on puisse mettre en lien des adultes et des enfants, surtout depuis la loi qui interdit depuis 2021 toute relation sexuelle entre un enfant de moins de 15 ans et un majeur dès lors qu’ils ont au moins cinq ans de différence d’âge, dénonce Justine Atlan. Entre 25 ans et 13 ans, il y a douze ans quand même ! »
Le problème réside aussi dans le flou juridique qui entoure ce type de site. « La police considère pour l’heure qu’il n’y a pas de raison de le fermer, qu’il n’est pas illégal au regard de la loi, souligne la directrice générale du 3018. Mais il faut se poser la question de “Est-ce que c’est légal de faire un site pour mettre en relation des adultes et des mineurs ?” »
Faible modération
Difficile de savoir combien d’utilisateur·trices sont inscrit·es et actif·ives sur le site. Justine Atlan explique que depuis l’explosion des réseaux sociaux, les jeunes ont déserté ce type de plateforme, mais leur marginalité a ramené aussi davantage de profils problématiques. Sur Rencontre Ados, la modération, qui pourrait limiter les contenus à caractère sexuel, ne semble pas être leur priorité. Sur la page d’accueil, un message indique que Rencontre Ados recrute d’ailleurs des modérateurs. Contactée par Causette, la plateforme indique que ce recrutement n’est pas en lien avec les accusations portées à son encontre. Elle précise aussi qu’il y a trois modérateur·trices actuellement alors qu’ils·elles doivent être « minimum dix ». Ce qui peut expliquer le manque de contrôle. « On n’a pas le sentiment que la modération existe de toute façon », juge Justine Atlan.
C’est pourquoi, il faudrait, selon elle, instaurer une obligation de service de modération pour permettre de lutter efficacement contre ce phénomène. « C’est fondamental la modération », martèle-t-elle. L’autre point réside dans la vérification de l’âge au moment de l’inscription. « Que ce soit sur les sites pornographiques ou les sites de rencontres pour ados, on ne vérifie l’âge de personne, on peut s’inscrire sur tout et n’importe quoi, dénonce Justine Atlan. On n’est pas capable d’identifier les enfants et de les protéger. »
Imposer l'autorisation des parents
Devant la polémique qui enfle de jour en jour, la secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, a assuré, au micro de franceinfo, que la sécurité des enfants est « une priorité » du gouvernement. « L'objectif n'est pas d'interdire certains sites parce qu'on sait très bien que ça conduira les enfants et les ados et les adultes à aller sur d'autres. L'objectif, c'est de réglementer », a‑t-elle indiqué en évoquant la loi du 7 juillet 2023 qui impose aux sites d’obtenir l’autorisation des parents pour que les moins de 15 ans puissent s’inscrire sur ces sites. Charlotte Caubel a indiqué tout mettre en œuvre pour que le décret d’application de cette loi « sorte très vite ».
Du côté de Justine Atlan, si elle se félicite de cette loi, elle regrette qu’il n’y ait pas un critère sur la modération dans le Digital Services Act (DSA), le nouveau texte européen qui vise à mettre au pas les géants du net et qui entre en vigueur demain, vendredi 25 août. Il entrera ensuite en vigueur en février prochain pour le reste d’Internet, et donc pour les sites comme Rencontre Ados. Pour Justine Atlan, « il aurait été intéressant de renforcer ce point, la vérification de l’âge et la modération sont les clés de voûte de la protection de l’enfance sur Internet. »