Précarité étu­diante : la ren­trée s’annonce difficile

Trois mois après le décon­fi­ne­ment, les consé­quences éco­no­miques de la crise sani­taire semblent s’inscrire dans la durée. Premières vic­times de cette crise : les étu­diants. Près des trois quarts ont ren­con­tré des dif­fi­cul­tés finan­cières pen­dant le confi­ne­ment et galèrent encore. Les 11 et 12 août, la dis­tri­bu­tion de colis ali­men­taires orga­ni­sée par l’association Humanity Diaspo a réuni 617 étu­diants. Mais la prin­ci­pale orga­ni­sa­tion étu­diante, La Fage, pré­vient : « La ren­trée risque d’être com­pli­quée. »

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© C.B.

« Mes seuls repas de la jour­née se résument au café du matin et au dîner. Mes dif­fi­cul­tés se sont aggra­vées pen­dant le confi­ne­ment parce que je ne pou­vais plus tra­vailler comme inté­ri­maire pour arron­dir mes fins de mois. En revanche, je devais conti­nuer à payer mon loyer en rési­dence Crous, car je n’ai pas pu ren­trer dans ma famille, à Perpignan », confie Alexis, 22 ans, étu­diant en arts dra­ma­tiques au conser­va­toire du 15e arron­dis­se­ment de Paris, en sor­tant de la dis­tri­bu­tion de colis ali­men­taires orga­ni­sée par l’association Humanity Diaspo. C’est la deuxième fois qu’il béné­fi­cie de cette opé­ra­tion, qui a lieu cette fois-​ci à Villetaneuse (Seine-​Saint-​Denis), dans un local mis à la dis­po­si­tion par la mai­rie. Ni la cani­cule de ce mois d’août ni la dis­tance depuis chez lui ne freinent le jeune homme qui vit dans le 18e arron­dis­se­ment, à Paris. Comme Alexis, 617 étu­diants se sont dépla­cés pour reti­rer des boîtes de conserves, du riz, des pâtes, du lait, mais aus­si des pro­tec­tions hygié­niques, des gels douche ou sham­poings, des masques et du gel hydroalcoolique.

À l’origine, Humanity Diaspo est un pro­jet de lutte contre la pré­ca­ri­té hygié­nique et mens­truelle à des­ti­na­tion des per­sonnes sans abri, des migrantes, des mères pré­caires et femmes vic­times de vio­lences conju­gales, héber­gées dans des centres d’accueil d’urgence durant le confi­ne­ment. Les réseaux sociaux ont appor­té de la visi­bi­li­té aux actions de l’association. « Si bien que nous avons été contac­tés par des étu­diants qui deman­daient éga­le­ment des colis ali­men­taires et des pro­duits d’hygiène, explique Rana Hamra, la cofon­da­trice. En effet, ils n’ont plus de job ni de stage gra­ti­fié, des parents au chô­mage par­tiel ou total, et pour les étu­diants étran­gers, des familles encore confi­nées. Avec l’arrêt des bourses, l’été, les étu­diants se retrouvent dans une situa­tion de grande pré­ca­ri­té. Nous avons donc sol­li­ci­té le finan­ce­ment de la Fondation de France pour pou­voir répondre aux besoins des étu­diants. »L’objectif est de pal­lier l’absence des ser­vices sociaux muni­ci­paux ou des Crous jusqu’à leur réou­ver­ture, à la rentrée.

Mesures sani­taires obligent, les béné­fi­ciaires arrivent après avoir réser­vé un cré­neau horaire en ligne. Gel hydro­al­coo­lique à l’entrée, masque obli­ga­toire avant de péné­trer dans le local de dis­tri­bu­tion. À l’intérieur, un comi­té d’accueil com­po­sé de Rana Hamra et d’une autre béné­vole enre­gistre, les uns après les autres, les étu­diants, qui ont l’air un peu per­dus. Ces der­niers reçoivent ensuite leurs colis des mains des béné­voles. Même avec les masques, la gra­ti­tude se lit sur les regards. Nous guet­tons Jessica à sa sor­tie. Étudiante en L3 Sciences du lan­gage à la Sorbonne, la jeune femme de 24 ans range les courses dans ses sacs, ravie de pou­voir se pré­pa­rer des repas chauds. Elle tra­vaillait quinze heures par semaine en paral­lèle de ses études, mais s’est retrou­vée au chô­mage par­tiel pen­dant le confi­ne­ment. Difficile alors de joindre les deux bouts : « Avec un loyer de 472 euros, auquel s’ajoutent mes frais cou­rants tels que l’électricité et le passe Navigo, je ne m’en sor­tais pas. J’ai dû par­ti­ci­per à la dis­tri­bu­tion qui a eu lieu pen­dant le confi­ne­ment pour me nour­rir. Je reviens parce que mon bud­get reste très serré. »

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Rana Hamra (cofon­da­trice de Humanity Diaspo), à gauche, en com­pa­gnie d’une béné­vole, accueille un étu­diant © C.B.
74 % des étu­diants ont ren­con­tré des dif­fi­cul­tés financières

Pour Chris*, 21 ans, les bras char­gés de colis, le confi­ne­ment a été éga­le­ment dif­fi­cile. L’étudiant en L1 LEA anglais à Paris 3 n’avait pas les moyens de retour­ner chez lui, à Singapour. En outre, un nou­veau poste de dépense a plom­bé son bud­get ali­men­taire : « J’ai un loyer de 500 euros. Et je dois désor­mais tenir compte de mes dépenses en masques et gels, qui res­tent éle­vés pour un étu­diant. Je pioche donc dans mon bud­get courses. » Dans son indi­ca­teur annuel du coût de la ren­trée et du coût de la vie pour un étu­diant, la Fédération des asso­cia­tions géné­rales étu­diantes (Fage), chiffre d’ailleurs cette dépense à 31,75 euros par mois, soit l’équivalent de deux semaines de déjeu­ner au res­to uni­ver­si­taire. À cause de ces nou­velles dépenses liées à la crise sani­taire, l’organisation note une aug­men­ta­tion des frais de vie cou­rante de 5,13 % en moyenne. Ce n’est pas ano­din lorsque l’on ne peut pas se per­mettre trois repas ou cinq fruits et légumes par jour.

Le constat est alar­mant : la crise sani­taire a tou­ché de plein fouet les jeunes sur le plan socio-​économique. Près des trois quarts, soit 74 % d’entre eux, déclarent avoir ren­con­tré des dif­fi­cul­tés finan­cières ces trois der­niers mois, selon une enquête de la Fage, publiée le 13 juillet. Ces galères s’expliquent notam­ment par la perte d’emploi, car 72 % des jeunes en acti­vi­té ont vu celle-​ci se réduire ou s’interrompre com­plè­te­ment. Orlane François, pré­si­dente de la Fage, rap­pelle que, bien avant le confi­ne­ment, les étu­diants connais­saient une pré­ca­ri­té assez impor­tante, puisque 20 % vivent sous le seuil de pau­vre­té, avec des dif­fi­cul­tés pour se loger, se nour­rir cor­rec­te­ment, payer leurs frais de san­té, etc.

Mais plus que le confi­ne­ment, c’est la crise sani­taire qui a entraî­né des pertes de reve­nus : cer­tains ont per­du des petits bou­lots, d’autres n’ont pas pu tra­vailler en avril ni cet été. Cette situa­tion aura donc des consé­quences sur le long terme. « 54 % des étu­diants n’ont pas pu payer leur loyer pen­dant le confi­ne­ment. Ils vont gérer le report de ces charges dans les pro­chains mois », alerte Orlane François. En effet, pen­dant le confi­ne­ment, la Fage a obte­nu des Crous la sus­pen­sion des loyers pour les étu­diants qui ont pu quit­ter leur loge­ment et repar­tir dans leur famille. Mais ce dis­po­si­tif reste tem­po­raire, et il va fal­loir mettre la main à la poche à la ren­trée. Sans comp­ter que dans le parc pri­vé, pas de marge de négo­cia­tion : les étu­diants concer­nés ont conti­nué à payer leur loyer même s’ils ont quit­té leur loge­ment. Par ailleurs, « ceux qui n’ont pas pu décro­cher de job sai­son­nier ou en paral­lèle des études pei­ne­ront à finan­cer leur année, pour­suit la pré­si­dente de la Fage. La ren­trée, voire l’année, risque d’être dif­fi­cile, sur­tout que la crise semble perdurer. »

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Dieunor Excellent, le maire de Villetaneuse, entou­ré des membres
de l’association Humanity Diaspo © C. B.

Sur le plan aca­dé­mique, l’enquête de la Fage révèle que plus de huit étu­diants sur dix ont le sen­ti­ment d’avoir décro­ché dans leurs études pen­dant le confi­ne­ment. « Il y a plu­sieurs réponses dans ce chiffre : des jeunes qui expri­maient leur satis­fac­tion ou pas par rap­port à l’organisation des cours à dis­tance, ceux qui ont com­plè­te­ment décro­ché, d’autres encore qui n’ont pas pas­sé leurs exa­mens », pré­cise Orlane François. Mais le ver­dict est là : les condi­tions de l’école à la mai­son n’ont pas favo­ri­sé l’assiduité des étu­diants. Comment s’organiser autre­ment à la ren­trée ? La Fage a deman­dé la mise en place d’enquêtes de sui­vi entre juin et juillet, de manière à reprendre contact avec les étu­diants et à iden­ti­fier les cas de grands décro­chages. « Certains éta­blis­se­ments l’ont fait, mais pas tous, déplore l’organisation, qui juge pour­tant cette pre­mière démarche essen­tielle. À la ren­trée, il y aura un réel besoin d’accompagnement adap­té aux besoins et aux manques consta­tés ces der­niers mois chez les jeunes déjà en études, plaide sa pré­si­dente. En plus, les nou­veaux bache­liers ayant vécu une année par­ti­cu­lière avec le Covid et les grèves liées à la réforme des retraites auront éga­le­ment besoin d’un accom­pa­gne­ment ren­for­cé pour évi­ter un échec ou des décro­chages mas­sifs dans le supé­rieur. » Mais voi­là, qui dit sui­vi ou accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé, dit moyens. Et c’est là que le bât blesse. La Fage réclame des finan­ce­ments sup­plé­men­taires afin que les uni­ver­si­tés puissent assu­rer effi­ca­ce­ment cette mission. 

En atten­dant, Alexis, Jessica, Chris* et peut-​être bien d’autres jeunes encore trim­ballent leurs galères qu’ils pré­fèrent taire, « pour ne pas embê­ter la famille ou les amis », « parce que ce n’est pas tou­jours agréable d’aborder ce sujet ». Leurs dis­cours gardent les traces de leur soli­tude tout autant que leur amer­tume : « Certains proches ne me demandent même pas com­ment je vais, pour­tant, ils connaissent ma situa­tion. Ils me sou­haitent du cou­rage comme si cela allait m’aider. » 
Alexis a repris l’intérim, mais l’activité reste réduite. Assis sur un banc, l’air pes­si­miste, il ne croit pas que les choses s’améliorent « tant que dure­ra la crise sani­taire ». Jessica espère retra­vailler les dimanches, car elle est payée le double et « ça met du beurre dans les épi­nards ». Face à la demande de plus en plus crois­sante, Humanity Diaspo pré­voit déjà une autre dis­tri­bu­tion les 8 et 9 sep­tembre. Rana Hamra compte sur l’État pour « reprendre la main et péren­ni­ser l’initiative ».

Des mesures gou­ver­ne­men­tales ambi­tieuses mais insuffisantes

Le gou­ver­ne­ment, lui aus­si, s’est atta­qué à la pré­ca­ri­té étu­diante en déci­dant d’une mesure forte : la mise en place d’un tarif social à 1 euro au lieu de 3,30 dans les res­tos uni­ver­si­taires à par­tir de la ren­trée. La prin­ci­pale orga­ni­sa­tion étu­diante salue cette « belle » mesure, mais elle regrette que le ticket-​repas à 1 euro ne se limite qu’aux bour­siers. « Les étu­diants non bour­siers ont été éga­le­ment impac­tés par la crise : il ne faut pas les mettre de côté », défend Orlane François. Message reçu cinq sur cinq. « Aucun jeune sur le car­reau », semble le leit­mo­tiv du gou­ver­ne­ment, qui a pré­sen­té, le 23 juillet, son plan « 1 jeune, 1 solu­tion » doté d’une enve­loppe de 6,5 mil­liards d’euros. Est éga­le­ment pré­vue dans ce plan une bat­te­rie de mesures d’incitation à l’embauche des 16–25 ans, notam­ment une com­pen­sa­tion de charges de 4 000 euros pour tout jeune recru­té entre août 2020 et jan­vier 2021, la créa­tion de 300 000 contrats d’insertion pour rap­pro­cher de l’emploi et de la for­ma­tion les plus éloigné·es du mar­ché de l’emploi. « Ces mesures sont inté­res­santes mais pas suf­fi­santes. Il manque tout le volet de la lutte contre la pré­ca­ri­té », observe Orlane François. À l’instar de Rana Hamra, elle donne l’exemple d’un jeune en fin d’études qui peut très vite bas­cu­ler dans une situa­tion de grande pré­ca­ri­té. « Un étu­diant bour­sier, en loge­ment uni­ver­si­taire, lorsqu’il ter­mine un mas­ter, n’a plus de bourse à par­tir de la fin juin et en juillet, il doit quit­ter son loge­ment étu­diant. Il a moins de 25 ans dans la plu­part des cas, donc il n’a pas accès au reve­nu de soli­da­ri­té active (RSA). C’est ain­si qu’il se retrouve sans res­sources et par­fois sans abri », démontre la pré­si­dente de la Fage. Pour l’organisation étu­diante, il faut taper dans le dur : un accom­pa­gne­ment finan­cier et humain des jeunes en recherche d’un pre­mier emploi. La solu­tion se trou­ve­rait dans l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans, pour laquelle la Fage milite aux côtés d’autres orga­ni­sa­tions telles que la CFDT, ATD-​Quart Monde, enga­gées pour l’indépendance des jeunes.

  • Le pré­nom a été modifié.
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