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Pierre Haffner et Sergueï Saveliev © Clément Boutin

Biarritz : ren­contre avec les acti­vistes pro-​Ukraine qui ont infil­tré la vil­la de l'ex-gendre de Poutine

Trois activistes, français, russe et biélorusse, se sont introduits la semaine dernière dans la villa d'un oligarque russe à Biarritz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Avec, dans l'idée, d'attirer l'attention des pouvoirs publics et des médias sur ces demeures, qui pourraient accueillir de nombreux réfugié·es ukrainien·nes.

Un homme vêtu d'un coupe-vent bleu et blanc agite, sous d'importantes rafales de vent et de pluie, un drapeau ukrainien depuis la terrasse d'une élégante maison à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). Située à deux pas du phare de la ville balnéaire, elle laisse entrevoir une vue imprenable sur la mer.

Cette image, peu banale, est extraite d'une vidéo mise en ligne le week-end dernier par Pierre Haffner, figure locale des Gilets jaunes. Avec deux activistes russe et biélorusse, il s'est infiltré dans la villa Altamira. La demeure appartient depuis 2012 à l'homme d'affaires et ex-gendre de Vladimir Poutine, Kirill Shamalov, mais était à l'origine détenue par l'oligarque et ami du président russe Gennady Timchenko, comme le relate cette enquête de Reuters. Cette intrusion leur a valu d'être arrêtés lundi par la police, avant de se voir finalement relâchés en fin de journée. Si une enquête pour « violation de domicile » avait été ouverte, rapporte Libération, ils ont finalement écopé d'un simple rappel à l'ordre, indique à Causette Kamalia Mehtiyeva, l'avocate du militant français.

« On souhaitait simplement réaliser une opération politique et humanitaire », affirme Pierre Haffner, que nous avons rencontré dans son appartement de la côte basque, en compagnie de Sergueï Saveliev, le lanceur d'alerte biélorusse demandeur d'asile en France qui a participé à cette action. Ces derniers préfèrent taire l'identité de l'activiste russe également présent à la villa Altamira.

Un ami commun

Les deux hommes, que rien ne prédestinait à se rencontrer, ont fait connaissance au mois d'octobre 2021, au moment où Sergueï Saveliev est arrivé en France et a demandé l'asile depuis le Pays Basque.

Le jeune homme de 32 ans, condamné en Russie pour avoir participé à un trafic de drogue qu'il a toujours nié, a passé sept ans et demi en prison dans la sinistre colonie pénitentiaire IK 10 de Saratov. Placé au poste d’administrateur système comme le relate ce portrait de Libération, Saveliev a réussi à amasser documents et images relatant les sévices - tortures, tabassages et viols - infligés aux détenus dans les geôles russes. À sa sortie, en 2021, il commence à diffuser ces documents auprès du site Gulagu.net, lancé par l'activiste russe Vladimir Osechkin. Mais inquiet pour sa vie et celle de sa famille en Biélorussie, et persuadé d'être épié par les services secrets russes, Sergueï Saveliev quitte tout pour se rendre en Hexagone. Le Sud-Ouest, où Vladimir Osechkin habite lui-même depuis 2015 en tant que réfugié politique, s'est imposé à lui. « Je me sens bien ici et je reçois un soutien fort de la part de mes amis et des associations d'accueil des réfugiés », explique, calmement, le dissident biélorusse au visage poupon.

De son côté, Pierre Haffner, 74 ans, a passé 25 ans en Russie avant de devoir quitter le pays en 2017, après des « attaques », selon lui, du FSB, le service de renseignement russe. À son arrivée au Pays-Basque, il se rapproche immédiatement de Vladimir Osechkin, dont il entendait parler « depuis longtemps », et l'aide à accueillir des exilé·es politiques russes en France. C'est par l'entremise de ce dernier que le trentenaire et le septuagénaire se rencontrent.

Saisir les biens des oligarques russes

Plusieurs semaines après le début de l'invasion russe en Ukraine, tous les deux, ne comprenant pas que le gouvernement français ne saisisse pas les maisons des oligarques russes pour les Ukrainien·nes, décident de faire un coup pour attirer l'attention des pouvoirs publics et des médias. Et donc, de pénétrer dans la villa Altamira. « On ne voulait évidemment pas prendre la maison pour nous, sourit Pierre Haffner, qui reste évasif sur la manière dont ils sont entrés dedans. Mais bien faire une action médiatique ainsi qu'y accueillir des réfugiés » Les activistes étaient présents depuis « une semaine environ » dans la luxueuse demeure russe avant d'être délogés par la police. C'est la vidéo, publiée le week-end dernier, qui a sonné la fin de leur initiative. Une vidéo que le Français désirait rendre publique afin que « les Russes voient avec quel luxe vivent les oligarques en se servant de leur argent ».

« La communauté internationale essaie de s’opposer à Vladimir Poutine avec des sanctions économiques mais cela n'arrête pas la guerre. Nous devions donc entreprendre quelque chose, poursuit Sergueï Saveliev. Aujourd’hui, plus de 3 millions de personnes ont déjà fui l’Ukraine. Parmi elles, il y a beaucoup de femmes et d'enfants, qui arrivent notamment en France. Ce sont des gens pauvres, partis immédiatement sans pouvoir rien prendre avec eux, et se retrouvant à la rue. De manière temporaire, pour aider les réfugiés, on pourrait saisir les biens des oligarques russes qui sont des criminels de guerre. »

À lire aussi I Guerre en Ukraine : les ONG inquiètes des conséquences du conflit sur les femmes et les filles

Durant cette occupation des lieux, les intéressés assurent avoir été en contact avec des associations pour accueillir à l'Altamira des réfugié·s, avant d'être délogés par la police à la suite de la publication de la vidéo. « Cette vidéo est une victoire. On se trouve dans une maison où Poutine a posé ses fesses. On y lève un drapeau ukrainien et on y chante l'hymne ukrainien. La lutte entre les deux peuples est commune », s'enthousiasme le Gilet jaune basque.

Futures actions

Le 22 avril prochain, les militants sont convoqués à la mairie de Biarritz pour recevoir leur rappel à l'ordre. « Nous irons l'écouter sagement et, ensuite, nous réaliserons notre propre rappel à la loi devant l'Hôtel de Ville : chaque citoyen a le droit de rappeler aux pouvoirs publics qu'ils doivent combattre la mafia russe et saisir leurs biens », annonce Pierre Haffner, restant flou sur la forme que prendra ce rassemblement.

La mairie de Biarritz, contactée par Causette, n'a pas souhaité revenir sur l'action des activistes. Elle a cependant précisé avoir organisé, dès le début du conflit, une collecte et fait acheminer des produits de première nécessité, en lien avec l'Association des maires de France et la Protection Civile. « Concernant l’accueil des réfugiés, la Ville se tient prête, conformément aux demandes de l’Etat, et a déjà accueilli des familles », a-t-elle ajouté.

Sergueï Saveliev indique, de son côté, que « des actions pour la défense des droits de l'Homme » seront « potentiellement organisées », sans souhaiter en dire davantage. Ce dernier, dont la demande d'asile est actuellement en cours d'instruction, ne craint pas de se battre à visage découvert. « Je ne veux pas attirer l’attention sur moi, je souhaite uniquement apporter mon aide au maximum de personnes », assure-t-il déterminé. Avant de conclure, avec un calme et une douceur surprenante : « Une menace de plus ou de moins, vous savez... »

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