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"Pour créer un pod­cast, il faut être un cou­teau suisse" : Céline et Margaux, podcasteuses

Elles ont lan­cé Entre nos lèvres, il y a trois ans, pour per­mettre à des ano­nymes de racon­ter leur vie sexuelle sans tabou ni fausse pudeur. Repérage des témoins, enre­gis­tre­ment, mon­tage, ani­ma­tion des réseaux sociaux : les deux tren­te­naires pari­siennes font tout à quatre mains. Elles mul­ti­plient aus­si les pro­jets pour trans­for­mer leur pas­sion en métier à part entière. 

"L’idée de créer un pod­cast sur la sexua­li­té est née lors d’une soi­rée pyja­ma. Nous étions amies depuis quelques années et, ce soir-​là, nous avons par­lé de nos vies sexuelles de façon très sérieuse. D’ordinaire, quand on aborde la sexua­li­té, c’est pour la tour­ner en déri­sion ou pour ques­tion­ner notre nor­ma­li­té. Là, on s’est livrées avec hon­nê­te­té et sans tabou, et ça nous a fait beau­coup de bien. On a donc eu envie de conti­nuer à faire ­jaillir ces conver­sations et on a pen­sé à créer un pod­cast dans lequel des ano­nymes racon­teraient leur vie sexuelle. Le len­de­main matin, l’une a trou­vé le titre – Entre nos lèvres – et l’autre a dépo­sé le nom de domaine et créé des comptes sur les réseaux sociaux. On a aus­si ouvert des dizaines de Google docs pour par­ta­ger nos idées. En quelques jours, le pro­jet était sur des rails. Six mois plus tard, à l’été 2018, le pre­mier épi­sode était dis­po­nible à l’écoute. 

Nous n’avions aucun contact dans le milieu, donc nous nous sommes débrouillées seules. Avec nos compé­tences de gra­phiste et direc­trice artis­tique pour l’une et de res­pon­sable ­com­mu­ni­ca­tion dans l’édition pour l’autre, nous savions que nous pou­vions maî­tri­ser l’identité visuelle et la ligne édi­to du pro­jet. C’est un bou­lot qui demande pas mal de com­pé­tences dif­fé­rentes : un savoir-​faire tech­nique, une maî­trise des outils de communi­cation et un peu de créa­ti­vi­té aus­si. On se défi­nit sou­vent comme des ­cou­teaux suisses. La seule chose dont nous n’avions pas bien pris la mesure, c’était la dif­fi­cul­té de la prise de son et du mon­tage. Céline s’y est col­lée car elle maî­trise la suite Adobe *, mais ça n’a pas per­mis d’obtenir un son par­fait. Il a donc fal­lu qu’elle se forme de façon autodidacte. 

Chaque épi­sode néces­site un gros tra­vail de mon­tage. La parole des témoins n’est pas rodée, pas fluide. Il y a des silences, des hési­ta­tions et il faut retra­vailler l’enregistrement pour don­ner l’impression que ça coule. D’autant qu’on fait des séances-​fleuves. Pour que nos témoins, choi­sis par­mi les cour­riers qu’on reçoit, se sentent à l’aise et se livrent plus faci­le­ment, on les invite à déjeu­ner ou à dîner chez nous. 

On essaie de tra­vailler avec trois semaines et donc trois épi­sodes d’avance. Quand on démarre une nou­velle sai­son, on a le plan­ning en tête. En ce moment, on pré­pare la qua­trième sai­son et on essaie de faire atten­tion à la varié­té des sujets et à la mixi­té des pro­fils pour ne pas faire par­ler que des femmes cis et hété­ro­sexuelles, qui repré­sentent 75 % des témoi­gnages qu’on reçoit. Même si on inter­roge aus­si des hommes, hein ! En tout cas, on veut don­ner la parole à des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, à des per­sonnes trans ou à des tra­vailleuses du sexe. Nous menons donc un tra­vail de veille pour ten­ter de déni­cher des témoins issus d’horizons variés. 

« Avec nos com­pé­tences de direc­trice artis­tique et de res­pon­sable com­mu­ni­ca­tion dans l’édition, nous savions que nous pou­vions maî­tri­ser l’identité visuelle et la ligne édi­to du projet »

Nous aus­si, on s’est mises à nu et on a racon­té nos his­toires dans les pre­miers épi­sodes du pod­cast. Nous avons par­lé d’agression sexuelle ou du fait de n’avoir jamais connu l’orgasme. Ça aide à la mise en confiance. On fait connais­sance, on mange et on boit quelques verres pour détendre l’atmosphère. Ce n’est qu’après qu’on sort le micro et qu’on leur pose des ques­tions. Au bout d’un an et demi d’existence, on a com­men­cé à avoir de plus en plus d’auditeurs et audi­trices, envi­ron 50 000 écoutes par mois, et d’abonnées à notre news­let­ter. Le ­pro­jet pre­nait de l’ampleur, mais il était très chro­no­phage et ne nous per­mettait pas de gagner de l’argent. Nous en avons même dépen­sé beau­coup avec l’achat de maté­riel, l’organisation des repas, l’hébergement du site. En plus, ça nous lais­sait de moins en moins de temps pour bos­ser dans nos métiers res­pec­tifs, que nous avons conser­vés et exer­çons en free-lance. 

Vivre du pod­cast est très com­pli­qué, seule une mino­ri­té y par­vient. De ce fait, nous gar­dons une acti­vi­té en paral­lèle. Mais nous avions envie de ­déve­lop­per notre pro­jet et avons cher­ché des sources de reve­nus. En octobre 2019, on a donc déci­dé de com­men­cer une cam­pagne de crowd­fun­ding, ce qui est assez fré­quent quand on sou­haite lan­cer un pro­jet. Nous avons deman­dé et récol­té 30 000 euros, somme qui nous a per­mis de nous don­ner un an de séré­ni­té, de rache­ter du maté­riel et de faire ­tra­vailler deux mon­teuses qui s’occupent de la post­pro­duc­tion. Plusieurs modèles éco­no­miques existent et peuvent se com­bi­ner : la pro­duc­tion d’émissions pour des tiers (marques, ins­ti­tu­tions…), le lan­ce­ment de pro­grammes payants, la vente de pro­duits déri­vés ou encore les par­te­na­riats avec des spon­sors publi­ci­taires. On mixe un peu tout ça. 

« Vivre du pod­cast est très com­pli­qué, seule une mino­ri­té y par­vient. De ce fait, nous gar­dons une acti­vi­té en parallèle. »

On a trou­vé quelques spon­sors publi­ci­taires dans les cos­mé­tiques ou la culture. On leur vend un espace publi­ci­taire cal­cu­lé en fonc­tion du nombre d’écoutes – 150 000 par mois – et on fait un petit spot au début du pro­gramme avec nos propres voix. Ça res­semble à ce que font les influen­ceurs qui créent du conte­nu. Mais ça nous rap­porte peu – envi­ron 1 000 euros par cam­pagne. La thé­ma­tique de la sexua­li­té attire moins que d’autres sujets de pod­casts en vogue, comme la mater­ni­té ou l’entrepreneuriat. Nous avons donc déci­dé de créer quelques pro­duits déri­vés. Au mois de février, nous avons aus­si sor­ti un livre en par­te­na­riat avec une mai­son d’édition [Michel Lafon, ndlr] qui nous a contac­tées ­direc­te­ment. L’ouvrage ras­semble à la fois des témoi­gnages du pod­cast et des inédits. Il peut s’acheter sur notre bou­tique en ligne, qui pro­pose aus­si des cartes ou des affiches. Nous sou­hai­tons d’ailleurs la déve­lop­per davan­tage en mul­ti­pliant, par exemple, des par­te­na­riats avec des marques éthiques ou qui cor­res­pondent à nos valeurs. Pas ques­tion de s’associer avec celles qui feraient du fémi­nisme washing. Mais on pour­rait ima­gi­ner un baume pour la vulve estam­pillé ENL. 

Nous pré­pa­rons aus­si un pod­cast pour une marque dont on ne dévoile pas le nom pour le moment. On ­réflé­chit aus­si à incar­ner notre pod­cast en ani­mant des for­ma­tions ou des groupes de parole, à décli­ner le concept dans le registre du déve­lop­pe­ment ­per­son­nel. C’est une demande qui revient sou­vent par­mi nos 60 000 abon­nées Instagram."

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