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© D.K.

Passe sani­taire : un dan­ger pour la démocratie ?

Alors que le passe sani­taire concerne, depuis ce 30 août matin, les salarié·es des lieux accueillant du public, Causette ouvre le débat sur les poten­tielles menaces à la liber­té et l'égalité entre citoyens qu'il suscite.

Ce lun­di 30 août, le passe sani­taire devient obli­ga­toire pour les salarié·es des lieux accueillant du public (res­tau­rant, dans les lieux de culture et de loi­sirs, les grands maga­sins, ou encore dans les éta­blis­se­ments de san­té). Ils et elles rejoignent ain­si les usager·ères et client·es de ces mêmes lieux qui, eux, doivent mon­trer patte blanche depuis le 9 août. Le gou­ver­ne­ment a annon­cé que la mesure, qui concerne toutes les per­sonnes majeures, sera en place au moins jusqu’au 15 novembre. Si le dis­po­si­tif a été jugé conforme par le Conseil consti­tu­tion­nel, ce n’est pas l’avis des cen­taines de manifestant·es qui se mobi­lisent depuis des semaines « pour la liber­té » et « contre la dic­ta­ture sani­taire ». Alors, entre impé­ra­tifs sani­taires et mesures d’exception, le passe sani­taire menace-​t-​il l’État de droit ?

Diane Roman

Professeure de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

« Il y a une res­tric­tion de liber­tés évi­dente. Mais est-​elle contraire aux droits fon­da­men­taux ? La ques­tion qu’il faut se poser, c’est celle de la pro­por­tion­na­li­té. La mesure est-​elle légi­time par rap­port à l’objectif de pro­tec­tion de la san­té ? Il faut se rap­pe­ler que la liber­té n’est jamais abso­lue. Vivre en socié­té, c’est accep­ter que sa liber­té soit res­treinte par la loi. Le gou­ver­ne­ment aurait pu opter pour la vac­ci­na­tion obli­ga­toire – comme c’est déjà le cas pour d’autres mala­dies. En avril der­nier, la Cour euro­péenne des droits de l’homme avait éta­bli que cette obli­ga­tion pou­vait être ­“néces­saire dans une socié­té démo­cra­tique”. 
Au lieu de cela, l’exécutif a fait le choix d’une inci­ta­tion, comme si la san­té publique était une affaire de choix indi­vi­duels. Et pis encore : les contrôles du passe sani­taire sont exer­cés par des par­ti­cu­liers, qui ont la charge de véri­fier des élé­ments rela­tifs à la vie pri­vée et à la san­té des per­sonnes. On assiste à une forme de pri­va­ti­sa­tion du contrôle, ce qui me paraît très problématique. »

Arié Alimi

Avocat et membre du bureau natio­nal de la Ligue des droits de l’homme

« Le passe sani­taire est un dan­ger pour la démo­cra­tie, l’État de droit et les liber­tés. Nous entrons dans un régime d’autorisation : il faut désor­mais être auto­ri­sé pour accé­der à des gestes aus­si quo­ti­diens que prendre un café ou aller au spec­tacle. Pratiquement toutes les liber­tés fon­da­men­tales sont tou­chées. 
Il y a une confu­sion entre l’urgence et l’état d’urgence, que le gou­ver­ne­ment entre­tient à des­sein. L’urgence, c’est la réa­li­té de l’épidémie. L’état d’urgence, ce sont les moyens juri­diques employés pour y faire face. L’état d’urgence sani­taire aurait pu ne durer qu’un temps, avec un retour au droit com­mun. Progressivement, on le rem­place par un droit d’exception. La liber­té n’est plus la règle, c’est l’autorisation qui devient le prin­cipe de base. 
Je lis par­fois que le virus serait le vrai res­pon­sable, or j’aimerais rap­pe­ler que la pan­dé­mie crée des morts, mais la res­tric­tion de liber­tés, elle, relève du choix poli­tique. En fai­sant pri­mer la contrainte, le gou­ver­ne­ment renonce à toute péda­go­gie et inverse les prio­ri­tés. Ce seront, une nou­velle fois, les plus fra­giles qui en sup­por­te­ront les pires conséquences. » 

Marie-​Aleth Grard

Présidente d’ATD Quart Monde
et membre du Conseil scientifique

« On ne peut répondre par oui ou par non. Il faut évi­dem­ment qu’on arrive à pro­té­ger le maxi­mum de per­sonnes, et le vac­cin semble être la solu­tion pour y par­ve­nir. Mais l’accès à la vac­ci­na­tion pour les per­sonnes les plus défa­vo­ri­sées est très com­pli­qué et la période esti­vale n’a rien arran­gé. Tout le monde n’a pas les moyens de prendre rendez-​vous sur Doctolib. Même chose pour l’accès à ­l’information sur le vac­cin. Les plus pré­caires sont à mille lieues de tout cela. 
Pour le moment, nous n’avons pas de chiffres sur le taux de vac­ci­na­tion par­mi les popu­la­tions en dif­fi­cul­té, mais je crains qu’il ne soit très faible. Je suis donc très inquiète des risques de mar­gi­na­li­sa­tion accrue, y ­com­pris dans des gestes aus­si quo­ti­diens que les sor­ties à la média­thèque ou les courses dans cer­tains centres com­mer­ciaux. 
Je pense qu’on va se retrou­ver face à une frac­ture entre ceux qui pour­ront choi­sir de se sou­mettre ou non au passe sani­taire et ceux qui ne le pour­ront pas. » 

Nicolas Hervieu

Juriste spé­cia­li­sé en droit des liber­tés et ensei­gnant à Sciences Po

« Non, il n’est pas anti­dé­mo­cra­tique au sens juri­dique du terme puisque la loi a été votée par le Parlement et contrô­lée par le Conseil consti­tu­tion­nel. Il a donc été adop­té de façon démo­cra­tique. Mais est-​il une menace pour les liber­tés ? Dans la mesure où c’est un ins­tru­ment au ser­vice de la san­té publique, il peut être consi­dé­ré comme jus­ti­fié. Mais c’est un outil sans pré­cé­dent dans notre his­toire, qui est lourd de consé­quences et doit être enca­dré et limi­té dans le temps. 
Ce dis­po­si­tif n’a de sens que tant que ­l’épidémie est au plus haut et devra dis­pa­raître dès qu’elle dimi­nue­ra suf­fi­sam­ment. En tout cas, per­sonne n’a inté­rêt à son main­tien. L’idée selon laquelle le gou­ver­ne­ment tien­drait à le conser­ver comme ins­tru­ment de contrôle social est, à mon sens, infon­dée. Tout sim­ple­ment car il existe dans notre droit d’autres ins­tru­ments de sur­veillance bien plus effi­caces et intru­sifs, récem­ment ren­for­cés par la loi ren­sei­gne­ment et ter­ro­risme. Mais peu de citoyens s’en inquiètent, ce qui est regrettable. » 

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