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Elisabeth Borne à la soirée du Cinquantenaire de l’entrée des femmes à Polytechnique, le 15 novembre 2022 à l’École militaire. ©J.Barande

Orientation sexuelle : en deman­dant le retrait de pas­sages dans sa bio­gra­phie, Élisabeth Borne ravive le débat sur l’outing des per­son­na­li­tés publiques

Le tri­bu­nal judi­ciaire de Nanterre tran­che­ra le 30 juin au sujet de l'assignation par la pre­mière ministre, Elisabeth Borne, envers les édi­tions de L'Archipel au sujet d'une bio­gra­phie qui por­te­rait atteinte, selon elle, à sa vie pri­vée en révé­lant notam­ment son orien­ta­tion sexuelle. 

La jus­tice donnera-​t-​elle rai­son à Élisabeth Borne ? L’audience qui oppose la pre­mière ministre et les édi­tions de L’Archipel a eu lieu ce mer­cre­di 24 mai devant le tri­bu­nal judi­ciaire de Nanterre (Hauts-​de-​Seine). Le dif­fé­rend porte sur des pas­sages de la bio­gra­phie La Secrète, écrite par la jour­na­liste fran­çaise Bérengère Bonte et sor­tie en librai­rie le 4 mai. Ce sont les extraits du livre fai­sant réfé­rence à la san­té, mais sur­tout à l’orientation sexuelle de la pre­mière ministre qui sont dans sa ligne de mire. 

Invoquant une atteinte à sa vie pri­vée, Élisabeth Borne a assi­gné en jus­tice l’éditeur pour qu’il sup­prime les pas­sages jugés pro­blé­ma­tiques « dans toute nou­velle édi­tion ou réim­pres­sion » de l'ouvrage, comme indique l'assignation qu'a pu consul­ter l'AFP, rap­porte 20 Minutes. Pour la pre­mière ministre, « ces infor­ma­tions ne peuvent s’inscrire dans le péri­mètre d’une légi­time liber­té d’information du public ». Elle demande éga­le­ment une astreinte de 1 000 euros par infrac­tion consta­tée. Le tri­bu­nal judi­ciaire de Nanterre a enten­du les deux par­ties cet après-​midi et doit rendre sa déci­sion le 30 juin prochain.

Biographie auto­ri­sée

Dans un com­mu­ni­qué publié le 10 mai der­nier, les édi­tions de L’Archipel ont défen­du la qua­li­té du tra­vail de Bérengère Bonte. Son livre est le « fruit d’un an d’enquête, de dizaines d’interviews, dont deux longs entre­tiens avec Élisabeth Borne, ain­si que d’autres avec des membres émi­nents de son cabi­net, de sa famille et de son cercle ami­cal proche aux­quels elle avait don­né son accord ». Il s'agissait par ailleurs de la pre­mière bio­gra­phie sur cette per­son­na­li­té politique. 

De son côté, l’autrice s’est dite « sur­prise » par cette assi­gna­tion. Pour pou­voir dres­ser le por­trait de la cheffe du gou­ver­ne­ment, Bérengère Bonte a dû batailler. Elle raconte dans le livre avoir obte­nu un pre­mier rendez-​vous avec Élisabeth Borne au bout de six mois d'âpres négo­cia­tions avec son cabi­net. « J'ai ren­con­tré la pre­mière ministre plu­sieurs fois, lon­gue­ment, devant un dic­ta­phone. J'ai ren­con­tré beau­coup de ses proches. Je pose des ques­tions sur l'existence d'un com­pa­gnon dont elle a elle-​même par­lé », a‑t-​elle expli­qué au micro de RTL le 11 mai der­nier. Élisabeth Borne, dont peu de choses filtrent sur sa vie pri­vée, avait en effet suc­cinc­te­ment évo­qué cette rela­tion au cours d’un entre­tien accor­dé au maga­zine Elle

Relation sup­po­sée avec une femme 

Parmi les proches inter­viewées par Bérengère Bonte, Clotilde Valter. La femme poli­tique et amie de longue date de la pre­mière ministre est régu­liè­re­ment pré­sen­tée dans la presse d’être ou d’avoir été la com­pagne d’Élisabeth Borne. « Au pré­texte qu’on par­tait en vacances à deux et qu’elle n’avait pas de com­pa­gnon iden­ti­fié, on était for­cé­ment les­biennes », a dénon­cé l'ancienne secré­taire d’État char­gée de la Réforme de l’État et de la sim­pli­fi­ca­tion dans le gou­ver­ne­ment de Manuel Valls, auprès de l’autrice dans le cha­pitre 12 inti­tu­lé « La couverture ».

Les asser­tions sur son orien­ta­tion sexuelle, Élisabeth Borne les a éga­le­ment balayées lors d'un entre­tien accor­dé au maga­zine Têtu en août der­nier. Interrogée sur ces rumeurs pré­ten­dant qu’elle aurait été en couple avec une femme, la pre­mière ministre déclare : « Si c’est le cas, je ne vois pas pour­quoi je ne l’aurais pas dit. » Cet été-​là, le maga­zine Closer publie des cli­chés d’Élisabeth Borne en vacances dans le sud de la France avec un homme. Chapitre clos.

Sauf qu’en enquê­tant, Bérangère Bonte apprend par plu­sieurs sources poli­tiques que la pre­mière ministre serait bien en couple ou aurait été en couple avec une femme. « Soyons clair, il ne s’agit ici de “fouiller” la vie pri­vée d’Élisabeth Borne si elle n’a aucun sens poli­tique. Mais puisque la Secrète a elle-​même évo­qué plu­sieurs fois “un com­pa­gnon”, le sérieux de mon enquête passe néces­sai­re­ment par là », jus­ti­fie Bérengère Bonte dans son livre. « Pourquoi cadenasse-​t-​elle autant sa vie pri­vée, y com­pris pas­sée ? » s’interroge-t-elle. Bérengère Bonte découvre que l’homme en ques­tion, un cer­tain Patrice Obert, adhé­rent du Parti socia­liste et ancien élu à la mai­rie de Paris s’est en réa­li­té pac­sé en 2021 avec une autre femme.

Enquêter sur une per­son­na­li­té politique ? 

« Est-​ce qu’on a le droit d’enquêter sur la pre­mière ministre dans ce pays ? J’espère que oui. Sincèrement, je ne révèle rien sur sa vie intime », s’est défen­due Bérengère Bonte au micro de RTL après l’assignation en jus­tice de la pre­mière ministre. Au-​delà du droit à enquê­ter sur une per­son­na­li­té poli­tique, cette assi­gna­tion ouvre une autre ques­tion : Élisabeth Borne aurait-​elle assi­gné les édi­tions de L’Archipel si elle était les­bienne et que le livre lui aurait prê­té une rela­tion avec un homme ? Pour Mathilde Viot, mili­tante fémi­niste et co-​animatrice de l’Observatoire des vio­lences sexistes et sexuelles en poli­tique, la réponse est non. « Je m’en fiche com­plè­te­ment de son orien­ta­tion sexuelle, qu’elle soit asexuelle, homo­sexuelle ou hété­ro­sexuelle, assure Mathilde Viot à Causette. Par contre, atta­quer un bou­quin parce qu’il révèle son orien­ta­tion sexuelle me dérange. » Elle explique : « Si on lui avait prê­té une vie d’hétérosexuelle dans un bou­quin alors qu’elle serait les­bienne, je ne pense pas qu’elle aurait atta­qué le livre pour atteinte à la vie pri­vée. En réa­li­té, der­rière cette stig­ma­ti­sa­tion, il y a le mes­sage de dire “atten­tion, c'est grave d’accuser quelqu’un d’être homo­sexuel sans preuve” ».

Pour Mathilde Viot, cette pro­cé­dure judi­ciaire envoie sur­tout un mes­sage poli­tique fort. « Il y a une forme de cri­mi­na­li­sa­tion morale de la les­bian­ni­té alors qu’on se bat depuis des années pour jus­te­ment nor­ma­li­ser nos orien­ta­tions sexuelles », estime la mili­tante qui craint des consé­quences délé­tères sur les jeunes les­biennes. « Ça envoie le mes­sage que les femmes per­çues comme les­biennes – que ce soit vrai ou pas – doivent se cacher », condamne-​t-​elle.

Informations d'intérêt général ? 

Interrogée par Mediapart, l’avocate d’Elisabeth Borne, Me Émilie Sudre, affirme que Bérengère Bonte « accré­dite, col­porte des rumeurs » d’homosexualité « au pré­texte de témoi­gnages ano­nymes et de rac­cour­cis ». « Est-​ce un débat d’intérêt géné­ral de par­ler de l’orientation sexuelle d’Élisabeth Borne ? Je ne pense pas », a‑t-​elle pour­sui­vi auprès du média d’investigation. Cela ouvre néan­moins un autre débat : les per­son­na­li­tés poli­tiques doivent-​elles ouver­te­ment par­ler de leur homo­sexua­li­té afin d’asseoir la repré­sen­ta­ti­vi­té des per­sonnes LGBT+ et de sou­te­nir ain­si les ano­nymes ? En février 1999, l’association de lutte contre le sida Act Up avait mena­cé d’utiliser l’outing (le fait de révé­ler publi­que­ment l’homosexualité d’une per­sonne sans son consen­te­ment) à l’encontre d’un dépu­té de droite qui avait par­ti­ci­pé à une mani­fes­ta­tion anti-Pacs.

Il faut rap­pe­ler que si l’outing peut, pour certain·es, aider la lutte LGBT+, l’action peut aus­si engen­drer des vio­lences pour la per­sonne outée. L’adjoint à la mai­rie de Paris et mili­tant contre le sida Jean-​Luc Romero en a fait les frais en 2000, lorsque le maga­zine gay E‑M@le révèle son homo­sexua­li­té. « J’avais pré­vu de faire l’annonce moi-​même un mois plus tard, avait réagi Jean-​Luc Romero auprès de 20 Minutes 4 ans plus tard. Cela aurait été beau­coup moins violent, et sur­tout, j’aurais eu le temps d’en par­ler avec ma mère. Elle a été très ébran­lée. Politiquement, j’ai été mar­gi­na­li­sé pen­dant deux ans. J’ai dû me reti­rer de la cam­pagne des muni­ci­pales […]. J’étais deve­nu une sorte de pédé honteux. »

Autre point : l’orientation sexuelle d’une per­son­na­li­té poli­tique est-​elle de l’ordre de l’intérêt géné­ral ? En 2013, le blo­gueur poli­tique Octave Nitkowski publiait un livre sur l’homosexualité et le Front natio­nal dans lequel il révé­lait l’homosexualité de Steeve Briois, maire Front natio­nal d’Hénin Beaumont (Pas-​de-​Calais). Poursuivi en jus­tice par l’élu, l’auteur avait fina­le­ment pu conser­ver les pas­sages concer­nant Steeve Briois, les juges esti­mant en 2015 que « le droit du public à être infor­mé » de l’homosexualité de Steve Briois pri­mait sur « le droit au res­pect de ce pan de sa vie pri­vée ». En 2017, la Cour d’appel de Paris avait fina­le­ment condam­né Octave Nitkowski pour atteinte à la vie pri­vée à payer 4 000 euros de dom­mages et inté­rêts à Steeve Briois. Un an plus tard, la Cour de cas­sa­tion annu­lait fina­le­ment la condam­na­tion de l’auteur. Preuve que la ques­tion est loin d’être tran­chée. En ce qui concerne Élisabeth Borne, elle le sera le 30 juin prochain. 

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