whatsapp image 2022 04 15 at 18.11.19
© AT

« On a vécu la même guerre » : à la mani­fes­ta­tion pour que les étudiant·es étranger·ères ayant fui l’Ukraine ne soient pas expulsé·es

Une cen­taine d’étudiant·es ont mani­fes­té place du Panthéon à Paris jeu­di 14 avril pour deman­der la régu­la­ri­sa­tion et l’inscription dans les uni­ver­si­tés de tous·tes les étudiant·es réfugié·es d’Ukraine, sans dis­tinc­tion de natio­na­li­té. Parmi eux·elles, Aladin, un jeune étu­diant algé­rien qui a fui les bombes pour arri­ver jusqu’en France mais ne peut désor­mais plus étudier. 

Trois. C’est le nombre de jours qu’il reste à Aladin avant de rece­voir une pos­sible obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais (OQTF). Si l’étudiant en ingé­nie­rie micro­élec­tro­nique de 30 ans a fui de Kiyv les bombes russes en mars comme des mil­liers d’autres, il ne dis­pose pas de la natio­na­li­té ukrai­nienne mais est Algérien. La natio­na­li­té ukrai­nienne est indis­pen­sable pour accé­der à la pro­tec­tion tem­po­raire immé­diate accor­dée par l’Union euro­péenne aux réfugié·es fuyant l’Ukraine. Aladin, comme plus de 200 étudiant·es dans la même situa­tion en France, ne peut pas s’inscrire dans les uni­ver­si­tés fran­çaises pour pour­suivre son cursus. 

Mobilisation étu­diante

Une dif­fé­rence de trai­te­ment jugée « indigne » et « raciste » par plu­sieurs orga­ni­sa­tions poli­tiques étu­diantes, qui ont déci­dé d’engager un bras de fer avec les pré­si­dences d’université et le gou­ver­ne­ment. Dans ce cadre, iels étaient une cen­taine à mani­fes­ter, place du Panthéon, hier soir dans le Vème arron­dis­se­ment de Paris. Le rendez-​vous avait été don­né à 18 h à l’initiative du Poing levé, orga­ni­sa­tion poli­tique étu­diante pré­sente dans les uni­ver­si­tés de Paris 1 et Paris 8, pour deman­der l’inscription et la régu­la­ri­sa­tion de tous·tes les étudiant·es réfugié·es venant d’Ukraine, sans dis­tinc­tion de nationalité.

C’était d’ailleurs une jour­née pla­cée sous le signe de la mobi­li­sa­tion étu­diante et de la conver­gence des luttes, car, plus tôt dans la jour­née, entre 200 et 300 étudiant·es s’étaient réunis à quelques pas de la place du Panthéon, devant la Sorbonne, pour pro­tes­ter contre l’affiche du second tour de la présidentielle. 

« Le tri des réfugiés »

Devant les grilles du Panthéon, des militant·es étudiant·es et des étudiant·es étranger·ères se suc­cèdent au micro, pour dénon­cer ce qu’iels appellent « le tri des réfu­giés » orga­ni­sé par l’Union euro­péenne. « On ne veut pas mettre en oppo­si­tion les étu­diants ukrai­niens et les étu­diants étran­gers, mais on sou­haite qu’ils aient tous droit à la même pro­tec­tion, assure Alexis Taieb étu­diant et mili­tant au Poing levé à CausetteIls sont eux-​aussi tou­chés per­son­nel­le­ment par la guerre mais sont exclus des pro­tec­tions, c’est inad­mis­sible. On demande au gou­ver­ne­ment et aux pré­si­dences d’université que tous les réfu­giés soient immé­dia­te­ment ins­crits gra­tui­te­ment dans les filières de leur choix. » 

Les pays de l’UE ont effec­ti­ve­ment accep­té, le 4 mars der­nier, d’accorder « une pro­tec­tion tem­po­raire » aux réfugié·es de natio­na­li­té ukrai­nienne fuyant la guerre en Ukraine pour leur per­mettre de séjour­ner dans l’Union euro­péenne pen­dant un an renou­ve­lable. Un cadre favo­rable leur per­met­tant d’étudier, de tra­vailler ou encore d’accéder à un loge­ment en France tout étant dispensé·es de faire une demande d’asile. Entre le 9 et le 14 mars, ce sont ain­si quelque 1 500 pro­tec­tions tem­po­raires qui ont été déli­vrées par les pré­fec­tures fran­çaises, très majo­ri­tai­re­ment à des Ukrainien·nes. 

Car ce dis­po­si­tif s’applique seule­ment aux Ukrainien·nes, aux conjoint·es étranger·ères d’Ukrainien·nes ain­si qu’aux étranger·ères ayant en Ukraine le sta­tut de réfugié·es. Les étudiant·es étranger·ères qui vivaient en Ukraine mais ne dis­posent pas de la natio­na­li­té ukrai­nienne ne sont donc pas concerné·es. Une ins­truc­tion du gou­ver­ne­ment datant du 10 mars pré­cise ain­si que sont exclu·es de la pro­tec­tion « les res­sor­tis­sants de pays tiers qui sont en mesure de rega­gner leur pays d’origine dans des condi­tions sûres et durables ». Une dis­po­si­tion qui exclut de fait nombre d’étudiant·es étranger·ères, dont beau­coup pro­viennent du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest et qui ont choi­si la France parce qu’iels parlent déjà la langue. 

« Pas venu pour la Tour Eiffel »
photo 2022 04 15 18 11 50
Aladin © AT

C’est donc le cas d’Aladin, ren­con­tré jeu­di soir lors de la mani­fes­ta­tion pari­sienne devant le Panthéon. « Il paraît que de grands hommes sont enter­rés ici » dit-​il avec un grand sou­rire, acco­lé aux grilles du monu­ment. « Il paraît », car les pré­oc­cu­pa­tions d’Aladin, 30 ans, depuis son arri­vée en France, il y a un mois, ne sont pas au tou­risme. « Je ne suis pas venu pour prendre des pho­tos de la Tour Eiffel, d’ailleurs je n’y ai même pas mis un pied, je suis juste venu pour finir mes études, en tout cas essayer », explique-​t-​il à Causette. 

Fuir la guerre 

Aladin a quit­té son Algérie natale à 28 ans après avoir obte­nu son mas­ter en micro­élec­tro­nique. « Je ne pou­vais pas pas­ser de doc­to­rat dans mon pays alors je suis par­ti ailleurs », raconte-​il. Aladin choi­sit l’Ukraine en rai­son « des études peu coû­teuses, de la vie moins chère et de la faci­li­té d’obtention des visas ». L’Ukraine comp­tait en 2020 quelque 61 000 étudiant·es étranger·ères, dont 17 379 Africain·es, d’après les der­niers chiffres dis­po­nibles de l’Unesco. Aladin pré­cise avoir payé 3 000 euros pour son visa étu­diant et 2 000 pour une année de doc­to­rat en Ukraine. 

whatsapp image 2022 04 15 at 18.11.20
La cave dans laquelle Aladin est res­té
plu­sieurs jours © Aladin

Aladin vivait dans un petit stu­dio de Kyiv lorsque la guerre a écla­té le 24 février. Il a vu de sa fenêtre les blin­dés russes péné­trer dans la capi­tale ukrai­nienne. « Le pre­mier mis­sile a été tiré à 5 km de chez moi, souffle-​t-​il. J’ai appe­lé l’ambassade d’Algérie qui m’a répon­du de res­ter chez moi, au début j’ai cru que la guerre ne dure­rait pas. »Au bout du cin­quième jour, l’étudiant prend son sac à dos et se rend à la gare de Kyiv pour prendre un train vers la Pologne. Mais sur place, Aladin se heurte au refus des gardes-​frontières qui ne laissent mon­ter que les femmes et les enfants à bord des trains. « J’ai dit que j’étais étran­ger mais ils m’ont frap­pé et m’ont visé avec un fusil », déclare-​t-​il.

L’étudiant réus­sit fina­le­ment à prendre in extre­mis un train, sans connaître sa des­ti­na­tion. Manque de chance, ce der­nier l’emmène au cœur de l’Ukraine où il est accueilli une dizaine de jours par une famille ukrai­nienne. « J’ai vu des cadavres, j’ai vécu plu­sieurs jours dans une cave humide où on enten­dait conti­nuel­le­ment la sirène, j’étais ter­ri­fié », sou­pire le jeune homme. Tous les jours, Aladin marche vingt kilo­mètres jusqu’à la gare, en vain. Les gardes-​frontières refusent tou­jours de faire mon­ter les hommes, alors même qu’Aladin ne dis­pose pas de la natio­na­li­té ukrai­nienne et n’est donc nor­ma­le­ment pas sou­mis à la mobi­li­sa­tion géné­rale mise en place par le pré­sident Zelensky au début de la guerre.

Attente

C’est de la voi­ture d’un ami que vien­dra le salut pour Aladin. La route vers la Pologne dure trois jours au lieu des dix heures habi­tuelles. « Il y avait énor­mé­ment de cir­cu­la­tion, on était arrê­tés tous les 20 kilo­mètres, à chaque fois on avait peur qu’ils ne nous laissent pas pas­ser, ils ne vou­laient même pas par­ler aux étran­gers », témoigne-​t-​il. Arrivé à la fron­tière polo­naise, Aladin, comme les autres étudiant·es étranger·ères, est pla­cé dans une file d’attente. « Ils ont mis les Ukrainiens d’un côté et nous de l’autre, raconte-​il. J’ai sen­ti le racisme immé­dia­te­ment, la file des Ukrainiens avan­çait beau­coup plus vite que la nôtre. » 

whatsapp image 2022 04 15 at 18.11.20 1
Ukraine-​France, un très long périple © Aladin

Au bout de plu­sieurs heures d’attente, Aladin finit par entrer en Pologne. Puis, direc­tion l’Allemagne avant d’atterrir à Paris, le 12 mars. Avec d’autres étudiant·es réfugié·es, il se rend immé­dia­te­ment à la pré­fec­ture. « Les auto­ri­tés ont régu­la­ri­sé le séjour des Ukrainiens, par contre, nous les étran­gers, ils nous ont don­né un mois pour quit­ter la France alors qu’on a galé­ré ensemble, on a vécu la même guerre, les mêmes atro­ci­tés », explique le jeune homme. Depuis un mois, l’étudiant est héber­gé dans un hôtel pari­sien du XIIIème arron­dis­se­ment grâce à une asso­cia­tion qui vient en aide aux réfugié·es. Il espère désor­mais pou­voir pour­suivre son doctorat. 

« J’ai tout quit­té en Algérie pour pou­voir faire des études, avoir une belle vie et j’ai l’impression d’avoir fait tout cela pour rien. »

Aladin.

Si Aladin a gar­dé son sou­rire, il reste très inquiet pour la suite. « Je ne sais pas ce que je vais faire, peut-​être que je vais devoir vivre ici illé­ga­le­ment en tant que sans papier. J’ai tout quit­té en Algérie pour pou­voir faire des études, avoir une belle vie et j’ai l’impression d’avoir fait tout cela pour rien, je n’ai pas d’avenir pro­fes­sion­nel dans mon pays », déplore-​t-​il, désespéré.

La mani­fes­ta­tion place du Panthéon s’est inter­rom­pue. Une mili­tante vient de prendre le micro pour aler­ter que la police est en train de délo­ger la cen­taine d’étudiant·es mobilisé·es depuis mer­cre­di à l’intérieur de l’université de la Sorbonne, pour pro­tes­ter contre l’affiche du second tour de la pré­si­den­tielle. Pour les sou­te­nir, la foule des­cend alors la rue Soufflot, direc­tion la Sorbonne située à quelques pas. Sur le che­min, nous ren­con­trons Oussama, 25 ans qui lui aus­si a quit­té l’Algérie pour pour­suivre un doc­to­rat en toxi­co­lo­gie en Ukraine. Il est arri­vé à Kryvierog il y a quatre mois. 

"Je demande seule­ment à étu­dier, c’est tout"
photo 2022 04 15 18 12 22
Oussama © AT

Lorsque la guerre a écla­té, Oussama a mar­ché 45 kilo­mètres pour rejoindre la fron­tière polo­naise. « C’était très dur, on a atten­du debout pen­dant deux jours dans le froid, il fai­sait ‑13 degrés la nuit, les gens tom­baient malades, on avait faim », confie le jeune homme dans un fran­çais par­fait. Oussama est arri­vé en France le 10 mars mais n’a pas encore pris rendez-​vous avec la pré­fec­ture. « Je sais qu’ils vont me dire de repar­tir en Algérie mais je ne peux pas conti­nuer mes études là-​bas, je demande seule­ment à étu­dier, c’est tout », implore-​t-​il. 

Notre inter­view avec Oussama s’arrête net. Quelques mètres plus bas, les étudiant·es courent affolé·es dans l’autre sens et du gaz lacry­mo­gène s’échappe de la rue Cujas où les policier·ères viennent de ripos­ter contre les jeunes. Tard dans la soi­rée, les étudiant·es qui occu­paient la Sorbonne ont fina­le­ment quit­té les lieux après une jour­née de rassemblement. 

Partager
Articles liés
l1005718

Aides aux exi­lées : les femmes au taquet

Parmi les bénévoles de l’aide aux migrant·es et aux réfugié·es, il n’y a quasiment que des femmes. Ce sont elles qui, à tous âges, nourrissent, orientent et défendent l’humanité des déraciné·es. De Calais à la campagne jurassienne en passant par la...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.