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A la manifestation Nous Toutes parisienne, le 19 novembre 2022 © Causette

Nous Toutes lance une inter-​organisation pour « don­ner une vision plus repré­sen­ta­tive des fémi­ni­cides en France »

Nous Toutes, l'association Acceptess‑T, la Fédération Parapluie Rouge et le col­lec­tif Les Dévalideuses ont lan­cé, en début d'année, une inter-​organisation avec pour but « d’étendre le décompte des fémi­ni­cides au-​delà des seuls fémi­ni­cides conju­gaux ». Causette a inter­ro­gé deux des ini­tia­trices pour éclai­rer cette défi­ni­tion élar­gie du féminicide.

En jan­vier 2022, Nous Toutes déci­dait de réa­li­ser son propre décompte des fémi­ni­cides après la tenue de pro­pos du groupe Féminicides par conjoint ou ex, pion­nier dans la recen­sion de ces crimes, que le col­lec­tif jugeait trans­phobes. Un an après, Nous Toutes lance, avec l'association Acceptess‑T, la Fédération Parapluie Rouge et le col­lec­tif Les Dévalideuses, une inter-​organisation avec pour but « d’étendre le décompte des fémi­ni­cides au-​delà des seuls fémi­ni­cides conju­gaux ». Entretien.

Causette : Selon vos cal­culs, com­bien de fémi­ni­cides ont eu lieu en 2022 ?
Maëlle Noire (Nous Toutes) : On en recense à peu près 147 pour l'instant. Il y a encore des cas qui sont en cours de véri­fi­ca­tion, donc ce n'est pas un chiffre fixe.

Causette : Pourquoi avez-​vous sen­ti le besoin de chan­ger votre manière de les décomp­ter ?
M.N. :
En jan­vier 2022, on s'est déso­li­da­ri­sé du col­lec­tif dont on par­ta­geait le décompte des fémi­ni­cides depuis 2018, en rai­son de leurs pro­pos. On s'est aus­si dit que limi­ter le champ du décompte des fémi­ni­cides aux couples excluait de fait plein de meurtres de femmes. Il nous est appa­ru impor­tant de conti­nuer à faire un décompte mais plus repré­sen­ta­tif de l'état des vio­lences fémi­ni­ci­daires. En paral­lèle, on a contac­té d'autres orga­ni­sa­tions pour essayer de voir com­ment on pou­vait mutua­li­ser nos exper­tises et tra­vailler ensemble, notam­ment pour avoir accès à des don­nées de ter­rain. On sou­hai­tait évo­luer pour pou­voir essayer de don­ner une vision plus repré­sen­ta­tive des fémi­ni­cides en France.

Causette : En France, on uti­lise le terme « fémi­ni­cide » dans un contexte conju­gal. Or, le mot est né sur le conti­nent amé­ri­cain, pour qua­li­fier en pre­mier lieu les meurtres de femmes pros­ti­tuées. Votre nou­velle défi­ni­tion se rapproche-​t-​elle de l'acceptation élar­gie de l'ONU, qui prend en compte tous les meurtres où pré­vaut une dimen­sion de genre ?
Maud Royer (Acceptess‑T) :
Pour nous, un fémi­ni­cide cor­res­pond au meurtre ou sui­cide for­cé d’une femme en rai­son de son genre, et ce quel que soit son âge ou les cir­cons­tances. Les fémi­ni­cides s’inscrivent dans un contexte de vio­lences patriar­cales sys­té­miques et/​ou au croi­se­ment d'autres sys­tèmes d’oppression.
Notre défi­ni­tion inclut donc les femmes qui étaient invi­si­bi­li­sées dans le pré­cé­dent décompte, c'est-à-dire les plus pré­ca­ri­sés, mais aus­si les formes de vio­lence les moins relayées média­ti­que­ment, à savoir les vio­lences dans l'espace public ou les vio­lences à l'encontre des tra­vailleuses du sexe, des femmes trans et des femmes migrantes. On a ain­si vou­lu créer cette défi­ni­tion la plus inclu­sive pos­sible et qui ne place pas au centre la conju­ga­li­té comme un espace qui serait sup­po­sé à part dans le patriar­cat. En réa­li­té, les vio­lences ont lieu par­tout, aus­si bien dans le couple qu'ailleurs, mais elles ne sont pas plus anor­males dans le couple que dans l'espace public.

À lire aus­si I Violences conju­gales : les nou­velles mesures annon­cées par Élisabeth Borne et Isabelle Rome

Causette : Sortir des vio­lences conju­gales, cela ne rend-​il pas plus dif­fi­cile de savoir com­ment comp­ta­bi­li­ser un fémi­ni­cide ? Votre défi­ni­tion est aus­si très large.
M.N. : Nous res­tons concen­trées sur la nature gen­rée du crime et le fait que ce crime soit basé sur le sys­tème de pou­voir patriar­cal. D'autres sys­tèmes de pou­voir peuvent être imbri­qués aus­si. Nous cher­chons à éta­blir s'il y a eu, ou pas, vio­lence patriar­cale.
Je pense à un fémi­ni­cide, par exemple, qui avait eu lieu lors d'un cam­brio­lage chez une femme âgée. On voyait très bien que l'homme s'était achar­né, vrai­ment de manière extrê­me­ment vio­lente, sur la femme âgée avant de la voler. Pour nous, cela est un fémi­ni­cide parce qu'il y a une inten­si­té des vio­lences qui est à ran­ger dans le champ des vio­lences patriar­cales. Il faut attendre d'avoir un nombre suf­fi­sant d'informations pour pou­voir carac­té­ri­ser un fémi­ni­cide. C'est pour cette rai­son qu'il existe par­fois des fémi­ni­cides qui ne sont recen­sés que plu­sieurs jours, voire plu­sieurs semaines, après qu'ils ont eu lieu.
M.R. : Il s'agit d'un exer­cice très com­pli­qué, c'est aus­si pour ça qu'on a une défi­ni­tion extrê­me­ment large, afin de nous don­ner une marge de manœuvre dans la carac­té­ri­sa­tion. En ce moment, on est en train de tra­vailler sur des typo­lo­gies de fémi­ni­cides pour pou­voir les clas­ser selon leur nature et les carac­té­ri­ser de manière plus précise.

Causette : Qu'apporte cette nou­velle inter-​organisation ?
M.N. : Nous Toutes n'est pas une orga­ni­sa­tion qui accueille du public. On ne fait que de la sen­si­bi­li­sa­tion et on n'est, de fait, pas au contact des vic­times ou des familles des vic­times. L'idée est donc jus­te­ment de pou­voir béné­fi­cier des connais­sances de ter­rain des autres col­lec­tifs. Parfois, des fémi­ni­cides ne sont pas relayés par les médias. Ce sont les per­sonnes qui tra­vaillent avec les vic­times ou les familles de vic­times qui peuvent nous les faire remonter.

Causette : Depuis le 1er jan­vier, com­bien de fémi­ni­cides ont-​ils été décomp­tés avec cette nou­velle défi­ni­tion ?
M.N. : On en est à quatre. Mais dans les jours qui suivent, il va y en avoir d'autres. Certains sont encore en cours d'identification. Il me semble que l'on va atteindre une dizaine de fémi­ni­cides bientôt.

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