Plus de 15.000 personnes ont signé, ce mercredi, une pétition du média Paint demandant la suppression de l'émission Touche pas à mon poste !, après un numéro consacré aux enfants transgenres à l'école, avec comme invitée Sophie Audugé, de l'association SOS Education.
Au lendemain d'un débat sur les enfants transgenres à l'école au sein de l'émission Touche pas à mon poste ! (TPMP), le média en ligne Paint dit stop. Le compte, spécialisé dans les questions LGBT+, a lancé mardi une pétition demandant la suppression du programme diffusé sur C8, affirmant notamment que l'existence des gays, lesbiennes, bi·es et trans « n'est pas un débat ».
Les fondateur·trices de Paint, Cédric et Aline Feito, ouvertement homosexuel et lesbienne, souhaitent voir l'arrêt de l'émission présentée par Cyril Hanouna notamment « parce que l'ignorance et la désinformation mènent à la haine et à la violence, parce que cette émission ne fait qu'encourager les propos de l'extrême droite, parce qu'[ils·elles] n'en peuvent plus de toute cette haine qui fait monter les LGBTphobies en France et parce qu'en 2023, [ils] ne laiss[ent] plus rien passer ». Le texte a dépassé les 15.000 signatures, ce qui en fait l'un des plus signés sur le site Change.org, indique ce dernier.
« Luttes de sexe et de genre »
Lundi soir, Cyril Hanouna et son équipe ont reçu Sophie Audugé, déléguée générale de l'association SOS Education, qui n'est réellement présentée à aucun moment, sauf lorsque Gilles Verdez, à la toute fin de l'émission, assure que l'association « est très marquée à droite et à l'extrême droite ». Dans une enquête, Le Monde révèle qu'elle fait partie d'une galaxie d'associations lancées par la famille Laarman. Qu'elle est connue pour s'être opposée en 2007 et en 2014 à l'exposition Zizi sexuel du dessinateur Zep ou pour avoir un hiérarchique ayant utilisé une fausse adresse mail au nom d’Emmanuel Macron pour envoyer une pétition provenant d’un site d’extrême droite.
L'objectif de ce nouveau numéro de Touche pas à mon poste !, ce lundi soir, est de s'interroger sur : « Changement de genre à l'école : faut-il s'inquiéter ? » Rien dans l'actualité des dernières semaines n'est pourtant en lien avec cette thématique, mais consacre néanmoins l'ensemble de sa première partie (17 minutes) et près de la moitié de sa deuxième partie (19 minutes) à discuter d'un sujet qu'il intègre à son « Doss du jour ». Sophie Audugé, qui n'a jamais travaillé au sein de l'Éducation nationale selon son profil Linkedin, est là pour défendre la pétition lancée par son association pour dire « non à l'idéologie du genre qui fait croire aux enfants qu'ils peuvent changer de sexe d'un coup de baguette magique ».
Selon cette pétition, « la transidentité n’est pas un fait », mais « une idéologie militante transhumaniste » et « une illusion dangereuse ». « L’être humain peut changer son apparence de genre… Mais il ne peut pas changer de sexe. La médecine peut modifier l’apparence d’une personne… Mais pas le regard qu’elle porte sur elle-même », affirme-t-elle encore. Sur le plateau de TPMP, Sophie Audugé est plus mesurée, mais affirme tout de même qu'aujourd'hui, en France, on a adopté le modèle de « l'affirmation du genre ressenti » : « On considère aujourd'hui d'un point de vue de société qu'il n'y a plus de sexe biologique, on ne reconnaît pas le sexe de naissance de l'enfant, et on considère que l'enfant doit s'autodéterminer quel que soit son âge, mais surtout quelle que soit son histoire de vie, son parcours personnel et ça sans aucune limite d'âge, ça peut être à 3 ans 4 ans, 5 ans, 10 ans, 15 ans… » Avant de conclure : « On est passés d'une période où on pouvait être dans la lutte des classes à des luttes de sexe et de genre. (…) On considère dramatique d'installer cette idédologie dans l'école, alors qu'on sait bien que de nombreux pays font marche arrière car c'est dangereux pour la santé mentale et physique des enfants. »
Aucun·e expert·e, psychologue, professeur·e ou membre d'une association trans est présent·e pour argumenter ou contredire ce qu'elle avance. Sur neuf chroniqueur·euses, sept pensent comme elle qu'il faut s'inquiéter du changement de genre à l'école. Seulement deux estiment que non, et n'ont droit qu'à un temps de parole infiniment plus court et ponctué de moqueries et d'invectives : « N'importe quoi », « Tu dis des conneries toi », « C'est à cause des Wokes », « C'est de la folie, on marche sur la tête », « Donne tes sources », « C'est la pression des lobbies »…
« On touche aux enfants d'une façon absolument folle et stupide »
Le sujet, complexe, est nourri d'arguments qui n'ont aucun fondement sociologique ou scientifique. Sophie Audugé affirme par exemple que si les jeunes filles s'interrogent sur le fait de transitionner, ce serait pour certaines en partie en raison de l'« hypersexualisation actuelle » : « Quand vous êtes adolescente, avec l'hypersexualisation actuelle et l'obsession du paraître, les jeunes filles ne sont pas toutes comme Kim Kardashian et à ce titre-là elles se disent : "Mais si je ne suis pas Kim Kardashian, est-ce que je suis vraiment une fille?" Et à ces questions-là il faut prendre le temps de la réflexion. On a une génération précédente qu'on a éduquée, parce que là il faut savoir aussi qu'on prend l'éducation aux parents, on prend l'éducation et l'autorité parentale pour instruire non pas les enfants, mais pour les éduquer de la manière dont on considère qu'il faudrait les éduquer, c'est-à-dire dans la déconstruction et le wokisme. »
Elle est rejointe par l'animateur Karl Zéro, invité également dans l'émission et qui a interviewé la déléguée générale de l'association SOS Education pour son magazine L'envers des affaires : « 80% ce sont des filles qui veulent changer de sexe à cause de Tiktok et d'Instagram, elles se disent : "Ah j'ai pas le niveau, je vais être un garçon finalement." (…) On est dans la folie pure, on marche sur la tête. Je m'occupe des enfants, je me dis on touche aux enfants d'une façon absolument folle et stupide. Il faut arrêter cette machine lancée. C'est évidemment pas contre les LGBT. On a soutenu leur combat. Il y a eu des bonnes choses de Mai 68, ça en fait partie, il faut le reconnaître. Il faut bien leur expliquer qu'on n'est pas contre eux. On leur dit juste un truc : "Pas les enfants, attendez qu'ils soient pubères." »
Une réalité plus complexe et nuancée
Dans un rapport remis en janvier 2022 au gouvernement, après une saisine du ministère de la Santé faite à deux acteurs de terrain de la prise en charge des personnes trans, le Dr Hervé Picard, médecin généraliste et médecin de santé publique, et Simon Jutant, de l’association ACCEPTESS‑T, la réalité s'avère plus nuancée. Ils expliquent que l'accompagnement des mineur·es « apparaît comme un sujet particulièrement délicat » : « Face à un nombre croissant depuis 10 ans de mineurs en interrogation de genre et en demande de transition, les réponses apparaissent insuffisantes et géographiquement mal réparties. L’accompagnement des mineurs appelle des réponses fines, globales et réactives, adossées à des recommandations scientifiquement étayées. Il s’agit d’abord d’accueillir sans a priori les questionnements d’identité de genre de ces mineurs, tout en les restituant dans une approche globale de leurs problématiques adolescentes et de permettre à ces jeunes de s’orienter, ou non, vers un parcours de transition. »
Les deux auteurs rappellent « qu'il s’agit aussi de prendre en compte les facteurs de sur-vulnérabilité qui concernent nombre d’adolescents trans (déscolarisation, comportements suicidaires, troubles psychiques, troubles du spectre autistiques…) ». Le taux de dépression et le suicide des personnes trans ont, eux aussi, été abordés par les chroniqueur·ses Gilles Verdez et Géraldine Maillet, mais ont aussitôt été raillés par les autres personnes en plateau. Le Dr Hervé Picard et Simon Jutant soulignent, enfin, que les traitements hormonaux s'amorcent « souvent autour de l’âge d’entrée au lycée vers 15 ans », que le recours à la chirurgie est « exceptionnel avant la majorité » et que « le recours aux bloqueurs de puberté au tout démarrage de cette dernière semble concerner un petit nombre de mineurs ».
Et contrairement à ce qu'affirme, encore, Sophie Audugé, à savoir que les traitements médicamenteux pris par les personnes trans sont « très lourds et irréversibles » et que les bloqueurs de puberté empêchent un·e enfant d'avoir « la possibilité de savoir ce que c'est que le désir sexuel », la psychiatre Anne Bargiacchi tient un discours tout autre auprès de RTL. « Ce n'est pas une démarche irréversible », assure-t-elle, avant de préciser qu'en cas d'arrêt des bloqueurs « la sécrétion spontanée des hormones reprendra alors son cours, ce qui réenclenchera le développement pubertaire ». « Les bloqueurs de puberté ont pour but de laisser le temps à l'enfant de définir plus précisément l'identité de genre à laquelle il veut appartenir. (…) La transition est une évolution possible, mais ce n'est pas la plus fréquente. (…) Il y a une idée très parcellaire et caricaturale de ce qu'est être un enfant ou un adolescent trans. On peut penser que si un enfant exprime une transidentité ou un questionnement sur le genre, l'étape ultime est la transition complète, qu'il met le doigt dans un engrenage et qu'il va en arriver à la chirurgie. Pourtant, ce n'est pas représentatif de la totalité des situations », explique enfin la psychiatre spécialisée dans l’accompagnement des enfants et des adolescent·es.
L'association SOS Education squatte déjà depuis plusieurs années les médias pour parler du danger du « wokisme », de « l'islamo-gauchisme » et de « l'idéologie transgenre » : dans Causeur en janvier 2022, dans Causeur toujours en mai 2022, dans une vidéo du Figaro le même mois, ou encore sur SUD Radio en octobre 2022. Ultra-présente, Sophie Audugé intervient également régulièrement sur Cnews, qui appartient comme C8 au groupe Bolloré. Si elle assure dans TPMP que « la parole sur ce débat n'est pas apaisée mais censurée », son omniprésence médiatique semble pourtant prouver le contraire.