Cette surdouée en mathématiques est l’une des premières femmes astronomes. Tendre complice de Jérôme Lalande, elle sera à la pointe des travaux des Lumières. Elle est restée dans l’Histoire sous le nom de « La belle Hortense », à cause d’une plante découverte par un ami explorateur qui la lui avait dédiée. Des siècles plus tard, on donna son nom à un cratère de la Lune. Elle aurait adoré.
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Nicole-Reine Étable de la Brière naît en janvier 1723, dans le palais du Luxembourg où habite sa famille. Son père est attaché au service de la reine d’Espagne, Élisabeth d’Orléans. Nicole-Reine est une enfant sage, puis une jeune fille studieuse qui montre bientôt un don certain pour les mathématiques. Elle est également passionnée par les sciences, un goût bien inhabituel pour une fille. Nicole-Reine a une vingtaine d’années lorsque le palais du Luxembourg est doté d’une horloge d’exception, créée par les frères Lepaute. Un événement, car ce sont des génies dans leur partie, reconnus dans toute l’Europe. L’horlogerie est alors un domaine qui enthousiasme les intellectuels, jalonné d’importantes découvertes et de polémiques passionnées. Nicole-Reine est, évidemment, très intéressée par l’objet, puis par l’un des frères, Jean-André. Celui-ci est intrigué par cette jeune femme qui pose des questions si pertinentes. Rapidement une idylle se noue, et même une collaboration intense autour des travaux d’horlogerie… qui se conclue par un mariage d’amour, une rareté au siècle des lumières.
Avec son mari et grâce à son soutien, Nicole-Reine développe son talent de mathématicienne. Elle est dotée d’une capacité hors du commun pour le calcul. Lorsque Jean-André est nommé Horloger du roi, le couple se voit attribuer un appartement « de fonction » dans le palais du Luxembourg. C’est donc là, encore, que la jeune femme rencontre le deuxième homme de sa vie.
La coupole du Luxembourg est alors un observatoire dévolu à l’Académie des sciences. Un jeune et brillant astronome squatte les lieux : Jérôme Lalande. Au XVIIIe siècle, astronomie et horlogerie sont deux domaines indissociables. Inévitablement, Lalande et les époux Lepaute se croisent dans les mêmes salons, échangent idées et découvertes. Ils finissent par écrire ensemble un traité d’horlogerie qui fera date, mais qui sort sans le nom de la jeune femme, comme c’est de coutume à l’époque. Lalande ne manquera cependant jamais une occasion de la citer. Ainsi, révèle-t-il dans une lettre : « Le nom de son mari [Lepaute, ndlr] est célèbre par un fort beau Traité de l’horlogerie, dont on a admiré le style parce que c’est elle qui a présidé à cette partie. »
En 1757, Jérôme Lalande propose au mathématicien Alexis Clairaut d’entreprendre la vérification de la prédiction de Halley, sur le fameux retour de la comète. Il forme Nicole-Reine aux subtilités de l’astronomie et l’embauche pour les monstrueux calculs que nécessitent ces travaux. « Pendant plus de six mois, nous calculâmes depuis le matin jusqu’au soir, et quelquefois même à table », racontera-t-il. Un dur labeur couronné de succès pour le trio par l’annonce du retour de la comète pour le 13 avril 1759 de l’année suivante, pratiquement à la date qu’ils avaient prévue. C’est le triomphe pour les trois scientifiques. Les trois ? Clairaut publie sa Théorie des comètes, mais sa maîtresse en titre et quelques esprits réactionnaires insistent pour qu’il oublie le nom de Madame Lepaute dans la liste des calculateurs. Lalande, quant à lui, soutient Nicole-Reine et l’engage comme première collaboratrice.
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La mathématicienne et l’astronome
Leur amitié devient indéfectible. Une amitié basée sur l’estime et l’admiration réciproque. Pour le reste… La mathématicienne a neuf ans de plus que l’astronome, elle est mariée à un ami. Aussi, rien ne filtrera jamais du degré de leur intimité. Officiellement, ce sont des compagnons de travail, mais Jérome écrit à un confrère : « Sans être remarquable par sa figure, Madame Lepaute avait une grande partie des agréments de son sexe. Une taille élégante, un pied mignon, et une si belle main que le peintre du roi, ayant fait son portrait, lui demanda la permission de la copier, pour conserver un modèle de la plus belle nature. » Donc une compagne de travail bien séduisante. Et puis tous deux s’entendent comme larrons en foire. Jérôme introduit Nicole-Reine dans les salons et les cercles scientifiques. De son côté, la jeune femme lui sert de gouvernante, choisit pour lui ses domestiques et même… de futures épouses. Plusieurs fois, Lalande décide de se marier, et chaque fois, il renonce. Pourtant il est plein de charme, et l’époque est favorable aux savants que les femmes se piquent d’attirer dans leur salon… et dans leur chambre à coucher. Mais Nicole-Reine, semble-t-il, régnait sur son cœur.
Le destin va rapprocher encore la mathématicienne et l’astronome. Le frère de Jean-André Lepaute meurt, laissant un orphelin, Joseph, 15 ans. Les Lepaute, qui n’ont pas d’enfant, le recueillent. Jean-André est bienveillant, mais très occupé. Nicole-Reine, elle, se passionne pour ce jeune homme très vif. Elle lui enseigne les mathématiques, tandis que Jérôme Lalande est prié de l’initier à l’astronomie. Il s’avère que Joseph est si doué qu’il passe rapidement du statut d’élève à celui d’assistant. Nicole-Reine et Jérôme deviennent peu à peu ses parents d’adoption, veillant sur son destin. Plus tard, Joseph deviendra astronome de l’Académie royale des sciences, embarquera pour une expédition scientifique avec La Pérouse et périra en 1788 sur l’île de Vanikoro, avec tout l’équipage.
“La belle Hortense”
Mais revenons à Nicole-Reine. En 1761, l’Académie de Béziers la reçoit comme membre associée pour ses différents mémoires scientifiques. Madame Lepaute devient ainsi l’une des toutes premières académiciennes. Elle se consacre au calcul astronomique, publie des recueils et collabore activement à La Connaissance des Temps, une publication pour navigateurs et scientifiques, qui situe les positions des corps célestes chaque jour de l’année.
En 1762, elle établit la carte officielle de la grande éclipse de Soleil, prévue pour le 1er avril 1764. Une carte qui précisait (et c’était juste), la progression de la Lune quart d’heure par quart d’heure ! Elle fut distribuée à la veille de l’éclipse, par milliers d’exemplaires.
En cette période bouillante qui précède la révolution, les beaux esprits cherchent à se rencontrer et à partager leurs connaissances. Nicole-Reine rencontre le gratin. Elle se lie avec le naturaliste Philibert Commerson, qui organise, avec Bougainville, une expédition maritime et scientifique autour du monde. Parti en 1766, il reviendra trois ans plus tard, sans avoir oublié la belle mathématicienne. Il lui dédie une plante inconnue en Europe, qu’il baptise « Lepautia » et qu’il offre au Jardin du roi. Le botaniste Jussieu, patron du Jardin, rebaptise la plante « Hortensia ». L’anecdote ravit dans les salons, on surnomme Nicole-Reine « La belle Hortense ». C’est d’ailleurs sous ce surnom qu’elle apparaît dans certains dictionnaires.
Mais la mathématicienne a fatigué ses yeux, penchée sur d’innombrables calculs ou aveuglée par le sillage brillant des éclipses. Elle perd la vue peu à peu. Au même moment, Jean-André est frappé par la maladie et devient sénile. Nicole-Reine tient à assister son compagnon de toujours, celui qui a su la soutenir et accepter ses choix. Elle déménage à Saint-Cloud – la campagne à l’époque – pour qu’il y respire mieux. Elle lui consacre ses dernières années. À cause d’une mauvaise fièvre, précédant son mari de quelques mois, la belle Hortense meurt à Saint-Cloud, le 6 décembre 1788, à l’âge de 66 ans. L’Histoire ne l’oublia pas tout à fait, puisqu’on a donné son nom à un cratère, sur cette Lune dont elle a si souvent dévoilé la trajectoire.
Les Passions intellectuelles, d’Élisabeth Badinter. Coll. Bouquins, éd. Robert Laffont.