Dans le sillage du cri d’alerte de Judith Godrèche, les coachs qui accompagnent les enfants acteur·rices sur les tournages mettent aujourd’hui en lumière les difficultés de leur métier. Ces professionnel·les espèrent que la déflagration lancée par la comédienne fera office de véritable tournant qui fera “bouger les lignes”.
Sur le papier, la tâche des coachs pour enfants consiste d’abord à aider les jeunes acteur·rices à assimiler leur rôle et les directives des metteur·euses en scène. Un cahier des charges a priori éloigné de l’appel de Judith Godrèche à contrer l’emprise des réalisateurs, elle qui affirme avoir été agressée sexuellement par les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon quand elle était mineure. Dans les faits, pourtant, “on assure aussi un rôle de protection des enfants” face à un univers du tournage qui “intimide”, raconte Delphine Labey, qui a travaillé sur la série Un village français.
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“On est là pour sécuriser les enfants”, assure pour sa part Amour Rawyler, en les aidant notamment à prendre de la distance avec leur personnage. Sur le tournage de Jusqu’à la garde (2017), film choc sur les violences conjugales récompensé aux César, cette pionnière des coachs pour enfants assistait le jeune comédien Thomas Gioria, confronté au père ultraviolent incarné par Denis Ménochet. “On n’a jamais autant ri que sur ce tournage”, affirme-t-elle. Si leur rôle apparaît ainsi essentiel, la présence de ces coachs sur les plateaux n’a toutefois rien d’obligatoire.
Chambouler le système
L’emploi sur un tournage d’un jeune de moins de 16 ans doit bien obéir à une série de contraintes – limitation du temps de travail, visite médicale, aménagement du temps scolaire… – et être approuvé par une commission supervisée par l’autorité préfectorale, qui examine le scénario. Mais une fois ce feu vert obtenu, la production n’est pas légalement tenue d’embaucher un·e référent·e aux côtés d’acteur·rices mineur·es. Fin février, face aux sénateur·rices, Judith Godrèche avait appelé à chambouler le système en “imposant” la présence d’un·e référent·e “formé[e]” et indépendant·e de la production afin qu’“un enfant ne soit jamais laissé seul sur un tournage”. La situation globale des mineur·es dans l’industrie du cinéma doit prochainement faire l’objet d’une commission d’enquête à l’Assemblée.
“Ça paraît aberrant qu’il y ait un enfant sur un tournage et personne pour l’encadrer, relève la coach Claire Chauchat, ce n’est pas quelque chose qu’on ferait dans la vie et encore moins dans le cadre d’un travail.” À Hollywood, la loi californienne impose aux studios la présence sur les tournages d’un parent et/ou d’un·e “studio teacher” formé·e pour veiller au bien-être de l’enfant.
"Les lignes bougent"
En France, les parents peuvent être présent·es sur les plateaux et les sociétés de production hésitent de moins en moins à recourir à des coachs ou à des animateur·rices en charge du confort des enfants. Mais le flou demeure. Dépourvue de règlementation, la profession de coach pour enfants ne figure pas dans la Convention collective des métiers du cinéma. “Le réel problème, c’est la solitude dans laquelle nous exerçons notre métier”, décrit la coach Violette Gitton, déplorant l’absence de formation spécifique. “Les missions qui nous sont confiées sont hautement délicates […], pourtant nous n’avons bien souvent que notre subjectivité pour nous positionner.”
Sans même parler de violences sexuelles ou physiques, les tournages peuvent être de puissantes chambres d’écho de tensions. “N’étant protégé par aucune institution, le coach peut avoir du mal à trouver sa légitimité et à imposer sa fermeté lors de conflits”, estime Violette Gitton. À chaque moment du tournage, il faut pourtant que l’enfant soit en mesure de faire entendre sa voix, estiment en chœur les coachs interrogées. “On doit bien poser les choses pour que le mineur reste conscient de ce qui se passe, indique Delphine Labey. Et puisse dire non s’il estime que ça va trop loin.”
Marine Longuet, du Collectif 50/50 – favorable à la présence d’un·e référent·e mineur·e –, estime qu’il serait pour autant hâtif d’envisager le cinéma français comme “une jungle qui dévore les enfants”. Delphine Labey considère également que “les lignes bougent par rapport à l’époque que décrit Judith Godrèche il y a trente ans”. Des améliorations qui apparaissent cependant encore insuffisantes. Le 22 mars dernier, trois député·es de la majorité – Perrine Goulet, Véronique Riotton et Erwan Balanant, membres des délégations aux droits des enfants ou aux droits des femmes – ont envoyé un signalement auprès de la procureure de la République de Paris, à la suite du visionnage d’auditions d’enfants de 7 à 8 ans réalisées en 2020 pour CE2, de Jacques Doillon. On peut y voir les jeunes acteur·rices “souvent mal à l’aise, invités à raconter les faits de harcèlement dont ils ont été victimes, témoins ou auteurs”, selon Le Monde. Judith Godrèche avait par ailleurs critiqué les conditions du casting de ce film lors de son audition au Sénat.
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