À l'occasion de la sortie du film Les Invisibles, nous avons demandé à chacune des quatre actrices professionnelles d’interviewer une des « actrices non professionnelles », qui ont connu la rue. Ici, Corinne Masiero et Marianne Garcia.
![Marianne Garcia : « Je crois en l’homme. L’homme est imparfait, mais on peut le changer » 1 071118©ED Causette 092](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/071118©ED_Causette_092-682x1024.jpg)
« Je veux un rôle dans Plus belle la vie, y a personne qui peut m’arranger ça ? » lance, espiègle, à la cantonade, Marianne, 63 ans. Celle qu’on surnomme « Lady Di » dans Les Invisibles, Marianne Garcia à la ville, c’est la plus professionnelle des « actrices non professionnelles » du film de Louis-Julien Petit. Celle qui a connu la rue de 7 à 17 ans fait aujourd’hui de la figuration et, surtout, a déjà tourné dans Discount, du même réalisateur, aux côtés de Corinne Masiero. C’est donc en amie de longue date et en voisine ch’ti qu’elle retrouve Corinne (Manu, la gérante du centre d’accueil pour femmes L’Envol dans le film Les Invisibles ) pour cette interview orchestrée par Causette.
Corinne Masiero : Que retiens-tu de ces deux mois de tournage ?
Marianne Garcia : Ce qui m’a le plus marquée, c’est la gentillesse de tout le monde, la bienveillance et la solidarité. Tout le monde avait sa valise, sa valise de misère, mais aucune d’entre nous ne l’a ouverte. Et puis, autre chose : vous, les artistes, vous étiez avec nous.
C. M. : Bah, toi aussi, t’es une artiste, cha va pas ch’ti ? Ça y est, ils t’ont mise dans le fichier, à Pôle Emploi Spectacles. Officiellement, t’es comédienne.
M. G. : Ouais ouais ouais, quel honneur ! J’étais fière, nom dé diou. J’arrive, tout douchement. Mais durant le tournage, des fois, je te demandais : « Tu fais comment ? » pour jouer certains passages et tu me montrais comment faire. Vous étiez présentes, nous étions mélangées, et ça, c’était puissant. Y a pas plus de vedettes que de beurre à poêle, hein, mon Coco ?
C. M. : Et pourquoi tu voulais le faire, ce film, à part pour gagner des sous ?
M. G. : Ah, j’allais le dire. Bah ! pour me prouver que cette putain de valise, on pouvait la laisser fermée.
C. M. : Toi, tu dis qu’il faut fermer la valise, Adolpha, elle dit l’inverse, qu’il faut l’ouvrir.
M. G. : Non mi, je ferme la valise. Il faut aller de l’avant et ce film m’a permis de le faire, car je me suis dit : « Y a beaucoup de gens bien moins lotis que moi à l’heure actuelle. » Si tu restes à geindre, t’avances pas.
![Marianne Garcia : « Je crois en l’homme. L’homme est imparfait, mais on peut le changer » 2 071118©ED Causette 022](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/071118©ED_Causette_022-682x1024.jpg)
C. M. : Tu as vu le film hier. C’est quoi, pour toi, son message ?
M. G. : Faut que les gros se réveillent. Faut que ça change. [Elle s’emporte.] L’autre jour, au supermarché, un pauvre gamin à la rue voulait aller à la toilette. La direction lui a refusé la clé ! Ça, faut que ça s’arrête. Faut aussi qu’on arrête de mettre des clous sous les porches pour ne pas qu’ils puissent se reposer. Autre chose : dans la vraie vie aussi, les trois quarts des assistantes sociales ont les mains liées, sont impuissantes. Avec le peu qu’elles ont, elles s’efforcent de faire beaucoup.
C. M. : Donc toi, tu dis qu’il faut fermer sa valise, mais qu’il faut ouvrir sa gueule. Quand t’étais à la rue, c’était quoi ce qui te manquait le plus ?
M. G. : La bouffe. Le fait de pouvoir me laver. Aujourd’hui, je mets un point d’honneur à me frotter jusqu’au bout des ongles. Je peux utiliser 20 litres d’eau en une douche, tellement ça m’a manqué. Mais s’il faut ouvrir sa valise pour faire comprendre aux gens… J’ai été à la rue avec ma petite sœur de mes 7 à mes 17 ans. Le matin, à 8 heures, ma mère nous foutait dehors, en nous demandant de nous débrouiller. J’étais inscrite à l’école, mais n’y allais pas. Comment faire sans crayon ni cahier ? Elle nous récupérait quand bon lui chantait, vers 23 heures, souvent. On était débrouillardes, on trouvait trois sous en portant les courses des gens ou en nettoyant les tombes à l’approche de la Toussaint. On peut dire que j’ai élevé ma sœur et que ma vraie vie a commencé à la mort de ma mère, à 17 ans.
Mais tu sais, ce qu’il faut dire aussi, c’est qu’on ne transpose pas sa misère sur ses propres enfants. J’ai tellement d’amour pour mes enfants et mes petits-enfants, ils m’ont offert une si belle vie… Je continue à faire les marchés pour vendre mes compositions florales. Comme ça, je pourrai les gâter à Noël ! J’ai beau faire des tournages, les gens, ils attendent le stand de Marianne et ses couronnes de fleurs.
![Marianne Garcia : « Je crois en l’homme. L’homme est imparfait, mais on peut le changer » 3 071118©ED Causette 068](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/071118©ED_Causette_068-682x1024.jpg)
C. M. : Ton prochain film, c’est quoi ?
M. G. : Demain, je fais une figuration dans un Desplechin ! Dans une église, ça va bien m’aller, ça. J’ai fait trente-deux ans de bénévolat à Lourdes !
C. M. : T’étais bénévole à Lourdes, ti ? Mais t’es croyante, ti ?
M. G. : Un p’tit betch [un petit peu, ndlr]. Je crois en l’homme. L’homme est imparfait, mais on peut le changer.