Marianne Garcia : « Je crois en l’homme. L’homme est impar­fait, mais on peut le changer »

À l'occasion de la sor­tie du film Les Invisibles, nous avons deman­dé à cha­cune des quatre actrices pro­fes­sion­nelles d’interviewer une des « actrices non pro­fes­sion­nelles », qui ont connu la rue. Ici, Corinne Masiero et Marianne Garcia.

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©Élodie Daguin pour Causette

« Je veux un rôle dans Plus belle la vie, y a per­sonne qui peut m’arranger ça ? » lance, espiègle, à la can­to­nade, Marianne, 63 ans. Celle qu’on sur­nomme « Lady Di » dans Les Invisibles, Marianne Garcia à la ville, c’est la plus pro­fes­sion­nelle des « actrices non pro­fes­sion­nelles » du film de Louis-​Julien Petit. Celle qui a connu la rue de 7 à 17 ans fait aujourd’hui de la figu­ra­tion et, sur­tout, a déjà tour­né dans Discount, du même réa­li­sa­teur, aux côtés de Corinne Masiero. C’est donc en amie de longue date et en voi­sine ch’ti qu’elle retrouve Corinne (Manu, la gérante du centre d’accueil pour femmes L’Envol dans le film Les Invisibles ) pour cette inter­view orches­trée par Causette

Corinne Masiero : Que retiens-​tu de ces deux mois de tour­nage ?
Marianne Garcia : Ce qui m’a le plus mar­quée, c’est la gen­tillesse de tout le monde, la bien­veillance et la soli­da­ri­té. Tout le monde avait sa valise, sa valise de misère, mais aucune d’entre nous ne l’a ouverte. Et puis, autre chose : vous, les artistes, vous étiez avec nous. 

C. M. : Bah, toi aus­si, t’es une artiste, cha va pas ch’ti ? Ça y est, ils t’ont mise dans le fichier, à Pôle Emploi Spectacles. Officiellement, t’es comé­dienne.
M. G. : Ouais ouais ouais, quel hon­neur ! J’étais fière, nom dé diou. J’arrive, tout dou­che­ment. Mais durant le tour­nage, des fois, je te deman­dais : « Tu fais com­ment ? » pour jouer cer­tains pas­sages et tu me mon­trais com­ment faire. Vous étiez pré­sentes, nous étions mélan­gées, et ça, c’était puis­sant. Y a pas plus de vedettes que de beurre à poêle, hein, mon Coco ?

C. M. : Et pour­quoi tu vou­lais le faire, ce film, à part pour gagner des sous ?
M. G. : Ah, j’allais le dire. Bah ! pour me prou­ver que cette putain de valise, on pou­vait la lais­ser fermée.

C. M. : Toi, tu dis qu’il faut fer­mer la valise, Adolpha, elle dit l’inverse, qu’il faut l’ouvrir.
M. G. : Non mi, je ferme la valise. Il faut aller de l’avant et ce film m’a per­mis de le faire, car je me suis dit : « Y a beau­coup de gens bien moins lotis que moi à l’heure actuelle. » Si tu restes à geindre, t’avances pas. 

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©Élodie Daguin pour Causette

C. M. : Tu as vu le film hier. C’est quoi, pour toi, son mes­sage ?
M. G. : Faut que les gros se réveillent. Faut que ça change. [Elle s’emporte.] L’autre jour, au super­mar­ché, un pauvre gamin à la rue vou­lait aller à la toi­lette. La direc­tion lui a refu­sé la clé ! Ça, faut que ça s’arrête. Faut aus­si qu’on arrête de mettre des clous sous les porches pour ne pas qu’ils puissent se repo­ser. Autre chose : dans la vraie vie aus­si, les trois quarts des assis­tantes sociales ont les mains liées, sont impuis­santes. Avec le peu qu’elles ont, elles s’efforcent de faire beaucoup. 

C. M. : Donc toi, tu dis qu’il faut fer­mer sa valise, mais qu’il faut ouvrir sa gueule. Quand t’étais à la rue, c’était quoi ce qui te man­quait le plus ?
M. G. : La bouffe. Le fait de pou­voir me laver. Aujourd’hui, je mets un point d’honneur à me frot­ter jusqu’au bout des ongles. Je peux uti­li­ser 20 litres d’eau en une douche, tel­le­ment ça m’a man­qué. Mais s’il faut ouvrir sa valise pour faire com­prendre aux gens… J’ai été à la rue avec ma petite sœur de mes 7 à mes 17 ans. Le matin, à 8 heures, ma mère nous fou­tait dehors, en nous deman­dant de nous débrouiller. J’étais ins­crite à l’école, mais n’y allais pas. Comment faire sans crayon ni cahier ? Elle nous récu­pé­rait quand bon lui chan­tait, vers 23 heures, sou­vent. On était débrouillardes, on trou­vait trois sous en por­tant les courses des gens ou en net­toyant les tombes à l’approche de la Toussaint. On peut dire que j’ai éle­vé ma sœur et que ma vraie vie a com­men­cé à la mort de ma mère, à 17 ans. 
Mais tu sais, ce qu’il faut dire aus­si, c’est qu’on ne trans­pose pas sa misère sur ses propres enfants. J’ai tel­le­ment d’amour pour mes enfants et mes petits-​enfants, ils m’ont offert une si belle vie… Je conti­nue à faire les mar­chés pour vendre mes com­po­si­tions flo­rales. Comme ça, je pour­rai les gâter à Noël ! J’ai beau faire des tour­nages, les gens, ils attendent le stand de Marianne et ses cou­ronnes de fleurs.

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©Élodie Daguin pour Causette

C. M. : Ton pro­chain film, c’est quoi ?
M. G. : Demain, je fais une figu­ra­tion dans un Desplechin ! Dans une église, ça va bien m’aller, ça. J’ai fait trente-​deux ans de béné­vo­lat à Lourdes !

C. M. : T’étais béné­vole à Lourdes, ti ? Mais t’es croyante, ti ?
M. G. : Un p’tit betch [un petit peu, ndlr]. Je crois en l’homme. L’homme est impar­fait, mais on peut le changer.

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