Les Françaises, colonne ver­té­brale de la France pen­dant la Première Guerre mon­diale 2/​2

Quand elles ne rem­placent pas les hommes dans les usines, les femmes se font mar­raines de guerre. Et dans les ter­ri­toires occu­pés, elles deviennent par­fois le butin de guerre allemand.

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Henriette Dubus. ©Nicolas Bernard 

Une autre figure fémi­nine trône à côté de la muni­tion­nette dans l’imaginaire col­lec­tif de la Première Guerre mon­diale. L’infirmière. Celle qui soigne, panse, console et encou­rage le sol­dat bles­sé. Dès le début de la guerre, elles sont des mil­liers à s’improviser anges blancs par élan patrio­tique et désir de se rendre utile. Henriette Dubus fut de celle-​ci. Cette jeune fille bour­geoise a à peine 20 ans lorsque la guerre éclate tout près de chez elle, à Orchies dans le Nord de la France. « De chez elle, elle entend les canons. Tandis que sa mère s’improvise adjointe au maire de la ville pour ten­ter de retrou­ver un sem­blant d’organisation, Henriette accueille et soigne les sol­dats bles­sés dans la grande mai­son fami­liale », indique son arrière-​petit-​fils, Nicolas Bernard qui effec­tue des recherches sur son aïeule depuis une quin­zaine d’années.

« La mar­raine de guerre c’est celle qui console, qui rasure, qui encou­rage le sol­dat. C’est aus­si un moyen de tenir et de fan­tas­mer sur un retour à la vie nor­male »

Elise Bourgeois, conser­va­trice des archives dépar­te­men­tales de la Somme.

Les femmes pansent les bles­sures phy­siques des sol­dats autant que leurs fêlures men­tales car mal­gré la longue sépa­ra­tion, la famille reste la cel­lule fon­da­men­tale. L’absence de lettres nuit au moral des poi­lus. Avec les mar­raines de guerre – créées en 1915 – on invente donc des épouses, des mères et des sœurs aux sol­dats qui ne reçoivent pas de cour­rier. « La mar­raine de guerre, c’est celle qui console, qui ras­sure, qui encou­rage le sol­dat. C’est aus­si un moyen de tenir et de fan­tas­mer sur un retour à la vie nor­male, affirme Elise Bourgeois, conser­va­trice des archives dépar­te­men­tales de la Somme. Mais l’époque craint les adul­tères, les mar­raines de guerre sont donc soit des veuves, soit des femmes célibataires. »

Si les poi­lus vivent l’enfer dans les tran­chées, les popu­la­tions civiles souffrent éga­le­ment et d'autant plus dans les ter­ri­toires occu­pés par les Allemands. À l’instar des vil­lages pillés ou incen­diés, comme les 1200 mai­sons d’Orchies (Nord). Parmi elles, celle d’Henriette Dubus. « Mon arrière grand-​mère a vécu et souf­fert toutes les phases de la guerre », nous confie son petit fils, Nicolas Bernard. Dans les ter­ri­toires occu­pés, les femmes sont com­plè­te­ment cou­pées du monde. Elles ne peuvent ni tra­vailler, ni écrire ni rece­voir des cour­riers de leurs hommes sur le front. Certaines doivent même contri­buer à l'effort de guerre alle­mand. En jan­vier 1918, les Allemands consti­tuent des otages dans la région, dont 400 femmes. « Mon arrière grand-​mère embarque dans un train en direc­tion de l’Allemagne où elle pas­se­ra six mois dans le camp d'Holzminden sous le matri­cule 21878 dans des condi­tions extrê­me­ment dif­fi­ciles », ajoute Nicolas Bernard. Henriette est libé­rée en juillet et retourne à Orchies où elle assis­te­ra aux der­niers mois de la guerre. 

Réserve

C’est en cher­chant des infor­ma­tions sur ses arrières grands-​pères que Nicolas Bernard a décou­vert le des­tin sin­gu­lier de son aïeule il y a quinze ans. « Ce qui est assez éton­nant, c’est qu’elle par­lait tout le temps, elle ne s'arrêtait jamais, note son arrière-​petit fils qui a désor­mais le pro­jet de publier un livre retra­çant l’histoire d’Henriette. Mais jamais de cette partie-​là de sa vie. » Une réserve que l’on retrouve aus­si dans le témoi­gnage de Johanne Berlemont, res­pon­sable du ser­vice de la conser­va­tion du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux. Son arrière-​grand-​mère, Marthe, a elle aus­si vécu dans les ter­ri­toires occu­pés du Nord-​Est de la France. « Elle ne par­lait pas beau­coup de cette période, indique Johanne Berlemont. J’ai seule­ment pu consta­ter avec les rares pho­tos que j'ai trou­vées que Marthe est de plus en plus maigre à mesure que l’on avance dans la guerre. » 

Retour des hommes

Il annon­çait la mort quatre ans aupa­ra­vant, mais le 11 novembre 1918, le toc­sin sonne cette fois la vic­toire tant atten­due. L’armistice à peine décla­ré, 500 000 des 600 000 ouvrières de l’armement quittent leur poste dans les usines. « Le gou­ver­ne­ment invite les femmes à retour­ner dans leur foyer et y res­ter mais la réa­li­té sociale est plus nuan­cée, rap­pelle l'historienne Françoise Thebaud. 1,4 mil­lion d’hommes sont morts, il faut bien les rem­pla­cer. Elles seront désor­mais plus nom­breuses à accé­der à l’emploi, notam­ment dans les banques et les administrations. » 

Pour autant, le retour des hommes s’avère par­fois com­pli­qué. « Soit ça se passe très bien et cela ren­force l’amour, soit le retour se passe très mal, note Françoise Thebaud. Les vécus ont été tel­le­ment dif­fé­rents qu’au bout de quatre ans, les attentes ne sont plus les mêmes. Les femmes veulent gar­der leur auto­no­mie alors que les hommes veulent retrou­ver la même épouse qu’ils ont lais­sée en 14. Les divorces aug­mentent d’ailleurs signi­fi­ca­ti­ve­ment après la guerre. »

« Le gou­ver­ne­ment a besoin de ventres. Il encou­rage les nais­sances avec des lois répres­sives sur la san­té sexuelle et repro­duc­tive qui condamne la contra­cep­tion et cri­mi­na­lise l’avortement. » 

Elise Bourgeois

A la sor­tie de la guerre, les poi­lus sont per­çus comme des héros par une socié­té trau­ma­ti­sée par le deuil. On ne veut entendre que des récits qui exaltent la vic­toire. À l'inverse, il est impen­sable pour les femmes de s’exprimer quant à ces retours par­fois dif­fi­ciles, ni de par­ler des souf­frances qu’elles ont vécues pen­dant quatre ans. L’heure n’est de toute façon pas à l’épanchement mais au repeu­ple­ment du pays. « Le gou­ver­ne­ment a besoin de ventres, sou­ligne Elise Bourgeois. Il encou­rage les nais­sances avec des lois répres­sives qui condamnent la contra­cep­tion et cri­mi­na­lisent l’avortement. » 

Qu'elles aient été muni­tion­nettes, infir­mières ou mar­raines de guerre, peu d’entre elles auront reçu une recon­nais­sance éta­tique pour les efforts et les sacri­fices four­nis pen­dant quatre ans. Invisibilisées des monu­ments aux morts, la mémoire de nos aïeules demeure donc à pré­sent dans celle de leurs descendant·es.

Lire aus­si : Les Françaises, colonne ver­té­brale de la France pen­dant la Première Guerre mon­diale 1/​2

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