Invité sur BFMTV le dimanche 20 février, Jordan Bardella, second couteau de la Marine nationale, engoncé dans sa chemise bleue bien repassée, a joué sa partition sur l’immigration, tentant de ramener dans son giron ses ouailles ayant succombé aux sirènes de la Reconquête. Expert en ragots de caniveau et fin connaisseur de la cause féministe, il a martelé : « Il n’y a plus une seule femme qui peut se dire sereine quand elle sort dans les rues de France. Le harcèlement qu’elles subissent est un véritable cauchemar. Ce sont toujours les mêmes individus qui sont mis en cause. La quasi-totalité du harcèlement de rue et de la délinquance est le fait d’étrangers, d’immigrés […], de mineurs non accompagnés. »
![Le RN et le Giec, on s’en balek ! 1 thumbnail image001](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/thumbnail_image001.jpg)
Exit DSK, PPDA, Hulot, Bourdin and co ! Au passage, rappelons qu’un rapport de la mission d’information à l’Assemblée nationale paru en mars 2021 sur les mineurs isolés stipulait que seulement 10 % d’entre eux avaient un « profil de délinquant ». Bardella a conclu sa diatribe sur une punchline de xénophobe de tarmac : « Les harceleurs français doivent être mis en prison, les harceleurs étrangers dans l’avion ! » Au RN, on préjuge qu’un agresseur est majoritairement noir ou arabe, vient juste de débarquer à cause de cette passoire de Frontex, fume du crack et n’a pas encore intégré les codes d’un vrai pays civilisé, qui respecte la Femme, lui.
Le lendemain, j’avais programmé une séance avec un groupe de jeunes hommes MNA (mineurs non accompagnés) qui allait invalider sa rhétorique de réac. Pour participer à l’atelier sur la sexualité, ils étaient une petite dizaine de volontaires, accompagnés par leur référente de Médecins sans frontières. On allait causer codes relationnels, plus facilement assimilables que le Code civil et son article 375, censé les protéger, mais constamment bafoué.
Leurs cerveaux, saturés de problèmes à régler, n’étaient pas en capacité d’offrir un hébergement convenable aux sentiments
Information prise, le groupe était composé d’Ivoiriens, de Guinéens et de deux Maliens. Tous parlaient le français, que ce soit avec la langue, les mains, mais surtout avec envie, car ces jeunes en ont à revendre. J’ai remarqué que l’un d’eux prenait en photo le jus de fruits et le bocal de capotes mis à disposition. Peut-être qu’il voulait rassurer sa famille, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, en leur prouvant qu’il était en sécurité.
J’ai choisi de parler d’abord d’amour, non par romantisme, mais par prudence. Aborder la sexualité avec des personnes ayant potentiellement subi des violences au cours de leurs parcours migratoires n’est pas chose aisée. D’autant plus que les viols sont encore plus tabous quand ils concernent des hommes victimes d’autres hommes. Étaient-ils déjà tombés amoureux ? Avaient-ils eu le temps de vivre cet amour ? Ils ont unanimement répondu par la négative et assuré qu’ils ne se projetaient pas comme de futurs élus. Leurs cerveaux, saturés de problèmes à régler, n’étaient pas en capacité d’offrir un hébergement convenable aux sentiments. Ils passaient beaucoup de temps dans la rue pour fuir la vie collective des foyers, se débrouiller, régler leur situation administrative. Or, le pavé n’est pas forcément l’endroit idéal pour rentrer en relation avec les autres. L’un d’eux a reconnu draguer dans le métro, les autres, tenter de conter fleurette sur les trottoirs de Paname et sa banlieue. En vain.
« Monsieur, si elles regardent nos chaussures usées, les femmes savent à qui elles ont affaire », m’a assuré l’un d’eux. La possibilité de pouvoir prendre leur pied dépendait de l’état de leurs semelles, donc de leur statut social. Or, pour l’instant, la France ne leur proposait que trois lettres, pas bankable ni chez Nike ni au Scrabble : MNA.
Ils aspiraient tous à se marier. Mais avec une femme blanche, parce que, m’ont-ils assuré : « Les Noires vont prendre notre argent pour l’envoyer au pays ! » Dans la débrouille, la survie, on finit souvent par paranoïer, même vis-à-vis de sa propre communauté. Mais avant de vivre sereinement leur parentalité, il leur fallait d’abord trouver un logement indépendant. Poser son toit avant de construire quoi que ce soit, ça défie toute loi architecturale, mais pour comprendre, il faut avoir dormi dans la rue. Ils s’imaginaient tous pères d’une progéniture évaluée à quatre enfants en moyenne. Ils allaient devoir être sacrément convaincants, car, d’après l’Insee, en 2021, l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) français s’établissait à 1,83 enfant par femme… Je ne sais pas si ce chiffre a pesé dans la balance, mais un des jeunes Maliens espérait avoir trois épouses. Quand je lui ai rappelé que la polygamie était interdite, il a rétorqué qu’il ne les installerait pas toutes dans le même appartement. Quitte à être poly, je l’ai invité à être plutôt polyamoureux ou curieux, c’était plus égalitaire et surtout légal !
La contraception prise en charge, l’IVG autorisée, le mariage pour tous et toutes… ça fleurait bon la liberté, mais j’ai tempéré en ouvrant le volet #MeToo et expression des masculinités. Ils n’en avaient pas entendu parler. On a fait le distinguo entre drague et harcèlement. Pour que ce soit concret, j’ai expliqué, intuitivement, en illustrant sur le tableau chaque situation par un cercle concentrique étouffant un point central : « Imaginez une femme (le point) se faisant aborder à 8 heures du mat quand elle part au travail, moment où on n’est pas vraiment disponible pour entamer une relation (premier cercle). Puis, un autre mec la drague à 10 heures, à sa pause sur le trottoir. Un troisième, à midi, tente une approche devant la boulangerie et vous, vous arrivez chaud bouillant à 16 heures dans le métro, sans imaginer que vous êtes le quatrième, voire le dixième de la journée ! » Le nuage de cercles « harceleurs » dessiné frénétiquement leur a permis d’intégrer le concept de relous de service.
Aussitôt, l’un d’eux a reconnu avoir « chassé du Snap » *, mais sans jamais insister. Comme il s’en excusait, les autres ont salué son honnêteté et, franchement, ça valait tous les tests de citoyenneté !
Sur la fin de la séance, je leur ai demandé s’ils avaient déjà anticipé le fait de rencontrer une femme qui ne désirerait pas d’enfants, voulant privilégier sa carrière professionnelle ou, qui sait, sauver la planète. Mais il leur était impossible d’envisager l’avenir sans descendance : « Au pays, avec des enfants, on parle de toi après ta mort. Ton nom continue de vivre », m’a signifié l’un des Guinéens.
En gros, quand on a risqué sa peau des centaines de fois, pécho un second salaire ou sauver la planète avec le Giec, on s’en balek. Eh oui, Jordan, cette envie de transmettre la vie à tout prix, de rêver d’éternité pour son nom, ne relève pas du droit du sol ou du sang, mais du droit d’être, tout simplement.
Dr Kpote Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives.
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* Chasser du Snap signifie tenter de draguer sur le réseau social Snapchat.