Le RN et le Giec, on s’en balek !

Invité sur BFMTV le dimanche 20 février, Jordan Bardella, second cou­teau de la Marine natio­nale, engon­cé dans sa che­mise bleue bien repas­sée, a joué sa par­ti­tion sur l’immigration, ten­tant de rame­ner dans son giron ses ouailles ayant suc­com­bé aux sirènes de la Reconquête. Expert en ragots de cani­veau et fin connais­seur de la cause fémi­niste, il a mar­te­lé : « Il n’y a plus une seule femme qui peut se dire sereine quand elle sort dans les rues de France. Le har­cè­le­ment qu’elles subissent est un véri­table cau­che­mar. Ce sont tou­jours les mêmes indi­vi­dus qui sont mis en cause. La quasi-​totalité du har­cè­le­ment de rue et de la délin­quance est le fait d’étrangers, d’immigrés […], de mineurs non accompagnés. » 

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© Cédrine Scheidig

Exit DSK, PPDA, Hulot, Bourdin and co ! Au pas­sage, rap­pe­lons qu’un rap­port de la mis­sion d’information à l’Assemblée natio­nale paru en mars 2021 sur les mineurs iso­lés sti­pu­lait que seule­ment 10 % d’entre eux avaient un « pro­fil de délin­quant ». Bardella a conclu sa dia­tribe sur une pun­chline de xéno­phobe de tar­mac : « Les har­ce­leurs fran­çais doivent être mis en pri­son, les har­ce­leurs étran­gers dans l’avion ! » Au RN, on pré­juge qu’un agres­seur est majo­ri­tai­re­ment noir ou arabe, vient juste de débar­quer à cause de cette pas­soire de Frontex, fume du crack et n’a pas encore inté­gré les codes d’un vrai pays civi­li­sé, qui res­pecte la Femme, lui.

Le len­de­main, j’avais pro­gram­mé une séance avec un groupe de jeunes hommes MNA (mineurs non accom­pa­gnés) qui allait inva­li­der sa rhé­to­rique de réac. Pour par­ti­ci­per à l’atelier sur la sexua­li­té, ils étaient une petite dizaine de volon­taires, accom­pa­gnés par leur réfé­rente de Médecins sans fron­tières. On allait cau­ser codes rela­tion­nels, plus faci­le­ment assi­mi­lables que le Code civil et son article 375, cen­sé les pro­té­ger, mais constam­ment bafoué. 

Leurs cer­veaux, satu­rés de pro­blèmes à régler, n’étaient pas en capa­ci­té d’offrir un héber­ge­ment conve­nable aux sentiments

Information prise, le groupe était com­po­sé d’Ivoiriens, de Guinéens et de deux Maliens. Tous par­laient le fran­çais, que ce soit avec la langue, les mains, mais sur­tout avec envie, car ces jeunes en ont à revendre. J’ai remar­qué que l’un d’eux pre­nait en pho­to le jus de fruits et le bocal de capotes mis à dis­po­si­tion. Peut-​être qu’il vou­lait ras­su­rer sa famille, là-​bas, de l’autre côté de la Méditerranée, en leur prou­vant qu’il était en sécurité.

J’ai choi­si de par­ler d’abord d’amour, non par roman­tisme, mais par pru­dence. Aborder la sexua­li­té avec des per­sonnes ayant poten­tiel­le­ment subi des vio­lences au cours de leurs par­cours migra­toires n’est pas chose aisée. D’autant plus que les viols sont encore plus tabous quand ils concernent des hommes vic­times d’autres hommes. Étaient-​ils déjà tom­bés amou­reux ? Avaient-​ils eu le temps de vivre cet amour ? Ils ont una­ni­me­ment répon­du par la néga­tive et assu­ré qu’ils ne se pro­je­taient pas comme de futurs élus. Leurs cer­veaux, satu­rés de pro­blèmes à régler, n’étaient pas en capa­ci­té d’offrir un héber­ge­ment conve­nable aux sen­ti­ments. Ils pas­saient beau­coup de temps dans la rue pour fuir la vie col­lec­tive des foyers, se débrouiller, régler leur situa­tion admi­nis­tra­tive. Or, le pavé n’est pas for­cé­ment l’endroit idéal pour ren­trer en rela­tion avec les autres. L’un d’eux a recon­nu dra­guer dans le métro, les autres, ten­ter de conter fleu­rette sur les trot­toirs de Paname et sa ban­lieue. En vain. 

« Monsieur, si elles regardent nos chaus­sures usées, les femmes savent à qui elles ont affaire », m’a assu­ré l’un d’eux. La pos­si­bi­li­té de pou­voir prendre leur pied dépen­dait de l’état de leurs semelles, donc de leur sta­tut social. Or, pour l’instant, la France ne leur pro­po­sait que trois lettres, pas ban­kable ni chez Nike ni au Scrabble : MNA.

Ils aspi­raient tous à se marier. Mais avec une femme blanche, parce que, m’ont-ils assu­ré : « Les Noires vont prendre notre argent pour l’envoyer au pays ! » Dans la débrouille, la sur­vie, on finit sou­vent par para­noïer, même vis-​à-​vis de sa propre com­mu­nau­té. Mais avant de vivre serei­ne­ment leur paren­ta­li­té, il leur fal­lait d’abord trou­ver un loge­ment indé­pen­dant. Poser son toit avant de construire quoi que ce soit, ça défie toute loi archi­tec­tu­rale, mais pour com­prendre, il faut avoir dor­mi dans la rue. Ils s’imaginaient tous pères d’une pro­gé­ni­ture éva­luée à quatre enfants en moyenne. Ils allaient devoir être sacré­ment convain­cants, car, d’après l’Insee, en 2021, l’indicateur conjonc­tu­rel de fécon­di­té (ICF) fran­çais s’établissait à 1,83 enfant par femme… Je ne sais pas si ce chiffre a pesé dans la balance, mais un des jeunes Maliens espé­rait avoir trois épouses. Quand je lui ai rap­pe­lé que la poly­ga­mie était inter­dite, il a rétor­qué qu’il ne les ins­tal­le­rait pas toutes dans le même appar­te­ment. Quitte à être poly, je l’ai invi­té à être plu­tôt poly­amou­reux ou curieux, c’était plus éga­li­taire et sur­tout légal ! 

La contra­cep­tion prise en charge, l’IVG auto­ri­sée, le mariage pour tous et toutes… ça fleu­rait bon la liber­té, mais j’ai tem­pé­ré en ouvrant le volet #MeToo et expres­sion des mas­cu­li­ni­tés. Ils n’en avaient pas enten­du par­ler. On a fait le dis­tin­guo entre drague et har­cè­le­ment. Pour que ce soit concret, j’ai expli­qué, intui­ti­ve­ment, en illus­trant sur le tableau chaque situa­tion par un cercle concen­trique étouf­fant un point cen­tral : « Imaginez une femme (le point) se fai­sant abor­der à 8 heures du mat quand elle part au tra­vail, moment où on n’est pas vrai­ment dis­po­nible pour enta­mer une rela­tion (pre­mier cercle). Puis, un autre mec la drague à 10 heures, à sa pause sur le trot­toir. Un troi­sième, à midi, tente une approche devant la bou­lan­ge­rie et vous, vous arri­vez chaud bouillant à 16 heures dans le métro, sans ima­gi­ner que vous êtes le qua­trième, voire le dixième de la jour­née ! » Le nuage de cercles « har­ce­leurs » des­si­né fré­né­ti­que­ment leur a per­mis d’intégrer le concept de relous de service. 

Aussitôt, l’un d’eux a recon­nu avoir « chas­sé du Snap » *, mais sans jamais insis­ter. Comme il s’en excu­sait, les autres ont salué son hon­nê­te­té et, fran­che­ment, ça valait tous les tests de citoyenneté ! 

Sur la fin de la séance, je leur ai deman­dé s’ils avaient déjà anti­ci­pé le fait de ren­con­trer une femme qui ne dési­re­rait pas d’enfants, vou­lant pri­vi­lé­gier sa car­rière pro­fes­sion­nelle ou, qui sait, sau­ver la pla­nète. Mais il leur était impos­sible d’envisager l’avenir sans des­cen­dance : « Au pays, avec des enfants, on parle de toi après ta mort. Ton nom conti­nue de vivre », m’a signi­fié l’un des Guinéens. 

En gros, quand on a ris­qué sa peau des cen­taines de fois, pécho un second salaire ou sau­ver la pla­nète avec le Giec, on s’en balek. Eh oui, Jordan, cette envie de trans­mettre la vie à tout prix, de rêver d’éternité pour son nom, ne relève pas du droit du sol ou du sang, mais du droit d’être, tout simplement. 

Dr Kpote  Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ­ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives. 

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* Chasser du Snap signi­fie ten­ter de dra­guer sur le réseau social Snapchat.

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