Plusieurs ONG se sont réunies au siège parisien de la Ligue des droits de l’Homme le 15 février pour alerter l'opinion publique sur l’urgence de rapatrier les 200 enfants français·es détenu·es dans le camp de Roj au Nord-Est de la Syrie, pour certain·es depuis 2017.
C’est un énième « cri d’alarme ». Mardi 15 février, lors d’une conférence de presse organisée à Paris par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), plusieurs ONG – Amnesty international, Human Rights Watch, Unicef et le Collectif des familles unies – ont alerté l'opinion publique sur le « danger de mort » dans lequel se trouvent les 200 enfants français·es et les 80 djihadistes françaises détenu·es dans le camp kurde de Roj du Nord-Est syrien. Les organisations ont, une nouvelle fois, exhorté le gouvernement français à rapatrier sans attendre ces enfants et leurs mères – dont certain·es viennent d’entamer leur cinquième hiver sur les plaines du Rojava. « À la différence d’autres pays, le gouvernement français ne veut pas entendre ce cri d’alarme, dénonce en préambule Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH. Nous le savons, des enfants vont continuer de mourir là-bas dans les jours qui viennent si nous ne faisons rien. Chaque jour de plus est un jour de trop. »
Les premiers enfants sont arrivé·es dans les camps kurdes dès le début de la chute du Califat en 2017, et dès l’année suivante, les premiers y sont né·es. Depuis, les conditions de détention n’ont cessé de se détériorer selon les organisations humanitaires qui parviennent à se rendre sur place. L’hiver, le froid, la pluie et le vent s’invitent sous les toiles des tentes fournies par les ONG, tandis qu’en l’été, l’air y est irrespirable. Et toute l’année, ce sont la faim et les maladies qui affaiblissent les organismes déjà diminués par cinq années de guerre.
« Un signal d’alerte supplémentaire »
En janvier, d’intenses combats ont opposé dans cette région les forces kurdes et des membres de l’État islamique lors de l'attaque par ces derniers d’une prison où sont détenu·es 600 mineur·es dont dix Français·es, selon Adeline Hazan, vice-présidente d’Unicef France. L’organisation humanitaire a pu se rendre sur place après les affrontements et témoigne d’une centaine de morts et des conditions de détention « épouvantables ». Certain·s enfants ont été utilisé·es comme « boucliers humains » pendant les combats. Cette attaque constitue pour Adeline Hazan « un signal d’alerte supplémentaire ».
Politique du cas par cas
Sur la question du sort des enfants et de leur mère, la position de la France n’a pas bougé d’un iota en cinq ans. Lors d’un entretien lundi 14 février sur la chaîne France 5, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian déclarait poursuivre la politique du cas par cas pour les enfants. « Nous continuerons pour les mineurs isolés, les orphelins, pour ceux dont la mère accepte le départ […], et en menant à chaque fois des opérations extrêmement dangereuses », a‑t-il précisé rappelant que la zone est « toujours en guerre ». On compte aujourd’hui trente-cinq enfants français·es rapatrié·es depuis 2019, majoritairement des orphelin·es. Le dernier rapatriement remonte au 13 janvier 2021, il comptait sept enfants.
En revanche, le chef de la diplomatie exclut toujours tout rapatriement des mères, considérant qu’elles devront, comme les hommes djihadistes, être jugées sur place. « Il faudrait qu’il y ait à un moment où la situation sera stabilisée en Syrie, ce qui n’est pas le cas, une juridiction qui soit identifiée pour assurer cela, autrement, il n’y a pas de sortie », a martelé Jean-Yves Le Drian. Pourtant, une grande majorité d’entre elles sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la France pour avoir délibérément choisi de rejoindre les rangs de Daesh, dès 2012 pour les pionnières.
Un « non-sens » total pour les organisations présentes ce 15 février au siège de la Ligue des droits de l’Homme. « Il n’existe aucun argument sérieux à opposer » à leur retour, souligne Patrick Baudoin, président de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH). « Au contraire, tout milite en faveur de leur rapatriement. Les services de l’ASE sont opérationnels pour accueillir ces enfants, la justice française est opérationnelle pour recevoir ces femmes. Nous avons d’ailleurs auditionné des juges antiterroristes qui demandent également que ces mandats d’arrêt soient exécutés. En somme, rien ne s’oppose à un rapatriement, sauf le gouvernement », pointe Patrick Baudoin insistant sur le fait que ces enfants « ne sont pas coupables, ils n’ont pas choisi de partir ». « C’est plutôt la France qui se rend coupable, car en refusant de les rapatrier, elle viole une bonne dizaine d'articles de la Convention internationale des droits de l’enfant », ajoute-t-il.
Pour Marie Dosé, avocate de plusieurs femmes détenues en Syrie, également présente autour de la table, « l'heure est à l’urgence ». Elle a demandé à quarante-deux reprises, l’an dernier, le rapatriement sanitaire d’une Française gravement malade et de sa fille de six ans. « Elle est décédée le 14 décembre dernier faute de soin à l’âge de 28 ans, indique Marie Dosé avec une émotion grave. Elle a laissé sa petite fille qui se retrouve désormais seule dans le camp et qui, bien qu’elle soit orpheline, n’a toujours pas été rapatriée par la France. »
Briser le lien
Se séparer de leurs enfants sur place est aujourd’hui la seule manière pour ces femmes de les faire rapatrier en France. Une « absurdité » pour le psychiatre Serge Hefez. « Lorsque j’entends qu’il faut faire revenir les enfants sans leur mère, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête, s’indigne-t-il. Ils sont collés à leur mère depuis leur naissance comme si le cordon ombilical n’avait jamais été coupé. C’est indispensable pour leur reconstruction qu'ils puissent continuer à faire du lien avec leur mère même si elles sont en prison. »
Question sécuritaire
La question sécuritaire est l’un des arguments du gouvernement pour laisser ces femmes sur place. Mais « les camps ne pourront pas tenir indéfiniment, alerte Adeline Hazan, vice-présidente d’UNICEF France. Les Kurdes finiront par laisser partir les femmes et les enfants qui seront récupérés par Daesh, la question sécuritaire qui se posera alors sera bien plus grave qu’aujourd’hui. Alors que notre expérience sur le terrain a pu mener au constat que la réhabilitation des enfants dans le cadre des conflits armés se passe bien. Le danger, c’est s’ils se retrouvent de nouveau embrigadés par l’État islamique et qu’ils en viennent à détester un pays qui les a abandonnés. »
En attendant de voir un jour, peut-être, ces enfants revenir, leurs familles restée en France vivent au « rythme des peurs et des souffrances ». « La France est en train de les tuer physiquement, mentalement et socialement, dénonce un représentant du Collectif des familles unies, qui représente plus d’une centaine de familles françaises dont les enfants et les petits-enfants sont retenu·es en Syrie. Il y a déjà une part d’irrémédiable : ces années que le gouvernement leur a volé, on ne pourra jamais leur rendre. »
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