Depuis son accident samedi lors d’une course de Formule 4 réunissant des personnalités d'Internet, l'une d'elles, Manon Lanza est victime de cyber-harcèlement. Elle revient pour Causette sur cette vague de haine en ligne et sur le sexisme qui gangrène toujours le milieu du streaming, comme celui des sports extrêmes.
Elle se remet doucement de son accident. Samedi dernier, lors de la deuxième édition du GP Explorer, cette course de Formule 4 qui rassemble des personnalités d’Internet sur le circuit du Mans, Manon Lanza, vidéaste spécialisée dans les sports extrêmes, et un autre youtubeur Maxime Biaggi se sont percutés dans un virage. Si le second s’en est sorti sans blessure, Manon a dû être évacuée à l’hôpital en ambulance. « Le choc était assez violent, tous mes muscles se sont contractés », raconte-t-elle à Causette, quatre jours après l’accident. La trentenaire est sortie de l’hôpital dans la soirée de samedi mais souffre toujours d’un choc thoracique et d’une hernie cervicale.
Elle est aussi victime, depuis, de cyber-harcèlement. C’est en effet une autre sortie de route, cette fois hors bitume, qui entache la course automobile retransmise en direct sur la chaîne Twitch du streamer Squeezie, organisateur de l'évènement. Tout de suite après l’incident, des centaines d’internautes ont violemment attaqué Manon Lanza, la rendant alors seule responsable d’un accident qui arrive pourtant fréquemment sur les circuits de course automobile. Un raid sexiste qui a déferlé sur les réseaux sociaux. En quelques minutes, 65 000 tweets la propulsent dans les sujets les plus mentionnés sur X (ex Twitter), avant même le séisme meurtrier au Maroc qui s’est produit la veille.
Couche de sexisme
Parmi les tweets, on a pu lire de sacrées pépites comme « Femme au volant, mort au tournant », « Tout ça à cause d’une meuf qui n’a pas fait attention », ou encore « Retourne à la cuisine ! ». D'autant, qu'on le glisse pour celles·eux du fond : la dernière campagne de la Sécurité routière diffusée en février dernier visait les hommes, principalement responsables des accidents mortels sur les routes, à cause de comportements virils. En 2022, huit morts sur dix des accidents de la route étaient des hommes.
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« Je ne m’attendais pas à tant de haine, poursuit Manon Lanza. Je ne pensais pas être, en 2023, l’occasion de rebalancer une couche de sexisme sur les réseaux sociaux, mais je ne suis pas si surprise que ça en y réfléchissant, quand on est une femme, d’autant plus lorsqu’on pratique des sports extrêmes, on est facilement attaquables. »
Si elle a reçu aussi une vague de soutien, notamment de nombreuses streameuses, il aura fallu attendre trois jours pour que Squeezie réagisse et dénonce le cyber-harcèlement massif dont a fait l’objet sa consœur. C’est dans une vidéo diffusée en live sur Twitch, que Squeezie a pris la parole. Il a notamment comparé le nombre de messages haineux reçus par Manon Lanza au nombre qu’il reçoit lui. Un écart considérable, également constaté par Manon Lanza. « Si cela avait été un homme, on ne lui aurait jamais dit ‘Retourne dans ta cuisine’, condamne-t-elle. Alors que, quand on enfile un casque, on est tous des pilotes. »
Et sur sa prise de parole tardive ? « J’ai beaucoup de gratitudes pour ceux qui ont osé se positionner sur ce sujet, affirme la jeune femme. Mais j’ai l’impression que c’est encore difficile de le faire dans notre milieu. C’est dommage. Il y a énormément de sororité mais il faut que ça vienne de tous, des femmes comme des hommes. On a besoin que des hommes prennent la parole. »
L’heure du MeToo ?
Manon Lanza n’est pas la première streameuse à subir du cyber-harcèlement, et à le dénoncer. En octobre 2022, Maghla, 700 000 abonné·es, dénonçait ainsi publiquement la haine en ligne, la sexualisation notamment, dont elle faisait l’objet depuis plusieurs années. De nombreuses autres streameuses et vidéastes avaient alors suivi le mouvement, laissant espérer la naissance d’un #MeToo dans le milieu.
Un sexisme généralisé attesté par ailleurs par une étude de l’Ifop, en avril 2023, mettant en lumière l’ancrage des préjugés sexistes assumés chez une partie des joueur·euses. Ainsi, 30 % des hommes se sentant « très gamers » déclaraient par exemple que, dans la société actuelle, les femmes ont acquis trop de pouvoir, et 31 % des hommes se sentant « plutôt gamers » affirmaient que dans un couple, il est normal que la femme effectue plus d’activités ménagères que l’homme.
« Toujours un combat »
Depuis, la mayonnaise du MeToo a‑t-elle pris dans le milieu du stream ? Manon Lanza le déplore amèrement : il est toujours rongé par le sexisme. « C’est toujours un combat, assure-t-elle. Je n’ai pas vu d’évolution, c’est pour cela qu’il faut plus de porte-parole, des gens avec des grosses audiences. »
En ce qui concerne les sports extrêmes, ou ceux majoritairement pratiqués par des hommes, les choses changent doucement cependant. « J’ai été appelée pour faire du skate dans une pub pour un parfum Lancôme, illustre Manon Lanza. Cela n'aurait pas été le cas il y a quelques années et cela montre que ce n’est plus exclusivement un sport d’hommes. Ça met beaucoup de temps, mais les choses évoluent. » Selon elle, de plus en plus de femmes ont envie de prendre la place qu’elles méritent dans ces sports.
Faut-il alors créer des espaces dédiés aux femmes, comme l’a fait dernièrement la ville d’Amsterdam en ouvrant le premier skate park dédié aux femmes et aux LGBTQ+ ? Pour Manon Lanza, la question est délicate. « Oui, les femmes ont besoin de se retrouver entre elles, affirme-t-elle. Elles ont besoin de se sentir soutenues et peuvent trouver avec ces espaces une certaine force et une légitimité. Pour autant, ça ne soignera pas le problème. Les femmes n’ont pas à s’exclure. Ce sont les mentalités qui doivent changer. »
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