two man talking to each other on grass field
© Nathan Anderson

Inclusion des per­sonnes por­teuses de Trisomie 21 : quand cette cause cessera-​t-​elle d’être trus­tée par les anti-IVG ?

En matière de tri­so­mie 21, le plai­doyer et la défense des droits des concerné·es sont encore lar­ge­ment por­tés par des asso­cia­tions à l'agenda anti-​IVG plus ou moins mas­qué. Un sacer­doce bien confor­table, tant les ques­tions d'inclusion et d'autonomisation sont délais­sées par les poli­tiques publiques.

“Hey ser­veuse ! Tu sup­poses que je ne peux pas boire de mar­ga­ri­ta, alors tu ne me sers pas de mar­ga­ri­ta et donc je ne bois pas de mar­ga­ri­ta. […] Professeur ! Tu sup­poses que je ne peux pas apprendre du Shakespeare, alors que tu ne m’enseignes pas du Shakespeare et donc je n’apprends pas du Shakespeare.” Le clip est léché, ryth­mé et por­té par l’actrice cana­dienne Madison Tevlin, déjà remar­quée pour son rôle dans le film Champions en 2023. Le mes­sage de ce spot inti­tu­lé Assume that I can (“Considère que je peux”) créé par Coordown, fédé­ra­tion ita­lienne d’associations de per­sonnes vivant avec le syn­drome de Down, est per­cu­tant : en adop­tant des pen­sées limi­tantes et un regard infan­ti­li­sant à pro­pos des per­sonnes por­teuses de tri­so­mie 21, notre socié­té crée les condi­tions de leur exclu­sion sociale. 

Diffusée en début de semaine sur les réseaux sociaux en amont de la Journée mon­diale de la tri­so­mie 21, qui se tient tous les 21 mars, la vidéo est deve­nue virale et a failli faire l’objet d’un article sur Causette.fr. Avant qu’on efec­tue quelques recherches sur son émet­teur, Coordown… Et qu’on apprenne que c’était cette même orga­ni­sa­tion qui, dix ans plus tôt, avait créé le spot de sen­si­bi­li­sa­tion Dear Futur Mom (“Chère future maman”). Toujours consul­table en ligne, il avait été ban­ni de la télé­vi­sion fran­çaise : pour le régu­la­teur de l’audiovisuel fran­çais (le CSA en 2014), le fait de s’adresser à des femmes enceintes pour leur dire qu’un enfant tri­so­mique pou­vait mener une vie heu­reuse rele­vait du délit d’entrave à l’IVG en culpa­bi­li­sant celles qui opte­raient pour ne pas gar­der leur bébé à l’annonce d’un diag­nos­tic in utero. 

Culture de la charité

“Je me sou­viens très bien de cette cam­pagne Dear Futur Mom et de com­ment elle m’avait cho­quée”, raconte à Causette Caroline Boudet. Journaliste et autrice, elle est mère de Louise, une petite fille por­teuse de tri­so­mie, à qui elle a consa­cré deux magni­fiques livres (La vie réserve des sur­prises (2016) et L’Effet Louise (2020)). “Je la trou­vais extrê­me­ment culpa­bi­li­sante pour les mères et je com­prends pour­quoi le CSA l’avait ban­nie”, déve­loppe celle qui a, par ailleurs, comme nous, trou­vé Assume that I can géniale”. Depuis la nais­sance de Louise il y a neuf ans, Caroline Boudet doit, comme tant d’autres familles concer­nées, com­po­ser avec un entrisme des anti-​IVG et du reli­gieux dans le petit milieu qui se bat pour les droits des per­sonnes por­teuses du syn­drome de Down. La Fondation Lejeune, en tout pre­mier lieu, du nom de ce méde­cin qui s'est appro­prié la décou­verte du chro­mo­some sup­plé­men­taire faite par sa col­lègue Marthe Gautier et qui s’est bat­tu pour les condi­tions d’existence des enfants atteint·es, tout en par­tant en croi­sade contre l’IVG au nom de la foi catho­lique. Pendant long­temps, quand son conjoint et elle cher­chaient à se ren­sei­gner sur la mala­die, leurs recherches Google les rame­naient tou­jours vers le site de la Fondation, incon­tour­nable sur la ques­tion. “La Fondation Lejeune porte des valeurs à l’opposé des miennes, que ce soit sur l’IVG ou le Mariage pour tous, par exemple, constate Caroline Boudet. Mais le fait est que, parce qu’elle reçoit beau­coup de finan­ce­ments (notam­ment de la part du Puy-​du-​Fou !), sa parole et sa force de frappe média­tiques éclipsent encore aujourd’hui les struc­tures qui n’ont pas d’agenda reli­gieux, comme la Fédération Trisomie 21 France, par exemple.” 

Pour la jour­na­liste, il existe une expli­ca­tion his­to­rique à cette situa­tion : le milieu catho­lique – et avec lui ses membres les plus conservateur·rices – a tou­jours, par “culture de la cha­ri­té”, été l’acteur de pre­mier plan dans la prise en charge des enfants en situa­tion de han­di­cap, qu’il soit phy­sique ou psy­chique. “En France plus que dans d’autres pays pré­valent des visions médi­cale et cari­ta­tive du han­di­cap”, affirme Caroline Boudet. En Italie, pays plus empreint de reli­gion, si Coordown n’affiche aucune affi­lia­tion reli­gieuse et se pré­sente comme un orga­nisme non lucra­tif “apo­li­tique et non affi­lié à un par­ti”, il pré­cise aus­si œuvrer “dans le res­pect de la morale reli­gieuse et laïque de cha­cun”. Manière de ména­ger la chèvre et le chou, sur des sujets par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles et épidermiques.

"Que font les asso­cia­tions de gauche ?"

La ques­tion de l’IVG demeure donc “un peu le bou­let qu’on se traîne” quand on baigne dans le milieu de défense des droits des per­sonnes por­teuses de tri­so­mie, relève Caroline Boudet, et cela a de quoi l’agacer : “C’est dom­mage parce que c’est une perte de temps de débattre sur ça. Pendant ce temps-​là, on ne s’occupe pas des per­sonnes tri­so­miques jeunes, bien­tôt adultes, et à qui nous devons une place dans la socié­té. Qu’est-ce qu’on fait pour qu’ils aillent à l’école, qu’est-ce qu’on fait pour qu’ils tra­vaillent ?” L’inclusion : voi­là ce qui importe à la mère de Louise et qui fait qu’elle a aimé la cam­pagne Assume that I can. Le 21 mars, sa petite asso­cia­tion, Extra Louise, a redif­fu­sé sur ses réseaux sociaux une cam­pagne d’affichage qui porte le même mes­sage : si on s’en donne les moyens col­lec­ti­ve­ment, bien sûr que des enfants tri­so­miques peuvent pour­suivre une sco­la­ri­té, des adultes peuvent exer­cer un métier et mener une vie indé­pen­dante. Voire briller, comme le prouvent les par­cours de la comé­dienne Jamie Brewer ou encore du vio­lo­niste Emmanuel Bishop. Mais même sur ces ques­tions d’inclusion et d’autonomisation, les catho­liques inté­gristes sont en embus­cade. En 2020, Basta Mag racon­tait les liens des Cafés joyeux (chaîne de res­tau­ra­tion fran­çaise qui emploie du per­son­nel por­teur du syn­drome de Down et vient d’ouvrir un éta­blis­se­ment à New York) et les fon­da­men­ta­listes, option Opus Dei. 

Pour Caroline Boudet, ce genre d’initiatives à l’agenda trouble occupe un vide lais­sé par les pro­gres­sistes : “Que font la gauche et les asso­cia­tions de gauche pour les per­sonnes avec tri­so­mie qui vivent par­mi nous ?” interroge-​t-​elle. C’est, pour elle et son conjoint, leur com­bat quo­ti­dien : à 9 ans, Louise est sco­la­ri­sée grâce au très pré­caire et sous-​financé sys­tème de classe Ulis (Unité loca­li­sée pour l’inclusion sco­laire) et est heu­reuse. Mais il y a peu de temps, la famille “a dû encore se battre comme des fous” pour évi­ter une orien­ta­tion “for­cée” en IME (ins­ti­tut médico-​éducatif). “En France, l’école reste une machine à trier, conclut-​elle. Ce qu’on constate encore, c’est qu’avec la Trisomie 21, ce sont les pré­ju­gés de la socié­té qui han­di­capent ces personnes.”

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