Juliette de Causans sur son affiche electorale pour les europeennes 2024
Juliette de Causans sur son affiche électorale pour les européennes 2024 © X

Photos de cam­pagne (très) retou­chées : “J’ai fait ce qu’il faut pour qu’on parle de notre liste”, per­siste Juliette de Causans

Comme lors de ses précédentes campagnes, Juliette de Causans, ancienne “marcheuse”, aujourd’hui coporte-parole d’Écologie au centre, a mis le paquet sur la retouche photo de son affiche pour les élections européennes. De quoi interpeler Causette. Qui l’a passée à la question.

Causette : Comme lors de vos précédentes campagnes (pour les législatives partielles, en mars 2023, puis pour les sénatoriales, en septembre 2023), vous avez choisi de retoucher assez ostensiblement la photo de votre affiche de campagne. Pourquoi ?
Juliette de Causans : Les gens ne le savent pas, mais je suis juriste en droit numérique. C’est un sujet qui m’a toujours intéressée. La modification de ces affiches a débuté parce que je me suis bien rendu compte, en 2022, que c’était quand même assez compliqué de faire campagne électorale avec une étiquette politique dite “faible”. La question est donc la suivante : comment faire pour attirer suffisamment l’attention et que les gens lisent votre programme ? Moi, en 2023, j’ai pris le parti de modifier ma photo. C’était une photo un peu ancienne et j’avais demandé qu’on mette un gros coup de bronzage et un peu d’illumination des cheveux.

À l’époque, un journaliste m’a appelée d’Allemagne, en se présentant comme un journaliste de Libération. Je n’y ai pas vraiment cru et lorsqu’il m’a demandé si j’avais utilisé Photoshop, j’ai répondu non,en expliquant qu’on avait simplement utiliséune photo ancienne et modifié les couleurs. Sauf qu’il y a eu un gros buzz autour de ça – jusqu’en Corée du Sud. Les journalistes ont repris en boucleces quelques mots.Sans qu’on m’appelle, sans jamais me demander à moi, femme, candidate, le pourquoi du comment. À part le journal local, L’Union-L’Ardennais, à qui j’ai expliqué que c’étaitune manière d'utiliser l’intelligence artificielle. L’information n’a pas été reprise. Pourtant, c’est une innovation majeure.

C’est-à-dire ?
J. D. C. :
Je pense que nous sommes les premiers à avoir utilisé l’intelligence artificielle pour modifier des images de campagne et à l’avoir fait de façon suffisamment visible pour que ça se sache. Deux autres candidates du parti ont été retouchées, ainsi que plusieurs hommes – parfois de façon plus importante que les femmes. Seules les femmes avaient été alpaguées pour ça. Jamais les hommes. Ce qui a fait scandale, c’est que j’ai osé, moi, candidate, faire retoucher ma photo. C’est pire que si j’avais fait un détournement de fonds, pratiquement. J’ai eu le droit à des injures sur les réseaux sociaux, y compris des élus de la majorité présidentielle, qui connaissent pourtant mes engagements, puisque au départ j’étais membre d’En marche. À ce moment-là, j’ai supprimé mon tweet, mais il y avait eu des captures d’écran et je n’ai pas pu contrôler quoique ce soit. 

Quelques mois plus tard, pour les sénatoriales, vous avez pourtant de nouveau retouché votre affiche de campagne…
J. D. C. :
Les sénatoriales, c’était aussi une candidature symbolique, une protestation civique contre certaines choses qui se sont produites dans la Macronie. En 2022, En marche n’a pas respecté la parité. Des “marcheuses” historiques ont été désinvesties et remplacées, le plus souvent, par des hommes. Je pense en particulier à Sophie Reynal, dans l’Oise, à qui ils ont collé Éric Woerth, alors qu’elle était déjà en campagne. Ça a abouti à ce qu’En marche ait une amende et décide de perdre 4 millions d’euros plutôt que de respecter la parité. Donc, avec notre parti Europe Égalité Écologie, dont j’ai été à l’initiative, en 2023, on a décidé de présenter des candidates pour les sénatoriales. Et on a indiqué “majorité présidentielle” sur l’affiche – si Éric Woerth peut se revendiquer de la majorité présidentielle, je ne vais pas m’excuser de le faire moi aussi. Les affiches de campagnes, ce ne sont pas des photos d’identité : ce sont des messages, des symboles, elles sont signifiantes en tant que telles.

Et quel est le message que vous souhaitez faire passer ?
J. D. C. : Pour les Ardennes, même s’il y avait déjà le recours à l’intelligenceartificielle, c’était très nature, ça correspondait aux Ardennes. Pour les législatives, ça correspondait plus à l’image d’une féminité conquérante, à l’italienne, car je m’adressais aux Français d’Italie. Je m’adapte. Moi, mon but c’est qu’on lise notre programme et j’ai fait ce qu’il fallait pour qu’on s’intéresse à ma profession de foi. Même si nos propositions autour de l’intelligence artificielle n’ont pas été reprises plus que ça.

[pour les européennes, ndlr], je savais que cette troisième affiche était un peu attendue. On a commencé une campagne de terrain – au départ avec Europe Ensemble, puis on a fusionné avec Écologie au centre. Or, c’est très compliqué de présenter cette offre politique d’écologie centriste si vous ne passez pas dans les médias. Notre tête de liste, Jean-Marc Governatori, fait souvent des grèves de la faim pour tenter de se faire entendre. La question s’est posée. Mais on a considéré que ce n’était pas pertinent. Donc, avec mon équipe, j’ai choisi de faire une affiche qui brise plusieurs codes  : je ne suis pas en tailleur, je suis de profil… Après, sur la retouche en elle-même, on a modifié la carnation, ajouté du maquillage, le grain de peau devient quasi artificiel, proche d’un avatar. Les dents sont ultra blanchies façon Colgate, le ventre a été diminué, le pull a été collé au corps… Je n’ai pas retouché les seins, mais c’est vrai qu’avec l’effet ventre, ils sont davantage mis en valeur. Et c’est cette photo-là qui a été choisie parce que c’était la plus provocante. Au départ, personne ne pensait qu’elle fonctionnerait aussi bien. Moi, j’en avais la certitude.

Ne craignez-vous pas que ce focus sur votre physique retouché ne rende inaudible votre message politique ? 
J. D. C. :
Non. C’est aussi une façon de montrer que les femmes se présentent aussi comme elles veulent, qu’elles n’ont pas à se fondre dans des carcans masculins pour faire de la politique. Et puis, il y a aussi un certain sarcasme, il ne faut pas se leurrer. Aujourd’hui, les étiquettes politiques sont comme des étiquettes de lessive, le nom du parti suffit – d’ailleurs, on devrait parler de Repeinture plutôt que de Renaissance. Les gens ne se fatiguent plus à connaître les candidats, à lire les programmes. Tout repose sur la marque et le marketing. Là, quelque part, ce que je fais avec cette affiche, c’est qu’en exposant l’artifice, le mensonge, je dis une vérité quand même très profonde. Quand le mensonge est tellement visible, c’est un message, en fait.

Sauf que vous ne mentionnez nulle part que vos photos sont retouchées…
J. D. C. : Mes photos sont parfaitement disponibles : vous tapez mon nom sur Internet, vos trouvez plein de photos de moi non retouchées et même des vidéos. Le fait est qu’une affiche de campagne, ça reste une affiche de campagne. Il faut que les gens prennent conscience que c’est un message, une mise en scène. C’est de l’éducation aux médias. Nous, toutes nos affiches de campagne sont retouchées avec l’IA. Et toutes ces images font partie aussi d’une volonté de faire connaître notre programme, qui comporte un gros volet sur l’IA : sur ses applications technologiques, sur la protection de notre démocratie, contre la surveillance généralisée des citoyens.

Et alors, c’est payant ?
J. D. C. : Oui. Parce que dorénavant, les journalistes se donnent la peine de téléphoner et d’avoir mon opinion directe. Et parce que ça permet de faire connaître ce volet de notre programme, de faire savoir qu’on est candidats aux européennes.

Vous dites vouloir casser les codes, mais les retouches que vous faites contribuent quand même à véhiculer, une fois de plus, une image très normée, voire sexualisée, de la féminité… 
J. D. C. :
Ma poitrine est ce qu’elle est, j’ai allaité en public et je ne la considère pas comme un attribut sexuel. Ça reste une photo en pull. Il y a quelques années, j’ai publié une tribune : “Pour une égalité qui ne nie pas nos corps féminins”. J’en ai un peu assez qu’on vienne tout reprocher aux femmes : trop ceci, pas assez cela. Il faut nous lâcher les baskets. Plein de photos de femmes sont retouchées pour vendre des produits. Là, ce qui pose problème, c’est que je décide moi-même de retoucher ma photo pour faire du marketing un peu sarcastique. 

à la suite du partage de votre dernière affiche, vous avez fait l’objet de deepfakes (réalisés, eux aussi, à l’aide de l’IA), dont certains vous montrant dénudée. Vous avez porté plainte ?
J. D. C. :
Oui. J’accepte de modifier ma propre image pour passer un message. J’accepte que les gens en fassent des détournements humoristiques, dont certains très drôles. Je ne lutte pas contre la satire. En plus, ça fait de la pub pour Écologie au centre. En revanche, qu’on me mette nue, sans mon accord, non. Car ça vise très clairement à me salir. Avec l’idée, derrière, que le corps de la femme serait vil. C’est une volonté spécifique de dégrader, une façon de dire : “vous êtes des cochonnes et je vous fous à poil”. D’ailleurs, 90 % des gens qui sont victimes de ce genre d’histoires sont des femmes. Et c’est justement l’un des points de notre programme de lutter contre les deepfakes pornographiques. 

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