• Rechercher
  • Mot de passe oublié ?
  • Mot de passe oublié ?

Trophées MédiaClub'Elles : inter­view de la pré­si­dente Florence Sandis

Avec les Trophées MédiaClub'Elles, l'association du même nom entend mettre en lumière celles et ceux qui luttent pour plus de pari­té dans les médias. Rencontre avec sa pré­si­dente, Florence Sandis, qui nous parle du pal­ma­rès de cette année 2021. 

021 img 2915
@Corinne Vaglio

Causette : Quel est l'objectif de ces tro­phées ?
Florence Sandis : Il s'agit de mettre en valeur celles et ceux qui font des choses et qui œuvrent pour plus de pari­té dans les médias. Quand on sait à quel point par­fois cela peut-​être dif­fi­cile, je pense que c'est impor­tant de sou­li­gner les actions qui vont dans le bon sens. Ces tro­phées honorent des gens connus, mais aus­si des femmes et des hommes qui ne le sont pas for­cé­ment du grand public et même pas tou­jours de la pro­fes­sion. Par exemple, le tro­phée révé­la­tion a été remis à Mai Nguyen et Charlotte Cambon, les réa­li­sa­trices de la série ani­mée Culottées [adap­ta­tion de la BD épo­nyme de Pénélope Bagieux, ndlr]. La réa­li­sa­tion d'animation est un métier où il n'y a pas beau­coup de femmes, le fait de les mettre en valeur per­met de don­ner envie aux autres. 

Concrètement : où en est-​on de la pari­té dans le monde des médias ?
F.S. : Seulement 20 % des per­sonnes citées dans les médias sont des femmes. 30 % des experts invi­tés en pla­teau sont des femmes. 70% des invi­tés dans les mati­nales radio sont des hommes. Cela s'améliore dou­ce­ment, mais nous sommes dans une socié­té encore domi­née par les hommes et les médias, n’y échappent pas. Il y encore aus­si beau­coup de biais, de sté­réo­types de genre sur la façon dont on for­mule les articles. Encore trop sou­vent quand on parle d’une femme, sur les deux lignes pour la pré­sen­ter on va caser qu'elle est mère de famille. Alors que pour un homme, on va dire que c'est un diri­geant cha­ris­ma­tique, etc. On n'emploie pas le même vocabulaire. 

Le tro­phée d'honneur a été remis à Annick Cojean. Pourquoi ce choix ? 
F.S. : On la récom­pense tout d'abord pour Une farouche liber­té, coécrit avec Gisèle Halimi et qui est sor­ti quelques jours avant la mort de l'avocate. C'est un livre incon­tour­nable et pré­cieux qui raconte la vie de cette grande dame qui a défen­du pen­dant soixante ans la cause des femmes et dont nous sommes les héri­tières. Mais ce tro­phée est aus­si pour l'ensemble de sa car­rière. Annick Cojean est une des plus grandes jour­na­listes en France. Elle pré­side le jury du prix Albert-​Londres, qu'elle a elle-​même reçu en 1996. Elle est grand repor­ter au Monde où elle tra­vaille depuis qua­rante ans. Elle a fil­mé des femmes en Syrie et en Libye, elle a dénon­cé les viols de guerre. Elle est enga­gée. Depuis tou­jours, elle est féministe.

Le tro­phée de l'audace a été rem­por­té par Charlotte Pudlowski pour son pod­cast Ou peut-​être une nuit. Est-​ce pour le sujet qu'il aborde, l'inceste, que vous l'avez récom­pen­sé ?
F.S. : Même s'il y a eu quelques prises de paroles avant, notam­ment Vanessa Springora, Flavie Fament ou Adèle Haenel, ce pod­cast est sor­ti avant La Familia Grande de Camille Kouchner, qui a entrai­né une vague de témoi­gnages sur l’inceste. C'était auda­cieux, parce qu'il y avait encore peu de gens qui bri­saient le silence sur l’inceste. Ce pod­cast, on le suit comme une fic­tion. Le fait qu'il soit scé­na­ri­sé, incar­né par la jour­na­liste, puisqu'elle inter­roge les vic­times en com­men­çant par sa propre mère, et le fait qu'il porte sur un sujet fort qui touche les femmes comme les hommes, tout ça a fait qu’on a vou­lu la primer. 

Celui de l’homme fémi­niste a été attri­bué à Sébastien Lifshitz, le réa­li­sa­teur des docu­men­taires Adolescentes et Petite Fille… Pourquoi un prix pour un homme ? Et pour­quoi lui ?
F.S. : Ce n’est pas quelqu'un qui est très enga­gé dans des réseaux fémi­nistes, mais nous l'avons pri­mé parce que ses deux docu­men­taires pro­posent un regard très loin des sté­réo­types de genre. Pour nous, il est impor­tant de mettre en valeur des per­sonnes qui ont un regard non biai­sé, parce qu'il y a tel­le­ment d’informations qui le sont. Prenez le jour­nal télé­vi­sé et les repor­tages à la ren­trée des classes : vous avez la ména­gère avec ses enfants, qui rem­plit son cad­die et qui vous dit si les prix ont aug­men­té ou pas, si la prime à la ren­trée aide ou non. Vous avez une catas­trophe natu­relle. La vic­time ? Souvent, ce sera une femme épleu­rée. Et puis, le spé­cia­liste qui va par­ler der­rière tout ça, c'est un homme. C'est pour ça aus­si qu'on a le prix de l'homme fémi­niste. Les hommes n'ont pas for­cé­ment envie d'embrasser les causes fémi­nistes ou n'osent pas se dire fémi­nistes. Alors valo­ri­ser les hommes qui le sont peut rin­gar­di­ser ceux qui ne le sont pas et leur don­ner envie de le deve­nir. C'est pour ça que Média Club est inclusif. 

Est-​ce qu’il y a une spé­ci­fi­ci­té chez les pri­més, un thème par­ti­cu­lier qui se dégage ? 
F.S. : Le tro­phée coup de cœur a été attri­bué à Anastasia Mikova pour son docu­men­taire Woman, qui parle de toutes ces femmes qui ont souf­fert de vio­lences sexuelles, de viol, de mariages for­cés, mais aus­si à Jeanne Rosa pour son inter­pré­ta­tion du rôle prin­ci­pal dans le film Claire Andrieux d'Olivier Jahan. Avec Charlotte Pudlowski et son pod­cast sur l'inceste, il y a quand même un focus sur les vio­lences faites aux femmes, mais aus­si sur la rési­lience. Ou peut-​être une nuit ouvre des voix de rési­lience, la pre­mière étant de théo­ri­ser le silence, d’en par­ler. Jeanne Rosa dans son rôle de Claire Andrieux pose la ques­tion de com­ment cette femme va se rou­vrir à l’amour phy­sique. La série ani­mée Culottées, met en lumière ces femmes qui ont été oubliées de l’histoire, là aus­si pour leur don­ner une lumière, les faire renaître. 

Qu'est ce qui a mar­qué le fémi­nisme en 2021 ? Quels com­bats ? On a pas mal par­lé du sexisme dans les médias notam­ment suite au docu­men­taire de Marie Portolano… 
F.S. : Je pense que récem­ment, le fémi­nisme a contri­bué à inclure les pro­blé­ma­tiques de diver­si­tés raciales, eth­niques, LGBTQIA+ dans les débats socié­taux. Ce sont des com­bats qui sont proches parce que tous ceux qui ont été oppri­més se com­prennent. 
Pour ce qui est du har­cè­le­ment et des agres­sions sexuelles, le pro­blème, c'est quand on entend dire à pro­pos de quelqu'un qui har­cèle ou agresse « oui, mais c’est un très bon jour­na­liste ou direc­teur. Il apporte du chiffre d’affaires, il a de très bonnes audiences. » Il y aura un vrai chan­ge­ment quand on accep­te­ra de se défaire des gens, même s'ils font de très bonnes audiences. Il faut que les patrons disent à leurs employés « OK, si tu veux, on va tout de suite au com­mis­sa­riat et on porte plainte. » Il y a un moment où il va fal­loir être exem­plaire, poser des actions et ne pas pen­ser qu'agir publi­que­ment va être per­çu néga­ti­ve­ment. Ce qui porte l’opprobre, c'est d'attendre que l'affaire sorte dans les médias et qu'on se rende compte que cela fait des années que ça se pro­dui­sait et que des gens savaient. L'étape d’après, ce sera quand les sanc­tions seront justes. Les médias ont une res­pon­sa­bi­li­té parce qu’on n’est pas que le reflet de la socié­té, on donne le "la" aussi.

Retrouvez l'ensemble du pal­ma­rès ici : Semaine des Trophées médiaClub’Elles 2021

Partager