black and white train on track
© Martin Reisch

Faut-​il uti­li­ser le terme « racisé·e » ?

Vous l’avez sans doute déjà lu dans Causette. Vous l’avez certainement entendu dans les débats sur le racisme. Depuis quelques années, l'expression « personnes racisées » a fait irruption pour désigner, pêle-mêle, les personnes non blanches et les personnes susceptibles d’être victimes de discriminations. Peut-être que vous avez, vous aussi, adopté cette formule. Peut-être, à l’inverse, que vous ne savez pas exactement ce qu’elle signifie. Les avis divergent quant à la pertinence de son usage. Un peu de pédagogie s’impose.

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Julie Neveux

Maîtresse de conférences en linguistique à Paris-IV, autrice de Je parle comme je suis (éd. Grasset)

Ce mot a jailli dans le débat public il y a quatre ou cinq ans. Dans un premier temps, seuls les militants antiracistes l’employaient. Puis, il a fait son apparition dans les médias généralistes. Le Petit Robert 2019 l’a même intégré dans ses pages, signe qu’il est « tendance ». Cela ne signifie pas pour autant qu’il y a une adoption immédiate par le grand public. « Racisé » suscite des crispations, car la plupart des gens ont du mal à en saisir le sens. En l’occurrence, il s’est imposé dans sa forme de participe passé et semble donc être le nom pour désigner l’ensemble des gens qui ne sont pas blancs. L’autre explication, c’est que l’emploi de « race », dans un contexte postcolonial, constitue un immense tabou en France. Le terme, issu de la sociologie, a beau faire référence à des inégalités sociales et pas biologiques, son utilisation choque. On peut aussi faire le parallèle avec l’emploi de « féminicide », qui vient également des sphères militantes et dont l’utilisation fait débat. Dans les deux cas, il s’agit d’un mot qui rend visible une forme de discrimination.

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Sarah-Jane Fouda

Consultante en communication,
enseignante à l’université Paris-III

Au départ, il s’agit d’un concept sociologique, un outil intellectuel qui désigne les mécanismes de fabrication du racisme dans la société : le terme désigne un processus, il parle de situations et non de personnes. Aujourd’hui, il s’agit d’une formule plus choc, qui a permis de relancer le débat sur le racisme. Mais son apparition dans le langage courant l’a transformée en mot-valise et le terme est plaqué sur les individus. On lit et on entend désormais dire « nous, les racisés », comme s’il s’agissait d’une identité fixe pour l’ensemble des gens qui subissent des discriminations. Or cette nouvelle catégorie est trop homogène, elle gomme les différentes trajectoires sociales individuelles. Je ne l’utilise que dans un cadre universitaire, face à un public averti. Quand je le lis dans un article, je bondis et je me demande à quoi l’auteur fait référence. Ce mot participe aussi à la polarisation du débat en ramenant chacun à ses impressions : d’un côté, ceux qui parlent d’eux comme « racisés », car ils s’estiment victimes de discriminations et de l’autre, ceux qui ont le sentiment qu’il n’y a pas de racisme ou en tout cas qu’ils n’ont pas de responsabilité dans cette affaire. Dès lors, il devient quasiment impossible de penser les choses. 

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Sarah Mazouz

Sociologue au CNRS spécialiste
de l’antidiscrimination,
autrice de Race (éd. Anamosa)

Il faut utiliser le terme « racisé », car il décrit la réalité sociale que subissent les personnes victimes de racisme. Le terme vient de Colette Guillaumin, une sociologue française spécialiste du racisme et du sexisme. Elle a forgé la notion de « racisation » pour désigner comment un groupe dominant applique son hégémonie sur des groupes dominés en raison d’une origine (réelle ou non), les présentant comme différents et inférieurs. « Racisé » a en cela une signification critique. Il ne faut pas croire que le terme entérine l’idée qu’il existe des « races » – au pluriel – comme le fait le racisme. Il désigne la race – au singulier – comme mécanisme social qui produit des hiérarchies, au même titre que le genre. Mais il y a un malaise en Europe continentale autour de ce terme, car, après 1945, pour rompre avec les régimes collaborationnistes, les États se sont construits avec l’idée qu’il n’y avait pas de racisme structurel. La culture politique française républicaine considère aussi qu’on s’adresse aux citoyens en dehors de tout trait personnel, d’une manière abstraite, censée produire l’égalité. Mais cette abstraction n’empêche pas les inégalités d’exister. D’où l’importance de la dénoncer, par le vocabulaire notamment. 

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François Oulac

Journaliste, cofondateur
 du podcast Le Tchip

Le terme « racisé » est la meilleure chose qui nous soit arrivée linguistiquement parlant depuis des décennies. Les termes de « minorité visible » ou « personne de couleur » sont teintés de condescendance. Celui que je déteste le plus est : « issu de la diversité ». Sémantiquement, c’est ultra violent, car on désigne les gens par ce qu’ils ne sont pas, par rapport à une norme blanche, hétéro, cisgenre, etc. Ces expressions portent aussi un côté misérabiliste, quasi pleurnichard. « Racisé » a un sens scientifique rigoureux, puisqu’il vient de la sociologie. Certains sociologues disent qu’on l’utilise mal. Il n’est pas parfait, mais au moins, il est neutre et objectif. Je trouve par ailleurs intéressante la terminologie de « personne », noire, blanche, asiatique, que l’on entend dans les milieux militants. Cette démarche met en avant l’humanité de chacune et chacun avant de le renvoyer à sa communauté. Mais ça a aussi un danger : celui de faire preuve d’excès de pudeur raciale. Comme les gens gênés par le mot « noir », qui disent « black ». Ce qui induit l’idée que « noir » est une insulte blessante pour moi et véhicule l’image paternaliste de l’ami black cool, inoffensif, qui porte une casquette... 

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