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Camp de Grande-Synthe © Philippe Druesne

Crise d'épilepsie dans un camp de réfugié·es à Grande-​Synthe : Utopia 56 dénonce un pro­to­cole sani­taire « raciste »

Alors qu’un homme migrant a fait une crise d’épilepsie au camp de Grande-​Synthe (Nord) ce mar­di 2 août, les secours ont dû attendre la police une heure avant de pou­voir inter­ve­nir. L’association Utopia 56 s'insurge contre une prise en charge trop tar­dive, qui illustre les entraves à l’accès aux soins pour les réfugié·es. 

« Ce qui est cho­quant dans cette his­toire, c’est que les per­sonnes sont consi­dé­rées comme étant migrantes avant d’être consi­dé­rées comme des per­sonnes bles­sées ou en dan­ger. C’est inac­cep­table », s’indigne Anna Richel, coor­di­na­trice de l’association d’aide aux migrant·es Utopia 56, à Grande-​Synthe (Nord). Les volon­taires d’Utopia 56 sont en colère. Dans l’après-midi du mar­di 2 août, alors qu’une équipe de l’association effec­tuait une maraude comme à son habi­tude dans le cam­pe­ment infor­mel de Grande-​Synthe, un homme s'est mis à subir une crise d’épilepsie. Selon le récit d’Anna Richel, les béné­voles ont immé­dia­te­ment contac­té les secours, et un camion de pom­pier a rejoint le camp au bout de vingt minutes. 

Sauf que, comme le relate Utopia 56, les secours ont été contraints d’attendre sur le par­king à l’entrée du camp avant de pou­voir inter­ve­nir, for­cés de suivre un pro­to­cole strict qui leur impose d’attendre l’arrivée des forces de l’ordre, alors qu'ils se trou­vaient à 200 mètres de l’homme en crise d'épilepsie. 

Après une heure d’attente, la police a fini par atteindre le lieu, et les pom­piers ont fina­le­ment pu péné­trer dans le camp et venir en aide au patient. L’homme a été pris en charge, puis conduit à l’hôpital. 

Révolté·es contre une si longue attente et un pro­to­cole jugé « absurde », les béné­voles de l’association ont aler­té sur cette situa­tion le jour-​même, en pos­tant deux tweets dans les­quels ils·elles inter­pellent direc­te­ment la Préfecture de la région Hauts-​de-​France et du Nord pour obte­nir des réponses sur ce pro­to­cole par­ti­cu­lier. Ils·elles ont éga­le­ment rap­pe­lé que « l'accès à la san­té est un droit, et la non-​assistance à per­sonne en dan­ger un délit »

« Ça dis­suade par­fois les gens d’appeler les secours »

Cette situa­tion, Anna Richel y est habi­tuée. « Que les pom­piers n’interviennent qu’une fois que les forces de l’ordre sont là, c’est quelque chose qui arrive extrê­me­ment sou­vent, souligne-​t-​elle auprès de Causette. C’est un pro­to­cole très éton­nant car à notre connais­sance, il n’y a jamais eu de vio­lence envers les pom­piers de la part des per­sonnes exi­lées. » La coor­di­na­trice sou­tient aus­si qu’à ce moment pré­cis, il n’y avait aucun dan­ger dans ce cam­pe­ment proche du port de Dunkerque, où se trou­vaient les bénévoles. 

Pourtant, cette situa­tion per­dure et pro­voque la peur des réfugié·es face à l’implication de la police dans de simples cas d’urgence médi­cale. « On doit expli­quer aux per­sonnes que les pom­piers risquent de venir avec les poli­ciers. Ça dis­suade par­fois les gens d’appeler les secours pour eux, par peur de repré­sailles de la part de la police. C’est dra­ma­tique car il y a un vrai pro­blème de san­té, et nous, on ne peut pas tou­jours les aider. On n’est pas soi­gnant, on n’est pas habi­li­té à trans­por­ter une per­sonne qui a fait une crise d’épilepsie… », déplore la coordinatrice. 

Même si les béné­voles connaissent régu­liè­re­ment ce type de cir­cons­tances, elles n’en demeurent pas moins très déli­cates. En atten­dant l’arrivée de la police, l’équipe d’Utopia 56 a dû res­ter très calme pour ras­su­rer l'homme qui ne par­lait pas fran­çais, trou­ver des solu­tions pour le dépla­cer à l’ombre, et lui pro­cu­rer de l’eau. « À Utopia 56, on a comme pro­to­cole de ne pas se sépa­rer, pour des ques­tions de sécu­ri­té interne, donc on n’a pas pu envoyer une per­sonne voir les pom­piers pen­dant que quelqu’un res­tait avec le mon­sieur », raconte Anna Richel. 

Comme en témoigne la coor­di­na­trice, cet épi­sode est carac­té­ris­tique du quo­ti­dien de stig­ma­ti­sa­tion que subissent les réfugié·es dans ce camp, où les condi­tions de vie sont extrê­me­ment dures pour le mil­lier de per­sonnes qui s'y est ins­tal­lé. « Cet événement-​là était déjà très pro­blé­ma­tique mais il sou­lève d’autres ques­tions, comme la dif­fi­cul­té d’accès aux soins pour ces per­sonnes, ou d’accès à l’eau alors que les tem­pé­ra­tures explosent. » Selon elle, une seule asso­cia­tion assure le rem­plis­sage d’eau dans le cam­pe­ment de Grande-​Synthe. La pro­tec­tion civile est venue dis­tri­buer des bou­teilles d’eau aux exilé·es une seule fois, le jour de cani­cule le plus chaud en juillet. « Il n’y a rien qui est fait, affirme Anna Richel. On dénonce cette zone de non-​droit dans laquelle se trouvent ces gens, où l’accès à l’eau, aux soins et aux besoins vitaux ne sont pas assu­rés. Leur recon­nais­sance en tant qu’humain est bafouée sur tous les plans. »

Un pro­to­cole opaque

Causette a ten­té d’en savoir plus sur ce pro­to­cole entre pom­piers et police que décrit Utopia 56. Nous avons briè­ve­ment échan­gé avec le Service Départemental d’Incendie et de Secours du Nord, qui nous a infor­mées « ne pas pou­voir nous en dire plus et pou­voir nous répondre, car ce pro­to­cole relève des com­pé­tences de la pré­fec­ture ». Contactées, la sous-​préfecture de Dunkerque et la pré­fec­ture de la région Hauts-​de-​France et du Nord n’ont, pour l'heure, pas don­né suite à nos sollicitations. 

Selon Anna Richel, ce pro­to­cole qui lie la pré­sence des pom­piers et des poli­ciers est dis­pro­por­tion­né face à la non-​dangerosité de ce camp, et se base plu­tôt sur une crainte infon­dée qui ver­rait les migrant·es comme des per­sonnes agres­sives ou mena­çantes. « Pour moi, si ce pro­to­cole est mis en place, c’est parce que ce sont des per­sonnes migrantes. Ici, ce n’est pas un endroit fon­ciè­re­ment dan­ge­reux. Ce qu’on retrouve là, c’est du racisme, une peur qui a été ins­tau­rée et des pro­to­coles qui limitent au maxi­mum l’accueil et la prise en charge de ces per­sonnes. C’est ça qui est très grave », insiste la coordinatrice. 

Elle ajoute qu’il y a « des situa­tions où le fait que les pom­piers attendent la pré­sence de la police est jus­ti­fiée, par exemple quand il y a des fusillades. Mais en revanche, si vous, vous faites une crise d’épilepsie chez vous ou dans un café, je suis cer­taine qu’ils n’attendent pas la police pour inter­ve­nir… » C’est cette dif­fé­rence de trai­te­ment que les béné­voles d’Utopia 56 sou­haitent voir révo­quée. Ils·elles attendent éga­le­ment de la police plus de trans­pa­rence vis-​à-​vis de ce pro­to­cole dont Utopia 56 ignore le conte­nu, et une éva­lua­tion du niveau de dan­ge­ro­si­té pour chaque situa­tion où les secours sont ame­nés à inter­ve­nir. « On demande sim­ple­ment à ce que les per­sonnes migrantes soient soi­gnées au même titre que des per­sonnes fran­çaises… », sou­pire Anna Richel. 

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