Alors qu’un homme migrant a fait une crise d’épilepsie au camp de Grande-Synthe (Nord) ce mardi 2 août, les secours ont dû attendre la police une heure avant de pouvoir intervenir. L’association Utopia 56 s'insurge contre une prise en charge trop tardive, qui illustre les entraves à l’accès aux soins pour les réfugié·es.
« Ce qui est choquant dans cette histoire, c’est que les personnes sont considérées comme étant migrantes avant d’être considérées comme des personnes blessées ou en danger. C’est inacceptable », s’indigne Anna Richel, coordinatrice de l’association d’aide aux migrant·es Utopia 56, à Grande-Synthe (Nord). Les volontaires d’Utopia 56 sont en colère. Dans l’après-midi du mardi 2 août, alors qu’une équipe de l’association effectuait une maraude comme à son habitude dans le campement informel de Grande-Synthe, un homme s'est mis à subir une crise d’épilepsie. Selon le récit d’Anna Richel, les bénévoles ont immédiatement contacté les secours, et un camion de pompier a rejoint le camp au bout de vingt minutes.
Sauf que, comme le relate Utopia 56, les secours ont été contraints d’attendre sur le parking à l’entrée du camp avant de pouvoir intervenir, forcés de suivre un protocole strict qui leur impose d’attendre l’arrivée des forces de l’ordre, alors qu'ils se trouvaient à 200 mètres de l’homme en crise d'épilepsie.
Après une heure d’attente, la police a fini par atteindre le lieu, et les pompiers ont finalement pu pénétrer dans le camp et venir en aide au patient. L’homme a été pris en charge, puis conduit à l’hôpital.
Révolté·es contre une si longue attente et un protocole jugé « absurde », les bénévoles de l’association ont alerté sur cette situation le jour-même, en postant deux tweets dans lesquels ils·elles interpellent directement la Préfecture de la région Hauts-de-France et du Nord pour obtenir des réponses sur ce protocole particulier. Ils·elles ont également rappelé que « l'accès à la santé est un droit, et la non-assistance à personne en danger un délit ».
« Ça dissuade parfois les gens d’appeler les secours »
Cette situation, Anna Richel y est habituée. « Que les pompiers n’interviennent qu’une fois que les forces de l’ordre sont là, c’est quelque chose qui arrive extrêmement souvent, souligne-t-elle auprès de Causette. C’est un protocole très étonnant car à notre connaissance, il n’y a jamais eu de violence envers les pompiers de la part des personnes exilées. » La coordinatrice soutient aussi qu’à ce moment précis, il n’y avait aucun danger dans ce campement proche du port de Dunkerque, où se trouvaient les bénévoles.
Pourtant, cette situation perdure et provoque la peur des réfugié·es face à l’implication de la police dans de simples cas d’urgence médicale. « On doit expliquer aux personnes que les pompiers risquent de venir avec les policiers. Ça dissuade parfois les gens d’appeler les secours pour eux, par peur de représailles de la part de la police. C’est dramatique car il y a un vrai problème de santé, et nous, on ne peut pas toujours les aider. On n’est pas soignant, on n’est pas habilité à transporter une personne qui a fait une crise d’épilepsie… », déplore la coordinatrice.
Même si les bénévoles connaissent régulièrement ce type de circonstances, elles n’en demeurent pas moins très délicates. En attendant l’arrivée de la police, l’équipe d’Utopia 56 a dû rester très calme pour rassurer l'homme qui ne parlait pas français, trouver des solutions pour le déplacer à l’ombre, et lui procurer de l’eau. « À Utopia 56, on a comme protocole de ne pas se séparer, pour des questions de sécurité interne, donc on n’a pas pu envoyer une personne voir les pompiers pendant que quelqu’un restait avec le monsieur », raconte Anna Richel.
Comme en témoigne la coordinatrice, cet épisode est caractéristique du quotidien de stigmatisation que subissent les réfugié·es dans ce camp, où les conditions de vie sont extrêmement dures pour le millier de personnes qui s'y est installé. « Cet événement-là était déjà très problématique mais il soulève d’autres questions, comme la difficulté d’accès aux soins pour ces personnes, ou d’accès à l’eau alors que les températures explosent. » Selon elle, une seule association assure le remplissage d’eau dans le campement de Grande-Synthe. La protection civile est venue distribuer des bouteilles d’eau aux exilé·es une seule fois, le jour de canicule le plus chaud en juillet. « Il n’y a rien qui est fait, affirme Anna Richel. On dénonce cette zone de non-droit dans laquelle se trouvent ces gens, où l’accès à l’eau, aux soins et aux besoins vitaux ne sont pas assurés. Leur reconnaissance en tant qu’humain est bafouée sur tous les plans. »
Un protocole opaque
Causette a tenté d’en savoir plus sur ce protocole entre pompiers et police que décrit Utopia 56. Nous avons brièvement échangé avec le Service Départemental d’Incendie et de Secours du Nord, qui nous a informées « ne pas pouvoir nous en dire plus et pouvoir nous répondre, car ce protocole relève des compétences de la préfecture ». Contactées, la sous-préfecture de Dunkerque et la préfecture de la région Hauts-de-France et du Nord n’ont, pour l'heure, pas donné suite à nos sollicitations.
Selon Anna Richel, ce protocole qui lie la présence des pompiers et des policiers est disproportionné face à la non-dangerosité de ce camp, et se base plutôt sur une crainte infondée qui verrait les migrant·es comme des personnes agressives ou menaçantes. « Pour moi, si ce protocole est mis en place, c’est parce que ce sont des personnes migrantes. Ici, ce n’est pas un endroit foncièrement dangereux. Ce qu’on retrouve là, c’est du racisme, une peur qui a été instaurée et des protocoles qui limitent au maximum l’accueil et la prise en charge de ces personnes. C’est ça qui est très grave », insiste la coordinatrice.
Elle ajoute qu’il y a « des situations où le fait que les pompiers attendent la présence de la police est justifiée, par exemple quand il y a des fusillades. Mais en revanche, si vous, vous faites une crise d’épilepsie chez vous ou dans un café, je suis certaine qu’ils n’attendent pas la police pour intervenir… » C’est cette différence de traitement que les bénévoles d’Utopia 56 souhaitent voir révoquée. Ils·elles attendent également de la police plus de transparence vis-à-vis de ce protocole dont Utopia 56 ignore le contenu, et une évaluation du niveau de dangerosité pour chaque situation où les secours sont amenés à intervenir. « On demande simplement à ce que les personnes migrantes soient soignées au même titre que des personnes françaises… », soupire Anna Richel.