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© Anna Shvets

Congé de nais­sance : bonne nou­velle ou grosse arnaque ?

Durée, indem­ni­sa­tion, moda­li­tés de par­tage entre les parents, éga­li­té entre hommes et femmes… Alors que l’annonce d’un nou­veau “congé de nais­sance” sus­cite beau­coup de ques­tions – et d’inquiétudes –, on fait le point avec l’économiste Rachel Silvera sur les avan­cées et les dan­gers qui se pro­filent der­rière cette mesure.

À ce stade, voi­là ce qu’on en sait : à l’horizon 2025, le congé paren­tal sera rem­pla­cé par un “congé de nais­sance” plus court mais mieux rému­né­ré. Soit une période maxi­male de six mois, com­pre­nant la période du congé de mater­ni­té (actuel­le­ment de seize semaines, dont dix post-​naissance) et du congé pater­ni­té (actuel­le­ment de vingt-​huit jours, dont 7 obli­ga­toires). Côté rému­né­ra­tion, le gou­ver­ne­ment a fait savoir qu’il serait indem­ni­sé au pro­ra­ta du salaire, jusqu’à 1 800 euros pour le volet Sécurité sociale. Une indem­ni­sa­tion que l’employeur pour­ra com­plé­ter pour assu­rer 100 % du reve­nu. Et après ? Entretien avec Rachel Silvera, éco­no­miste, maî­tresse de confé­rences à l’université Paris-​Nanterre et spé­cia­liste des ques­tions d’égalité salariale.

Causette : La meilleure rému­né­ra­tion de ce futur “congé de nais­sance” est-​elle une avan­cée ? Et si oui, pour qui ?

Rachel Silvera : Aujourd’hui, il faut savoir qu’en France, à la dif­fé­rence d’autres pays, on dis­tingue le congé paren­tal, qui relève du droit du tra­vail, et la PreParE [Prestation par­ta­gée d’éducation de l’enfant], qui est une allo­ca­tion for­fai­taire ver­sée par la Caisse natio­nale d’allocation fami­liale. Le gros point noir de cette PreParE, c’est qu’elle n’est que de 428 euros par mois, quel que soit votre salaire, pour un congé paren­tal à temps plein. C’est tel­le­ment déri­soire que, pro­gres­si­ve­ment, le peu d’hommes qui le pre­naient ont arrê­té et les femmes le prennent de moins en moins [le nombre de béné­fi­ciaires ayant été divi­sé de moi­tié entre 2013 et 2021, ndlr]. La rému­né­ra­tion c’est bien le vrai sujet.
Avec le congé de nais­sance qui se des­sine, il est ques­tion d’en faire un com­plé­ment lié à son salaire. C’est une avan­cée. Et c’est ce qu’il se fait déjà dans beau­coup de pays, notam­ment nor­diques, plus avan­cés que nous sur ce sujet. 
Alors, à qui cela profitera-​t-​il ? Si c’est cal­cu­lé au pro­ra­ta du salaire, il fau­dra voir quel sera le pour­cen­tage sala­rial qui sera acté. Si on parle de 50 % du salaire anté­rieur, c’est ridi­cule. Sans débattre d’hypothèses qui ne sont pas encore arbi­trées, il semble qu’on s’orienterait vers le même sys­tème que celui du congé mater­ni­té : à savoir, des indem­ni­tés jour­na­lières pla­fon­nées [ver­sées par la Sécurité sociale], avec, pour la plu­part des femmes sala­riées, un com­plé­ment de l’employeur pré­vu par les conven­tions col­lec­tives. Cela veut dire que ce sont sur­tout les per­sonnes bien rému­né­rées qui vont y gagner, dans la mesure où, plus le salaire est éle­vé, plus on s’éloignera des 428 euros actuels de la PreParE. Cela sera glo­ba­le­ment plus pro­fi­table sur­tout aux pères, qui gagnent majo­ri­tai­re­ment plus que les mères. Mais c’est un moindre mal, à mon avis, si l’on veut atti­rer les hommes et espé­rer arri­ver à un vrai par­tage du congé paren­tal.

Aujourd’hui, seuls 0,8 % des hommes prennent un congé paren­tal à temps plein, contre 14 % des femmes. La hausse de l’indemnisation de ce congé paren­tal est-​elle à même de réduire les inéga­li­tés pro­fes­sion­nelles qui se creusent entre hommes et femmes après la nais­sance d’un enfant ?

R. S. : C’est un fac­teur qui peut contri­buer à plus d’égalité dans le champ pro­fes­sion­nel, car ça peut favo­ri­ser plus de par­tage du congé paren­tal. Mais est-​ce que, pour autant, tous les pères vont le prendre ? C’est la pre­mière ques­tion. Aujourd’hui, il y a une frange de copa­rents qui ne prennent pas les vingt-​huit jours de congé pater­ni­té, alors que c’est rela­ti­ve­ment bien rému­né­ré. On sait que, pour cer­tains, ça leur semble encore déloyal vis-​à-​vis de leur employeur que d’afficher vou­loir s’occuper de ses enfants.
Autrement dit, il faut déve­lop­per tout un tra­vail sur la culture d’entreprise et dans notre socié­té pour qu’il soit nor­mal, natu­rel, voire obli­ga­toire qu’un père – comme une mère – prenne un temps pour s’occuper de son nouveau-​né. Et ça, c’est pas encore gagné. Au-​delà de rendre le congé coparent obli­ga­toire, on pour­rait aus­si par exemple valo­ri­ser dans les cri­tères d’évaluation pro­fes­sion­nelle le fait d’avoir pris son congé de naissance.

Pour l’heure, le gou­ver­ne­ment n’entend pas rendre une par­tie de ce congé de nais­sance obli­ga­toire pour les pères, comme c’est le cas en Suède, par exemple…

R. S. : Je pense qu’on devrait tendre vers une vraie obli­ga­tion pour une par­tie de ce congé. La ques­tion, c’est par quel méca­nisme ? Une part du congé paren­tal actuel a été condi­tion­né au fait qu’il devait être aus­si pris par les pères : la PreParE est per­due pour la mère sur la der­nière [et troi­sième] année si le père n’en prend pas six mois. 

L'Élysée a fait savoir que l’employeur "pour­ra com­plé­ter" les indem­ni­tés jour­na­lières ver­sées par la Sécurité sociale. Cela va donc faire l’objet de dis­cus­sion avec les par­te­naires sociaux. Est-​il pos­sible qu’à l’arrivée, tous les parents ne soient pas logés à la même enseigne, selon leurs sec­teurs d’activité ?

R. S : Il fau­drait deman­der à un juriste mais, ce que je peux vous dire, c’est que pour le congé mater­ni­té, ça a été pro­gres­sif. Quand il est appa­ru en 1919, il n’était pas rému­né­ré du tout. Progressivement, on y est arri­vé et la plu­part des conven­tions col­lec­tives ont ins­crit la cou­ver­ture de ce congé jusqu’à 100 % du salaire. Aujourd’hui, par­mi les sala­riées, seules les femmes qui ne sont pas sous une conven­tion col­lec­tive n’ont pas cette cou­ver­ture employeur. Ça a été pareil pour le congé pater­ni­té : au début, c’était seule­ment pré­vu dans les accords d’entreprises sur l’égalité des grands groupes, puis c’est venu dans des conven­tions col­lec­tives. Donc, je crains fort qu’il faille que les moda­li­tés de congé de nais­sance soient négo­ciées dans chaque branche. Mais dans l’absolu, la loi pour­rait obli­ger les par­te­naires sociaux à négo­cier cela dans leurs conven­tions collectives.

Le pas­sage à un sys­tème d'indemnité jour­na­lière finan­cée en par­tie par la Sécurité sociale, et pos­si­ble­ment com­plé­tée par l’employeur, peut-​il avoir des effets néga­tifs sur l’emploi des femmes ? 

R. S. : Si la part du père reste obli­ga­toire, non. Le pro­blème, c’est que si on met les employeurs à contri­bu­tion, ils vont pro­gres­si­ve­ment s’y mettre mais, dans le deal, ils vont refu­ser que ce soit obli­ga­toire. Et si on rend les choses obli­ga­toires seule­ment pour la par­tie liée aux mères, alors oui, il y a un risque que les employeurs pré­fèrent, à com­pé­tences égales, prendre un homme face à une femme qui “ris­que­rait” de tom­ber enceinte. Autrement dit, il faut que cela soit éga­li­taire pour qu’il n’y ait pas de risque de dis­cri­mi­na­tion. Après, la ques­tion essen­tielle, sur laquelle on reste dans le flou total, c’est celle de la durée et de la répar­ti­tion entre parents.

Ce qu’on sait à ce stade, c’est que la durée de congé de nais­sance sera rame­née à six mois, com­pre­nant la durée de congé mater­ni­té et du congé deuxième parent. Quand on sait qu’il manque en moyenne un mode de garde pour 40 % des enfants de moins de 3 ans (voire plus selon les ter­ri­toires), quels seront les effets pour les parents, notam­ment les mères ?

R. S : Il est évident que réfor­mer le congé paren­tal sans poser immé­dia­te­ment la ques­tion des modes d’accueil est une aber­ra­tion. Si on rac­cour­cit ce congé sans pré­voir en même temps de nou­veaux modes d’accueil, il y a un dan­ger patent. Parce qu’on va mettre de nom­breux parents en dif­fi­cul­té et on sait que, dans ces cas-​là, ce sera la mère qui va quit­ter son emploi. Il y a un risque fort, notam­ment pour les femmes les moins qua­li­fiées et les reve­nus modestes, pour qui l’on sait que la nais­sance d’un enfant fra­gi­lise le lien à l’emploi. Donc sans mode d’accueil sup­plé­men­taire pré­vu, et plus encore si ce congé est de six mois en tota­li­té, ça sera un piège pour ces femmes.
L’Élysée a dit que ce congé sera un “atte­lage entre les congés exis­tants, mater­ni­té (seize semaines) et pater­ni­té (vingt-​huit jours), un com­plé­ment qui doit leur per­mettre de res­ter au total six mois auprès de leur enfant”. S’il s’agit de six mois en tota­li­té pour les deux parents, alors c’est une super­che­rie. Concrètement, ça veut dire qu’on allon­ge­rait le congé de mater­ni­té d’un mois. Ou alors, il y a l’idée – qui a déjà été envi­sa­gée par le pas­sé, et tout le monde s’est révol­té – de grat­ter sur les seize semaines de congé de mater­ni­té pour en offrir une par­tie au père. Vous ima­gi­nez ? Beaucoup de femmes n’arrivent déjà pas à reprendre à la fin de leur congé mater­ni­té. Ce serait grave sur le plan de la san­té des femmes. Accoucher, ce n’est pas rien. Travailler, ce n’est pas rien. Et un bébé, ce n’est pas rien en termes de fatigue.
Moi, je prône au moins six mois pour chaque parent, bien rému­né­rés. Sans le rendre tota­le­ment obli­ga­toire. Il faut que ça soit souple. D’une part parce que cer­taines femmes sou­haitent reprendre leur acti­vi­té avant les six mois de leur enfant. D’autre part parce qu’il ne faut pas dédoua­ner l’État de trou­ver des modes d’accueil avant les 1 an de l’enfant, ce que fait par exemple la Suède. En France, on peut avoir des modes de garde dès les 3 mois de l’enfant. Il faut gar­der ça, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain… sachant qu’il manque aujourd’hui entre 200 000 et 400 000 places d’accueil.

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