Pour la première fois, une femme vient de déposer un recours contre la France devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour avoir été condamnée en 2019 par la justice française dans le cadre d’un divorce pour faute à son seul tort au motif qu’elle refusait d’accomplir son devoir conjugal, c’est-à-dire d’avoir des rapports sexuels avec son mari. Une sanction rendue possible par une « interprétation archaïque » du Code civil, selon Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol.
« Le mariage n’est pas une servitude sexuelle », dénoncent le Collectif féministe contre le viol (CFCV) et la Fondation des femmes dans un communiqué de presse le 15 mars dernier. Quelques jours plus tôt, le 5 mars, les deux associations féministes accompagnaient Barbara dans son recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour « ingérence dans la vie privée » et « atteinte à l’intégrité physique ». En 2015, après vingt-sept années de mariage, Barbara assignait son mari en divorce pour faute. L’Yvelinoise lui reproche à l’époque d’avoir pris un poste de magistrat loin du domicile et de l’avoir de ce fait laissée assumer seule l’éducation de leurs quatre enfants. L’épouse accuse également son mari de violences conjugales ainsi que de violences verbales et physiques à l’encontre de leur fille cadette. Son conjoint conteste l’ensemble des accusations et réclame, lui, la reconnaissance d’un divorce pour faute en raison du refus de sa femme à avoir des relations sexuelles avec lui depuis 2004. Selon Mediapart, Barbara avait alors fait valoir devant la justice que cette absence de relations sexuelles résultait d’une part de ses problèmes de santé justifiés par des attestations et des certificats médicaux, et d’autre part de la « violence » de son époux. Le tribunal de grande instance de Versailles rejette le divorce pour faute en 2018 et prononce une séparation aux torts partagés.
Les deux époux font appel de ce jugement. Et en 2019, la Cour d’appel de Versailles prononce, cette fois, le divorce aux torts exclusifs de Barbara, en retenant pour faute son « refus à avoir des relations intimes avec son mari ». Dans son arrêt, la Cour considère que les « éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce, pendant une durée aussi longue. » Ce refus constitue pour la cour « une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune. » Le 17 septembre dernier, la Cour de cassation confirme définitivement la condamnation de Barbara en rejetant le pourvoi de cette femme de 66 ans. « Barbara est évidemment scandalisée et consternée par cette décision qui s’ancre dans la culture du viol, souligne Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. Cet arrêt envoie un message très fort aux femmes mariées : vous pourrez être condamnées si vous n’avez pas de relations sexuelles avec votre époux. »
Ambiguïté juridique
Le mariage instaure-t-il alors l’obligation pour les époux·ses de respecter le dit devoir conjugal ? Juridiquement, aucun article du Code civil ne précise explicitement que les relations sexuelles soient obligatoires. Le devoir conjugal – qui voit le jour dans le code pénal napoléonien en 1810 – disparaît des textes le 5 septembre 1990, lorsque la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnait pour la première fois le crime de « viol entre époux » dans le cadre du mariage. Le viol conjugal, lui, fait son entrée dans le Code pénal seulement en 2006.
En ce qui concerne le mariage, aujourd’hui, l’article 212 du Code civil prévoit que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance ». Un peu plus loin, l’article 215 dispose qu’ils « s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». L’article 242 prévoit quant à lui que le divorce peut être demandé lorsqu’un·e ne respecte pas les « devoirs et obligations du mariage ». C’est donc dans cette notion de « communauté de vie » et surtout dans son interprétation que repose toute l’ambiguïté juridique. « La justice a aboli le devoir conjugal en 1990 pourtant cela reste encore au bon vouloir des juges, dénonce Emmanuelle Piet. Les juges interprètent cette communauté de vie comme étant à la fois une communauté de lit et une communauté de toit. C’est une interprétation complètement archaïque car la communauté de vie ne saurait justifier la survie du « devoir conjugal » ! » Ces interprétations juridiques sont cependant motivées par la jurisprudence française. En effet, plusieurs décisions ont, par le passé, sanctionné l’absence de relations sexuelles dans un ménage. L’une des dernières en date : la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a prononcé, en 2011, un divorce aux torts exclusifs de l’homme l’ordonnant ainsi de verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son ex-femme au motif que les rapports sexuels étaient insuffisants.
En accompagnant Barbara dans son recours devant la CEDH, le Collectif féministe contre le viol et la Fondation des femmes souhaitent faire condamner la France afin de garantir « le respect de la vie privée et de l’intégrité physique des femmes, y compris dans le mariage ». Pour la présidente du CFVC, « laisser perdurer ce flou juridique autour du devoir conjugal, c’est perpétuer la culture du viol. C’est maintenir un outil d’intimidation dans le couple. La France doit être condamnée une bonne fois pour toutes pour que cette notion de devoir conjugal disparaisse totalement [des jugements]. » Le 22 novembre 1995, avec la condamnation du Royaume-Uni à ce sujet, la Cour européenne avait déjà proscrit le devoir conjugal. Bientôt le tour de la France ? « Nous venons tout juste de recevoir l’accusé de réception de notre recours », indique Emmanuelle Piet.