À Bordeaux, Aïcha N’Doye, chirurgienne gynécologue spécialisée en cancérologie, apaise ses patientes en chantant.
Blouse blanche, longues tresses noires, sourire inébranlable, Aïcha N’Doye, 34 ans, officie en tant que chirurgienne gynécologue spécialisée en cancérologie à Bordeaux. Dans une salle d’opération aux lumières blafardes, sa voix chaude et envoûtante interprète I Have Nothing, morceau de Whitney Houston, la main posée sur le ventre de sa patiente. La chirurgienne bordelaise mène une double vie de médecin et chanteuse. Elle apaise ainsi les patientes qu’elle opère.
“La première fois que j’ai chanté au bloc, j’étais interne. La patiente, très agitée et stressée, s’est immédiatement calmée et l’anesthésiste a réussi à l’endormir. Depuis, j’en ai fait un outil à part entière dans mon activité”, se remémore la médecin. Aujourd’hui, son premier album réalisé avec deux autres collègues vient de sortir. Le trio – qui se fait appeler “Les Soignantes” – s’est hissé en demi-finale de La France a un incroyable talent et rêve de remporter la finale le 22 décembre prochain. “Tout est arrivé si vite, je n’en reviens pas”, confie Aïcha N’Doye, qui n’avait pas pour plan de carrière de se lancer dans la musique.
Des milliers de vues
Avec un père, un oncle et un grand-père médecins et une grand-mère sage-femme, la jeune bordelaise décide de suivre la même voie et d’entamer des études de médecine. Elle chantonnait bien à l’école, à la maison, “mais personne ne [la] prenait vraiment au sérieux”, confie-t-elle. Elle n’a pourtant jamais abandonné la musique, le chant est pour elle sa “normalité”. Si sa pratique est d’abord restée cantonnée aux murs de l’hôpital, une vidéo postée en janvier sur les réseaux sociaux par Philippe Cruette, directeur général de GBNA Santé – dont fait partie la polyclinique Bordeaux Nord où elle exerce – a depuis tout changé.
La vidéo est partagée des milliers de fois. “En quelques jours, ça a fait le tour du monde. […] Dans un contexte, aujourd’hui, où les métiers de la santé sont difficiles, je crois que ça a véhiculé beaucoup d’espoir et de bonne humeur”, affirme Philippe Cruette, dont le soutien soulage la chirurgienne. “Au début, certains collègues disaient : ‘Elle est bien gentille mais si elle veut chanter qu’elle aille le faire dehors.’ Puis, ils se sont rendu compte que je faisais bien mon travail, que ce n’est pas du folklore, qu’il y a un but thérapeutique derrière”, insiste Aïcha N’Doye.
Bien plus qu’une chansonnette
Aline Grand Moursel a vécu les quelques notes interprétées par sa chirurgienne avant son opération comme un “moment de grâce”. La sexagénaire a subi une mastectomie totale. “Je pleurais car j’allais perdre mon sein. Le Dr N’Doye m’a pris la main, elle me regardait dans les yeux et chantait… J’étais déjà ailleurs, totalement apaisée”, se souvient la retraitée bordelaise. “On sait que quand on s’endort apaisé, le réveil se fait plus en douceur et le corps a besoin de beaucoup moins de produit anesthésiant”, analyse Aïcha N’Doye. Selon Aline Grand Moursel, sa médecin est avant tout une “excellente chirurgienne, une magnifique chanteuse, mais surtout une femme dotée d’une très grande compassion”. Loïc Manwel, infirmier de profession et directeur artistique des Soignantes, ajoute : “Qu’elle soit fatiguée ou en retard sur son planning, Aïcha va toujours prendre le temps de chanter car chaque patiente est unique à ses yeux.” Selon lui, des “centaines” de soignant·es n’oseraient pas chanter à leurs patient·es de peur des réactions de leur hiérarchie. “L’employeur ne sait pas toujours ce dont le patient a besoin. J’ai envie de dire à tous ces médecins, infirmiers, ambulanciers : ‘Le paysage du monde médical de demain est entre vos mains, faites cette révolution pacifique’”, s’enthousiasme-t-il.
Aïcha N’Doye s’étonne encore un peu de l’engouement suscité par sa pratique inhabituelle mais croit fermement en ses bénéfices. “Aujourd’hui, de plus en plus de femmes veulent que ce soit moi qui les opère. Je crois qu’au-delà de la performance vocale, ce qui les touche, c’est de savoir que dans ce monde médical ultra-aseptisé on peut trouver trois minutes pour les apaiser et leur faire du bien”, estime-t-elle. Les bénéfices des ventes de l’album serviront d’ailleurs à financer des projets pour le bien-être des patient·es mais aussi des soignant·es, toujours en lien avec la musique et le chant. Pour l’heure, la chirurgienne compte néanmoins “rester médecin, tout en continuant à chanter !”, lance-t-elle dans un éclat de rire.