Après les révélations de Mediapart ce samedi quant aux accusations de viols contre Damien Abad, la gauche et plusieurs associations appellent à démettre le nouveau ministre des Solidarités de ses fonctions, par mesure de précaution. De leur côté, ses anciens collègues chez Les Républicains affirment ne pas être surpris par ce scandale.
Le gouvernement Borne s’est tout juste formé ce vendredi 20 mai, et voilà déjà le premier gros caillou dans sa botte : nommé ministre des Solidarités, Damien Abad est accusé de viols en 2010 et 2011 par deux femmes, comme le révèle Mediapart le lendemain de sa nomination, samedi 21 mai. Une affaire qui ébranle l'exécutif, surtout depuis que l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles explique avoir adressé un signalement par mail à la direction de La République En Marche et des Républicains, ancien parti du Nîmois, lundi 16 mai, à la suite de la demande d’une des plaignantes.
Un envoi plusieurs jours avant l’annonce de la formation du gouvernement qui ne semble pourtant pas avoir impacté le choix d'y nommer Damien Abad. Mediapart indique justement dans son enquête que les cadres des deux partis assurent n’avoir « rien reçu » ou ne pas avoir relevé leurs boîtes mails, à l’instar de Christophe Castaner, président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, Stanislas Guérini, délégué général d’En Marche, ou encore Aurélien Pradié, secrétaire général de LR.
De son côté, la nouvelle première ministre Elisabeth Borne s’est justifiée lors d’un déplacement dans le Calvados : « Bien évidemment, je n’étais pas au courant. Je vais être très claire : sur tous ces sujets de harcèlement et d'agressions sexuelles, il ne peut y avoir aucune impunité. Il faut continuer à agir pour que les femmes victimes puissent libérer leur parole. Moi, j'ai découvert l'article de Mediapart hier, je n'ai pas plus d'éléments. Je peux vous assurer que s'il y a de nouveaux éléments, si la justice est à nouveau saisie, on tirera toutes les conséquences de cette décision. » Interrogés par les chaînes d’information, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et lui-même accusé de viol, et Eric Dupont-Moretti, Garde des Sceaux connu pour ses saillies sexistes du temps de sa vie d'avocat, n’ont quant à eux pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Lors du point presse en sortie du conseil des ministres ce lundi 23 mai, la porte-parole du Gouvernement Olivia Grégoire a réitéré « qu’aucun membre du gouvernement n’avait connaissance » des faits. Elle a également réaffirmé que « l’établissement de la vérité, c’est à la justice de le faire. »
À gauche, on demande d’assumer les conséquences
Un mutisme au sein de la majorité qui révolte l’opposition. Au micro de RTL ce matin, l’ancienne candidate à la primaire écologiste Sandrine Rousseau, a dénoncé le manque de responsabilités du nouveau gouvernement : « Quand on nomme des ministres dans un gouvernement, on vérifie qu'ils n'aient pas d'ennuis avec la justice. S'il y avait eu une enquête sur Damien Abad, on aurait vu cette plainte classée sans suite. »
En réaction aux accusations, des cadres de la gauche et des associations militantes ont demandé la suspension de Damien Abad, le temps qu’une enquête soit menée. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a été clair : « Si j’étais Premier ministre, je dirais à Damien Abad : “je n’ai pas de raison particulière de penser que les femmes mentent, parce que je ne vois pas les raisons qui les motiveraient à cela. Il y a un doute qui existe aujourd’hui. La parole des femmes doit être respectée. Donc, dans l’attente d’une décision de justice, je souhaite que tu ne sois pas au gouvernement par mesure de précaution” », a‑t-il déclaré sur France Inter.
Sandrine Rousseau a elle aussi estimé sur RTL que « la question n'est pas sa démission à lui, mais le fait qu'il soit démis de ses fonctions sur le principe de précaution. » La candidate de la NUPES aux législatives à Paris a également appuyé l’importance d’une telle décision pour envoyer un message fort aux femmes. Avec cette affaire, elle regrette en effet que « la parole des femmes ne soit jamais aussi puissante que celle des hommes » et que « [leur] parole ne compte tout simplement pas. »
La cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles, Fiona Texeire, a demandé la mise en place d’un « processus de suspension » de Damien Abad. Pour elle, « c’est la responsabilité du gouvernement de s'assurer que les personnes qui vont côtoyer Damien Abad ne soient pas en danger. (…) On n’est pas dans un registre de sanctions, mais dans un registre de prévention pour éviter qu’il y ait de nouvelles victimes », a‑t-elle expliqué sur BFM TV.
Pour protester contre l’impunité des hommes politiques accusés de viols et d’agressions sexuelles et pour réclamer la démission du nouveau ministre, l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles, accompagné d’associations militantes telles que le collectif Nous Toutes, organise un rassemblement mardi 24 mai Place Saint Augustin à Paris, à 18h.
Des « comportements déplacés » connus par LR
Chez les Républicains, personne n’est étonné par ces révélations. La réputation de « lourd dragueur » de Damien Abad n’est pas nouvelle, certains cadres de son ancien parti s’en rappellent très bien. Au contraire, sa nomination en a surpris plus d’un. « Dès que j’en parlais avec des membres de cabinet ministériel ou des députés En marche, je leur disais : “Abad, faites attention, parce que chez nous il y a beaucoup de rumeurs qui circulent…” », rapporte un député LR au journal Libération.
À la sortie en 2017 d’un article de Closer révélant un dépôt de plainte pour viol de Margaux, jeune femme qui témoigne aussi dans l’enquête de Mediapart, contre un député alors anonyme, chez LR, tout le monde y voit directement Damien Abad. La plainte sera rapidement classée sans suite. Aurélien Pradié se souvient avoir « toujours trouvé qu’il avait avec les femmes un comportement étrange ». À Mediapart, le secrétaire général de LR assure aussi avoir « coincé » Damien Abad dans les couloirs de l’Assemblée nationale en 2020 pour le confronter aux « comportements inappropriés qu’il aurait eus avec des collaboratrices », sans que la conversation n’aboutisse vraiment. Si le secrétaire s'érige en chevalier servant de la cause des femmes, une membre de LR précise quand même : « C’était devenu une blague super récurrente de mimer l’handicapé qui attrape la fille de force. » Soit l'aveu d'une omerta dans les rangs des Républicains, comme souvent dans ces affaires de violences sexuelles.
Chez LR, personne ne croit qu’En Marche n’était pas au courant de ces faits. « Des journalistes qui ne sont pas de Mediapart m’avaient appelé il y a déjà un mois sur le sujet. Donc ne me dites pas que LREM n’avait pas accès à une info que la moitié des journalistes avaient. Ils savaient comme nous. », a lâché une cadre du parti à Libération. Dans un communiqué et auprès de Mediapart, Damien Abad a contesté « avec la plus grande force » les accusations de violences sexuelles qui le visent.