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Maire de Grande-Synthe depuis 2001, Damien Carême s’est toujours battu pour la mixité sociale dans sa ville. © MaRC DeMeuRe/MaXPPP

À Grande-​Synthe, chez le (presque) meilleur maire du monde

Damien Carême a loupé de peu le titre de « meilleur maire du monde ». Intriguée, Causette s'est rendue à Grande-Synthe, en quête de ses recettes miracles. Du camp humanitaire pour réfugiés à la Maison écologique, l’édile prône le système E comme Entraide.

Personne ne vous racontera d’histoire à Grande-Synthe (Nord). Ce n’est pas parce que Damien Carême est sur la short list des dix meilleurs maires du monde qu’on est au pays des Bisounours. C’est le fameux camp humanitaire, ouvert il y a tout juste un an, qui lui a valu cette nomination par la City Mayors Foundation, think tank international qui remet chaque année ce prix1.

Dans ce camp, « certains jours sont meilleurs que d’autres », glissent plusieurs bénévoles rencontrés sur place, avant d’évoquer « des tensions, des bagarres, les magouilles des réseaux de passeurs ». Mais tous sont unanimes : mieux valent ces baraques en bois rudimentaires où résident quelque 1 200 réfugiés que la survie sous les tentes et dans la boue du Basroch. Ce lieu-dit, de l’autre côté de la ville, était devenu le point de rendez-vous de réfugiés kurdes candidats au passage en Grande-Bretagne. En octobre 2015, lorsque le pic de 2 500 personnes est atteint, que la gale circule, le maire dit stop à l’indignité. Damien Carême, d'Europe Écologie-Les Verts (EELV), à contre-courant des évacuations laborieuses de la « jungle » de Calais, décide de faire construire « le premier camp humanitaire de France, sur le modèle de ceux des zones de guerre en Afrique ou au Moyen-Orient ». Il se rapproche de Médecins sans frontières, qui accepte d’emblée de participer et l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, puisque la prise en charge des réfugiés relève des prérogatives de l’État. Silence radio. Carême y va donc au culot et menace de lancer un crowdfunding pour finan- cer le projet. À deux doigts de l’humiliation, le Gouvernement cède et promet une subvention de 4 millions d’euros par an.

Le camp ouvre en mars 2016 sur un terrain situé à deux pas de l'hypermarché sans que, selon le maire, « il y ait eu ni manifestation ni pétition. Ma population a été admirable dans cette affaire ». Par quel coup de baguette magique la municipalité d’une petite ville du Nord, la cinquante-sixième plus pauvre de France, a-t-elle pu lancer une telle initiative sans heurts ? C’est une affaire de « courage » et de « confiance des habitants », commente Pierre Mathiot, politologue à Sciences Po Lille. « Damien Carême a pu placer le camp derrière une autoroute, en marge de la commune. C’était une manière de rassurer les plus réticents en laissant entendre qu’ils ne risquaient pas d’intrusions de réfugiés dans la ville », poursuit le chercheur.

Défendre l’entraide et l’action sociale

Pour autant, la décision d’ouvrir un camp humanitaire a été prise sans aucune concertation publique, histoire que « les militants anti- réfugiés habituels ne monopolisent pas la parole, et pour ne pas perdre de temps », justifie Damien Carême lorsqu’il nous reçoit à la mairie, une bâtisse en briques rouges du Nord, datant des années 1950.

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Dans le camp de la linière, à Grande-Synthe, vivent quelque 1 200 migrants, essentiellement des Kurdes irakiens. C’est le premier camp en France à répondre aux normes du haut Commissariat des nations unies pour les réfugiés.
© S. Wassenaar/Hans Lucas

Défendre l’entraide et l’action sociale à tout prix : Carême est bien le fils de son père. René Carême, ancien ouvrier de la sidérurgie à Usinor, élu maire de Grande-Synthe en 1971 et en poste jusque dans les années 1990, a œuvré pour que sa ville ne soit pas une simple cité-dortoir, mais un lieu vivant et vert. Ainsi, la forêt de peupliers plantée à son initiative est désormais un espace naturel protégé. Simplement, les Trente Glorieuses de papa Carême sont loin. Le taux de chômage, passé brutalement de 16 à 24 % de la population active lors de la crise financière de 2008, n’est jamais redescendu. En 2013 et selon l’Insee, la moitié des foyers gagnait moins de 15 000 euros par an, et le taux de pauvreté atteignait 28,1 %. Damien Carême sait, comme tout un chacun ici, que le chômage et la pauvreté sont les plaies de sa ville. Et il peste : « Tous ces politiques qui disent “moi je vais créer de l’emploi et de la croissance”, je n’y crois absolument plus. Le modèle est mort. »

À défaut de faire revenir les emplois privés, il se fait donc réélire pour son troisième mandat en 2014, avec cette promesse : « N’ayant pas la main sur la politique économique du pays, je me suis engagé auprès des habitants à maintenir les structures locales de santé, à défendre l’école publique, l’environnement et l’alimentation de qualité, à garantir l’accès à des logements abordables. » Un maire peut-il en faire autant ? Damien Carême le croit et s’apprête à publier, le 22 mars, un ouvrage coécrit avec Maryline Baumard, journaliste au Monde, On ne peut rien contre la volonté d’un homme2. Cet essai s’apparente à un petit manuel de savoir-faire à l’adresse des édiles, qui, selon monsieur le maire, ont « la possibilité d’avoir des leviers sur tout ». Cette idée que le pouvoir local ou microlocal serait bien plus efficace qu’un pouvoir étatique empêtré dans sa lourdeur a été théorisée dans l’un de ses « livres de chevet », au titre qui ferait grincer n’importe quelle administration nationale : Et si les maires gouvernaient le monde ? Décadences des États, grandeur des villes, signé par l’Américain Benjamin R. Barber.

Écoquartier et université populaire

La méthode Carême, c’est avant tout l’inclusion des plus démunis : la ville est dotée de 64% de logements sociaux, « pensés, dans les années 1970, pour loger le mieux possible les travailleurs modestes, ils sont aujourd’hui beaucoup trop nombreux », souligne le politologue Pierre Mathiot. Le risque ? Créer des ghettos de pauvres, rendant peu attractive la ville pour les classes moyennes et supérieures. Peu importe, Damien Carême reste « fier » de ces 64 %, et fait actuellement construire un écoquartier « où 40 % des logements seront sociaux ».

En plus de cette fibre sociale et écologique, « comme beaucoup d’autres villes de la région, la municipalité s’est substituée aux acteurs économiques des mines et du textile, qui ont fermé leurs portes, en créant beaucoup d’emplois de fonctionnaires », observe Pierre Mathiot. À Grande-Synthe, cela s’illustre à travers une offre de services municipaux... inattendus. Citons ici des vergers municipaux où cueillir ses fruits en libre accès, des meneurs de chevaux de trait du Nord (une race menacée) qui – entre autres charges – feront bientôt la navette entre le parking et la place du marché, un bagueur d’oiseaux pour veiller à la biodiversité de la ville, ou encore une université populaire nichée dans la Maison écologique de la ville.

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Immeuble en bois construit à partir des ressources de la région. La ville s'affiche comme laboratoire du développement durable. © PH. HugueN/aFP

Cette université propose des ateliers gratuits de bricolage, de jardinage ou de création de produits d’entretien pour « se réapproprier les savoir-faire et s’autonomiser », ou encore des conférences du type « Informations sur les perturbateurs endocriniens » ou « Tous assistés ? Les réalités du non-recours au droit ». Habile, la mairie essaime ses idées « à l’encontre du système économique dominant » grâce à un service municipal ad hoc. Et ça infuse. Les salariés de l’université ont convaincu les habitants de plusieurs HLM municipaux de transformer les pelouses qui séparent les immeubles en jardins partagés et bio.

Combattre les injustices a un coût

Si tout cela est fort séduisant, ces efforts ont évidemment un coût. Dans un rapport rendu en 2013, la Cour des comptes s’émeut de ce que la Ville « connaît une situation de sureffectif, avec un nombre d’agents communaux deux fois plus élevé que dans les communes de taille comparable ». Il est vrai que, pour environ 21 000 habitants, le chiffre de 859 employés de mairie a de quoi faire tousser la vénérable institution économe... D’autant que « les ressources de fonctionnement dépendent à 88 % de dotations », c’est-à-dire de subventions de l’État et parfois de l’Union euro- péenne, selon le propre aveu de Damien Carême dans sa réponse faite à la Chambre régionale des comptes. Pas stressé pour un sou, le premier magistrat de Grande-Synthe ajoute, droit dans ses bottes : « Bien que cela puisse apparaître à la Chambre comme du sureffectif, il s’agit d’une volonté politique manifeste de ne pas baisser les bras devant ce que je considère comme des injustices et d’envisager tous les moyens pour les combattre. » Et paf.

Nous avons beau chercher, nous ne trouvons pas beaucoup de mécontents, si ce n’est au comptoir du café Reinitas. Un badaud critique le passage de Damien Carême du PS à EELV en 2015, un autre conspue son côté « mal rasé, alors que l’autre, le père, était propre sur lui »... Pour verser dans la critique constructive, on aurait aimé interroger deux élues municipales qui, après avoir été dans la majorité, se sont présentées sur une liste indépendante en 2014, mais elles n’ont pas donné suite à nos demandes. Serait-ce par peur de devoir reconnaître que si Damien Carême n’est pas le meilleur maire du monde, il n’est pas le plus mauvais non plus ?

  1. Pour l’édition 2016, cet organisme n’a retenu que des municipalités se préoccupant du sort des réfugiés : Lahr (Bade-Wurtemberg) en allemagne, Lampedusa en Italie, athènes et Lesbos en Grèce, Grande-Synthe en France... Le gagnant, annoncé le 13 février, est Bart Somers, maire de Malines, en Belgique.[]
  2. On ne peut rien contre la volonté d’un homme, de Damien carême, avec Maryline Baumard, éd. Stock. Sortie le 22 mars 2017.[]
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