Zitkála-​Šá, l’avocate des Amérindiens

Écrivaine, acti­viste et musi­cienne, Zitkála-​Šá, bap­ti­sée Gertrude Simmons Bonnin par les mis­sion­naires blancs, fut l’une des mili­tantes amé­rin­diennes les plus influentes du début du XXe siècle. Oubliée des livres d’histoire, elle créa le Conseil natio­nal des Indiens d’Amérique afin de mili­ter pour les droits civiques de son peuple. 

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Zitkála-​Šá pho­to­gra­phiée par Gertrude Käsebier. © Wikipédia

Une femme aux longs che­veux noir de jais, le regard fier. Plusieurs col­liers de perles ornent sa tunique ­bro­dée… Magnifique et sin­gu­lière, elle porte les habits de son peuple : les Sioux. C’est l’un des por­traits pho­to­gra­phiques les plus connus de Zitkála-​Šá, dont le nom signi­fie « Oiseau rouge » en langue lako­ta. Femme en quête de liber­té et acti­viste achar­née, Zitkála-​Šá naquit en 1876 dans la réserve indienne de Yankton, située au Dakota du Sud. Son père est germano-​­américain, sa mère est une Yankton Sioux. C’est elle qui élève Zitkála-​Šá. Elle gran­dit avec ses deux frères au rythme des tra­di­tions sioux, près de la rivière du Missouri. La petite fille se sent « aus­si libre que le vent qui souf­flait dans sa che­ve­lure ». Le soir, autour du feu, elle écoute, cap­ti­vée, les légendes contées par les anciens, comme celle d’Iktomi, l’esprit far­ceur araignée. 

Étudier pour résister

Elle n’a que 8 ans quand elle intègre le White’s Manual Labor Institute à Wabash (Indiana). Gérée par des qua­kers, c’est en fait une école des­ti­née à « civi­li­ser » les Indiens. Après les avoir chas­sés de leurs terres dès 1831 et les avoir par­qués dans des réserves, les colons vont aus­si les obli­ger à aban­don­ner leur iden­ti­té et leurs cultures. Beaucoup en mour­ront, vic­times de mal­trai­tances phy­siques et men­tales. « En éta­blis­sant ces écoles pour nous édu­quer, témoigne Zitkála-​Šá, les Blancs se sont van­tés de leur cha­ri­té envers les Indiens d’Amérique du Nord. Mais peu se sont deman­dé ce qui se cachait der­rière cette pré­ten­due civi­li­sa­tion qu’on nous offrait, la vie véri­table ou la mort durable ? » Ces années de déra­ci­ne­ment la trau­ma­tisent à jamais. Dès le pre­mier jour, on coupe ses beaux che­veux longs. Dans la tra­di­tion sioux, seuls les lâches et les endeuillés sont rasés : « Je me sou­viens alors avoir été traî­née à coups de pied et lacé­rée jusqu’au sang. Ils m’ont por­té en bas des esca­liers et m’ont rapi­de­ment atta­chée sur une chaise. J’ai crié en secouant la tête sau­va­ge­ment jusqu’à ce que je sente les lames froides des ciseaux contre mon cou qui coupent mes grosses nattes. C’est alors que je per­dis l’esprit. »

Pour échap­per à son des­tin tout tra­cé de femme de ménage, Zitkála-​Šá, au lieu de se mor­fondre, décide ­d’apprendre. Elle veut maî­tri­ser la langue des Blancs et leurs cou­tumes, pour mieux s’en pro­té­ger. À 19 ans, elle obtient une bourse pour l’université d’Earlham, à Richmond (Indiana). Elle com­mence à recueillir auprès de dif­fé­rentes tri­bus les légendes racon­tées par les anciens, afin de trans­mettre et de pré­ser­ver les tra­di­tions orales pour les jeunes géné­ra­tions. À 21 ans, elle entre au Conservatoire de musique de la Nouvelle-​Angleterre à Boston (Massachusetts) pour étu­dier le vio­lon. Tout à fait excep­tion­nel pour une Sioux à cette époque ! 

Tout ce qu’apprend Zitkála-​Šá, elle le met au ser­vice de son peuple : ain­si, elle enseigne la musique aux enfants autoch­tones à la Carlisle Indian Industrial School (Pennsylvanie). École dont elle se fera ren­voyer, après avoir repro­ché à son fon­da­teur son asser­vis­se­ment à la culture blanche. Ne sup­por­tant plus la pau­pé­ri­sa­tion gran­dis­sante des Indiens dans les réserves, elle veut agir ! La jeune Sioux réus­sit à faire publier des articles où elle cri­tique le sys­tème d’internat des Indiens d’Amérique dans des maga­zines pres­ti­gieux comme The Atlantic Monthly ou Harper’s Monthly. Et la même année, en 1902, elle tombe amou­reuse du capi­taine d’armée sioux, Raymond Talefase Bonnin. Ils tra­vaillent ensemble au Bureau des affaires indiennes et se marient dans une réserve du Dakota du Sud. Très vite, son mari est affec­té à la réserve Uintah-​Ouray, dans l’Utah. Pendant qua­torze ans, ils vivront et tra­vaille­ront avec la tri­bu des Utes. Ils auront un fils, Raymond Ohiya. 

En 1913, Zitkála-​Šá fait la connais­sance d’un jeune musi­cien amé­ri­cain, William F. Hanson, ambi­tieux et témé­raire, comme elle. Ils entre­prennent de créer le pre­mier opé­ra amé­rin­dien… Rien que ça ! Ils l’intitulent : La Danse du Soleil. William com­pose la musique, ins­pi­rée des chan­sons sioux et utes. Zitkála-​Šá écrit les paroles et le livret. Cet opé­ra met en scène la riva­li­té de deux jeunes Indiens pour les beaux yeux de la squaw Winona, et leur affron­te­ment final lors du rituel sacré de la Danse du Soleil. Un rituel que le gou­ver­ne­ment fédé­ral a pour­tant inter­dit aux Utes de pra­ti­quer sur la réserve. La dis­tri­bu­tion mêle Amérindiens et Américains. Contre toute attente, les repré­sen­ta­tions sont un véri­table succès. 

Contrer le Congrès et unir les tribus

L’écrivaine acti­viste ne se tai­ra plus. À par­tir de 1916, elle s’installe avec son mari à Washington et devient une fer­vente porte-​parole des Amérindiens. Elle est rédac­trice en chef de l’American Indian Magazine. Son recueil Histoires amé­rin­diennes, qui mêlent contes, sou­ve­nirs d’enfance et essais cri­tiques, est publié en 1921 et devien­dra une réfé­rence. Elle rédige aus­si un article lapi­daire, « Les pauvres riches d’Oklahoma », qui dénonce le vol des terres (riches en pétrole !) et les meurtres d’Amérindiens en Oklahoma, fomen­tés par plu­sieurs socié­tés amé­ri­caines. Cet article fut déci­sif dans l’adoption, en 1934, de ­l’Indian Reorganization Act, qui recon­naît enfin aux tri­bus indiennes le droit à l’autonomie. 

En 1926, elle crée, avec son mari, le Conseil natio­nal des Indiens d’Amérique, en réac­tion à un pro­jet de loi qui don­ne­rait le pou­voir au Congrès d’emprisonner tout Indien pen­dant six mois, sans pro­cès ni exa­men judi­ciaire. L’organisation n’aura de cesse d’unir les tri­bus à tra­vers le pays afin de défendre leurs droits. Sans relâche, Zitkála-​Šá mili­te­ra pour la recon­nais­sance de la citoyen­ne­té des Amérindiens, mais il fau­dra attendre juin 1924 pour que la loi sur la citoyen­ne­té indienne soit promulguée. 

Zitkála-​Šá lan­ce­ra le Comité de pro­tec­tion sociale des Indiens, se bat­tra pour l’égalité des femmes et des hommes – éga­li­té qui existe déjà dans la culture indienne… Infatigable, elle demeure pré­si­dente du Conseil jusqu’à sa mort, à 61 ans. Toute sa vie, elle fut écar­te­lée entre deux cultures : « J’ai per­du mon âme, mais je ne pou­vais pas savoir qu’elle res­sus­ci­te­rait un jour, plus forte et plus sage mal­gré toutes les bles­sures qu’elle allait encore subir. »

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