La famille. Celle qu'on subit, celle qu'on chérit, celle qui se brise ou celle qu'on rafistole. Tout au long de l'été, chaque vendredi, Causette plonge au cœur de récits de lignées et d'hérédités. Vue de loin, l’affaire du jeune jardinier de Gina Lollobrigida, 94 ans, est un délicieux pettegolezzo1 à siroter sur la plage entre deux lampées de glace. Quand on s’approche de plus près, le glamour s’écaille pour laisser place à une sombre histoire mêlant argent, autonomie des personnes âgées et filiation de coeur.
Des yeux pétillant sous un casque de boucles brunes, deux rangs de grosses perles en ras du cou, une robe noire à sequins luisant sous les spots du plateau de #Nonèladurso. Ce soir-là sur Canale 5, l’immense Gina Lollobrigida est l’invitée de l’un de ces talk-shows confidences dont raffole la télévision italienne et seule cette affreuse manie du hashtag s’immisçant désormais dans les noms des émissions télé renseigne sur l’époque – l’année 2020. Car cette actrice patrimoniale de l’Italie traverse les âges et les générations, durablement implantée sur les écrans septentrionaux à vrai dire peut-être depuis le Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque qui, en 1952, donne à voir l’actrice derrière l'affolante plastique. Mais ce 3 septembre 2020 sur la chaîne de divertissement érigée par Silvio Berlusconi comme le temple des veline2, Gina Lollobrigida a 93 ans et c’est étrange comme, quand on a atteint un âge si honorable, le rouge ne peut s’empêcher de déborder de vos lèvres. Lèvres venues dire « la vérité » de celle qui s’éloigna du cinéma au début des années 70 pour embrasser une carrière de photographe, de peintre et de sculptrice. De celle qui, note la sémillante présentatrice Barbara d’Urso, est venue comme à son habitude dans une robe confectionnée par ses soins.
La vérité de Gina
Mais Gina n’est pas là pour parler d’art ou de chiffons. « Sa vérité », c’est celle d’une dame âgée qui veut qu’on la laisse vivre tranquille et qui clame qu’à « 93 ans, [elle sait] encore décider de [sa] vie ». Une mise au point médiatique à laquelle semble s’être résolu à regret l’ancienne « plus belle femme du monde » : depuis plusieurs années maintenant, les Italien·nes suivent avec fascination et inquiétude les rebondissements rocambolesques de la vie privée de leur Gigi.
A ses côtés, lui soutenant le bras pour avancer jusqu’au canapé en sky blanc du talk-show comme on ferait traverser une douce mamie à un passage clouté, l’objet du scandale : Andrea Piazzolla, bellâtre de 32 ans en costume-cravate qui se tient maintenant droit comme un i à l’autre bout du canapé scintillant, comme pour marquer une déférente distance ou couper court aux ragôts. Car bien sûr, lorsque en 2009 cet intrigant de vingt ans est entré au service de l’actrice en tant que jardinier sans les qualifications requises, encore plus lorsque ses missions se sont élargies à l’intendance puis à la gestion de la vie tout entière – fortune comprise – de la Lollobrigida, la chronique a d’abord cru à une histoire d’amour, ou de fesses.
Après tout, Gina n’avait-elle pas déjà frayé avec le désordre en fréquentant Javier Rigau, un homme de 34 ans son cadet ? Mais le temps passant et la presse people suivant au plus près la vie de la diva, les médisants ont dû se rendre à l’évidence : la relation entre Gina et Andrea ne ressemble pas à celle d’un couple, preuve en est, la compagne d’Andrea est venue vivre elle aussi chez la vénérable dame établie sur l’antique via Appia de Rome, telle une patricienne romaine… Et, en hommage à cette patronne prodigue, ils ont appelé leur fille Ginetta. « Ça a été une belle surprise quand les parents m’ont dit que la petite s’appelait Gina, commente-t-elle quand Barbara d’Urso l’amène sur le terrain de cette naissance. Maintenant, il y a la grande Gina et la petite Ginetta, je la fais sauter sur mes genoux et c’est un petit ange. »
Prodigue grand-mère de coeur
Gina Lollobrigida aime donc jouer les grands-mères de coeur avec la fille de son homme à tout faire et cela déplaît fortement aux héritiers de sang. Milko Jr. Solfic, le fils, et Dimitri, le petit-fils ont porté plainte il y a quelques années pour « exploitation de la vulnérabilité » de la vieille dame à l’encontre de celui bombardé directeur des sociétés de gestion de la fortune de l’actrice, lui reprochant de dilapider ses sous. Alors, en attendant le procès, les téléspectateur.trices assistent à la colère d’une mère reniant sa progéniture : « Mon fils a détruit ma réputation sans honte, tance-t-elle. C’est quelque chose de terrible, pour un fils unique, de faire ça à une mère qui a toujours cherché à bien l’éduquer. Ça ne vaut pas la peine d’en parler mais j’espère seulement qu’il soit condamné et qu’il comprenne ce qu’il a fait. » Ambiance. « Malheureusement, c’est la même chose pour Dimitri qui était un brave garçon », poursuit-elle avant qu’Andrea Piazzolla ne nuance ses propos, très à l’aise dans son rôle de premier de la classe. « Et c’est un brave garçon, affirme-t-il. Selon moi, lui et son père ont peu de personnalité et ils répètent des choses fausses. Barbara, moi j’espère vraiment pouvoir aller au tribunal et raconter les choses clairement. J’ai toujours été à disposition des autorités. »
« Barbara », qui est clairement là pour faire partager son amour des sensations fortes à son public, embraye sur le point le plus glauque de l’affaire : « Andrea, il faut parler maintenant je crois de ta tentative de suicide, et heureusement que ça n’a pas marché, parce que s’enlever la vie est quelque chose de terrible. » « Moi, pour Gina je ferais tout, répond-t-il. Pas parce que je suis fou, mais parfois je vois un tel acharnement contre elle… et qui voit Gina pleurer à la maison ? C’est moi qui tous les jours doit chercher une façon de lui remonter le moral, de la distraire. J’ai voulu m’ôter la vie, absolument, parce qu’il y a tant de choses que la justice ne sait pas et dont j’ai hâte qu’elles soient révélées. […] Ce n’est pas juste de chercher à faire du mal à une femme avec un F majuscule, qui a toujours représenté l’Italie dans le monde et qui n’a fait de mal à personne. »
Les téléspectateur.trices jugeront. Assiste-t-on à la défense d’une amitié intergénérationnelle tissée autour d’un lien filial choisi ? Ou, au contraire, au naufrage d’une vieille dame qui n’a plus toute sa tête, tombée sous l’emprise d’un croqueur de diamants qui s’est fait une place à l’ombre des pins entourant la villa de la via Appia ? Et si Gina Lollobrigida n’est pas sénile, a‑t-elle décemment le droit, en tant que mamma italienne respectable, de se défaire d’un fils pour en choisir un autre ? Cette tragédie familiale questionne pêle-mêle l’autonomie d’une femme âgée, la honte de se voir décrire sur la place publique comme impotante, mais aussi l’ultime tabou de celles que la société voudrait sacrificielles : le choix des mères de ne plus aimer leur enfant. Alors, la nonagénaire renvoie le rejeton Milko Jr. Solfic dans ses cordes : « Mon fils ne raisonne plus, il n’a plus toute sa tête. Il existe des personnes qui vieillissent avant et d’autres qui au contraire vieillissent plus tard. » Et toc.
Un deuxième croqueur
Le tableau ne serait pas complet sans évoquer le rôle de Javier Rigau, l’ancien bellâtre coiffé au poteau par Andrea Piazzolla. Lui aussi accuse l’ex-jardinier d’emprise sur son ancienne compagne. Mais en terme de témoin de moralité, on a fait mieux. Après leur rencontre à Montecarlo en 2006, l’Espagnol de 45 ans ne s’était, selon Gina, jamais rendu au mariage que le couple avait organisé à New York… Pour mieux conclure, quelques temps après, un mariage à l’insu de l’actrice, aux moyens de la fausse signature d’une procuration. L’affaire s’est soldée par un non-lieu lors d’un procès en 2017 mais Gina Lollobrigida lui voue encore une haine tenace. Il faut dire que Javier Rigau a laissé courir la rumeur selon laquelle le couple ne s’était pas rencontré en 2006 mais bien avant, alors qu’il était encore mineur. « C’est un imbécile qui n’a réussi dans sa vie qu’à faire des arnaques, tance-t-elle sur Canale 5. C’est un homme qui n’a aucune dignité. »
Depuis cette émission de septembre 2020, on a eu des nouvelles de Gina depuis l’hôpital romain où Andrea Piazzolla l’a accompagnée se faire vacciner contre le Covid-19. « Allez vous faire vacciner, on ne sent rien », a‑t-elle clamé aux Italien·nes dans les micros de la presse venue l’interviewer. Puis, en mai, l’étau s’est resserré sur Andrea Piazzolla. L’instruction judiciaire est désormais convaincue que le charmeur a fait mettre aux enchères à l’insu de l’actrice de nombreuses œuvres d’art et fastueux mobilier de la via Appia à la faveur de travaux dans la villa. Désormais, les charges à l’encontre d’Andrea Piazzolla concernent une « action prédatrice » doublée d’une « spoliation orchestrée ». Gina Lollobrigida, qui n’attend plus de la vie que de « pouvoir peindre et sculpter jusqu’au bout » sortira-t-elle un jour des griffes des hommes qui l’entourent ?
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