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La guerre des femmes au Nigeria oubliée de 1929

À la fin de la décen­nie 1920, dans un sys­tème colo­nial leur ayant reti­ré toute place, des mil­liers de femmes du sud-​est du pays se sont réunies pour pro­tes­ter. Un évé­ne­ment long­temps oublié, connu sous le nom de « guerre des femmes ».

Décembre 1929. À Oloko, dans le sud-​est du Nigeria, des mil­liers de mani­fes­tantes, vêtues de feuilles de pal­mier ou nues, défilent dans les rues de la ville. Malgré leurs ori­gines et leurs appar­te­nances reli­gieuses dif­fé­rentes, elles se sont retrou­vées pour expri­mer leur mécon­ten­te­ment. En quelques semaines, elles s’attaquent aux ins­ti­tu­tions, aux entre­pôts et aux banques, qu’elles brûlent par­fois. L’événement est bap­ti­sé Ogu Umunwanyi, la « guerre des femmes » en langue igbo, une eth­nie de la région. Il fait grand bruit, est sévè­re­ment répri­mé et mar­que­ra pro­fon­dé­ment les esprits. Les rai­sons de ce sou­lè­ve­ment ? La crainte d’un recen­se­ment de la popu­la­tion en vue d’une pro­chaine taxa­tion, mais sur­tout la volon­té des femmes de se faire entendre par un sys­tème poli­tique qui les ignore. 

Écoutées par leurs pairs

Depuis les années 1860, les colons bri­tan­niques ont enva­hi le ter­ri­toire avant d’y ins­tal­ler un pro­tec­to­rat. « Dans le régime pré­co­lo­nial, les femmes nigé­rianes du sec­teur étaient très impli­quées dans la socié­té, en tant que pro­duc­trices d’huile de palme ain­si que ven­deuses et ache­teuses sur les mar­chés », note Susan Kent, pro­fes­seure d’histoire à l’université du Colorado, coau­trice de l’ouvrage The Women’s War of 1929. Gender and Violence in Colonial Nigeria. Réunies dans des asso­cia­tions et écou­tées par leurs pairs lorsqu’il fal­lait prendre des déci­sions, elles avaient une place défi­nie, certes gen­rée, mais leurs voix comptaient. 

À l’arrivée des Britanniques, tout change, comme l’indique l’historienne : « L’administration n’a pas com­pris com­ment les orga­ni­sa­tions fonc­tion­naient – ni que les peuples locaux avaient un sys­tème social, poli­tique et éco­no­mique dif­fé­rent de celui qu’elle connais­sait. » Résultat : dans une logique patriar­cale inhé­rente à leur culture occi­den­tale, les offi­ciels ôtent aux femmes du Sud-​Est nigé­rian un cer­tain nombre de leurs fonc­tions sociales et cultu­relles. À la place, ils les mettent sous la coupe d’hommes de leurs propres eth­nies, choi­sis par leurs soins et qu’ils nomment ­war­rant chiefs (chefs man­da­tés). La ten­dance de ces nou­veaux res­pon­sables à abu­ser de leur pou­voir irrite pro­fon­dé­ment la popu­la­tion, par­ti­cu­liè­re­ment les femmes, qui ne com­prennent pas qu’on ne les estime pas légi­times pour admi­nis­trer les tribus.

La goutte d’eau

La fin des années 1920 marque la mise en place de la taxa­tion de la popu­la­tion par l’administration colo­niale. En shil­lings, alors que la mon­naie cir­cu­lait peu, les habi­tants lui pré­fé­rant les coquillages ou les bra­ce­lets pour échan­ger. « Pour payer ces taxes, les peuples colo­ni­sés devaient donc tra­vailler pour les Britanniques, afin de gagner l’argent néces­saire »,expose Susan Kent. Mais, plus que l’imposition en elle-​même, ce sont les débuts du recen­se­ment de la popu­la­tion dans le cadre de cette réforme fis­cale, en 1929, qui mettent le feu aux poudres. Une alter­ca­tion entre un mes­sa­ger envoyé par les colons et une veuve, à ce pro­pos, lance les révoltes. 

L’enseignante explique : « Dans la cos­mo­lo­gie des eth­nies de la région, l’acte de recen­ser les gens a pour effet de mettre une limite au nombre de per­sonnes qui peuvent exis­ter dans le monde. » La pra­tique est très mal vue et les femmes, qui com­mu­niquent entre elles, décident de pro­tes­ter ensemble, comme elles l’ont tou­jours fait dans ce pays de l’Ouest afri­cain. Pendant un peu plus d’un mois, elles attaquent les tri­bu­naux autoch­tones, barrent des routes, incen­dient des bâti­ments, dont la banque Barclays, dansent et humi­lient les war­rant chiefs, qu’elles consi­dèrent comme res­pon­sables de la situa­tion du fait de leur conni­vence avec les colons. Le plus sou­vent, elles agissent nues, pour aler­ter de la gra­vi­té de la situa­tion. En tout, près de 15 000 d’entre elles ont par­ti­ci­pé à cette guerre. « Elles ont esti­mé qu’il était de leur res­pon­sa­bi­li­té de rame­ner la vie à un état d’harmonie, comme elle l’était avant l’arrivée des colons, de s’assurer que la com­mu­nau­té, telle qu’elles la connais­saient aupa­ra­vant, sur­vive », pré­cise la spé­cia­liste de l’Empire britannique.

Choc et postérité 

Du côté des auto­ri­tés anglaises, l’événement sème la ziza­nie. La guerre des femmes est la pre­mière mani­fes­ta­tion du genre dans l’Empire. Les ten­ta­tives de négo­cia­tions res­tant vaines, les colons ont recours à la vio­lence et tuent une cin­quan­taine de par­ti­ci­pantes lors des ras­sem­ble­ments de décembre 1929. Si bien que, à la fin du mois, le mou­ve­ment s’essouffle. « En ripos­tant ain­si, l’administration a créé un évé­ne­ment réso­lu­ment mar­quant dans les mémoires col­lec­tives afri­caines »,explique Susan Kent, qui assure qu’il est aujourd’hui étu­dié dans les pro­grammes sur tout le continent.

Une remise en ques­tion s’impose mal­gré tout chez les Britanniques : com­ment une telle pro­tes­ta­tion a‑t-​elle pu avoir lieu ? Pour répondre à cette ques­tion, une com­mis­sion se tient pen­dant un mois afin de recueillir les témoi­gnages de par­ti­ci­pantes et d’habitant·es. Le gou­ver­ne­ment envoie éga­le­ment des anthro­po­logues pour mieux com­prendre les modes de vie et les cultures du sud-​est du Nigeria. « Ce n’était pas tant par bon­té que pour que cela ne se repro­duise pas, car ce type de conflit est coû­teux… »,cor­rige l’historienne. La situa­tion des femmes, quant à elle, évo­lue légè­re­ment puisqu’elles ont pu retrou­ver une place sur les mar­chés et dans les tri­bu­naux. Mais, jusqu’aux années 1970, cette révo­lu­tion dis­pa­raît de l’histoire colo­niale de la Grande-​Bretagne, qui a pré­fé­ré l’oublier. La grande dépres­sion éco­no­mique mon­diale qui sévis­sait à l’époque des faits a mas­qué le sou­lè­ve­ment. Quarante ans plus tard, les choses changent : « La guerre des femmes a ser­vi de modèle aux mou­ve­ments anti­co­lo­niaux. Elles ont obli­gé les Britanniques à agir dif­fé­rem­ment. »En 2002, à nou­veau, des femmes de la région mani­festent, nues, contre l’implantation des com­pa­gnies pétro­lières. Le sou­ve­nir de la révolte est resté. 

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