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Une peinture murale réalisée par l’artiste italien Alexandro Palombo, représentant la Première ministre, Giorgia Meloni, et la secrétaire du Parti démocrate, Elly Schlein, nues et enceintes, en référence au débat en cours sur la maternité de substitution, à Milan, le 22 mai 2023. © GABRIEL BOUYS / AFP

Italie : les familles homo­pa­ren­tales dans le viseur de Giorgia Meloni

Le par­quet de Padoue conteste la vali­di­té d’actes de nais­sance avec deux mères, éta­blis depuis 2017. Une attaque fron­tale faite à ces familles, qui était pour­tant prévisible.

Emanuela, 46 ans, fume d’une main. De l’autre, elle tient fébri­le­ment une feuille blanche. Une lettre recom­man­dée. « Elle est arri­vée ce matin », lâche- t‑elle en recra­chant la fumée. La mère de famille redou­tait ce moment depuis des semaines. Elle savait aus­si qu’elle n’avait aucune chance d’y échap­per. Le cour­rier vient du par­quet de Padoue, en Vénétie. Il conteste l’acte de nais­sance de ses jumeaux, conçus par pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée (PMA) en Allemagne il y a trois ans avec sa com­pagne, Roberta, et nés dans cette ville du nord de l’Italie. Roberta a mis l’enfant au monde. Pour la magis­tra­ture, c’est elle la seule et unique mère. Emanuela risque d’être pure­ment et sim­ple­ment déchue de ses droits paren­taux. Avec des consé­quences poten­tielles qui lui donnent le ver­tige. Ses deux fils qui portent leurs deux noms se trou­ve­raient ampu­tés du sien. Plus moyen de voya­ger avec eux ou de prendre une déci­sion qui concerne leur san­té sans auto­ri­sa­tion expli­cite de la mère “légale”. Et le décès de Roberta ferait de ses enfants des orphe­lins. Une tren­taine d’autres familles se retrouvent dans la même situa­tion ubuesque.

Emanuela n’a pour­tant eu aucune dif­fi­cul­té par­ti­cu­lière à recon­naître ses fils auprès de la mai­rie de Padoue, et à deve­nir offi­ciel­le­ment leur deuxième mère. Mais c’est une fleur que lui a faite la com­mune. Un peu de contexte : en Italie, si les unions civiles de couples de même sexe sont légales depuis 2016, ces der­niers ne peuvent pas adop­ter, ou avoir recours à une PMA ou une ges­ta­tion pour autrui (GPA). Comme bien d’autres Européens, certain·es partent à l’étranger pour fon­der une famille. Quid, ensuite, de leur sta­tut paren­tal dans la Botte ? « Rien n’a été pré­vu, il y a un véri­table vide juri­dique sur ce point, qui est lais­sé à l’appréciation des maires », recon­naît Antonio Vercellone, pro­fes­seur de droit pri­vé à l’université de Turin.

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Le 24 juin 2023, lors de la Milano Pride, des militant·es
pro LGBTQI+ face au gou­ver­ne­ment Meloni.
© MONASSE T/ANDIA.FR
Un vide juridique

Concrètement, trois cas de figure. L’Italie retrans­crit direc­te­ment l’acte de nais­sance des enfants des couples de femmes qui ont sui­vi leur par­cours de PMA et don­né nais­sance à l’étranger. Elles deviennent alors, sans dis­cu­ter, les deux mères légales.

Dans les deux autres situa­tions pos­sibles, les couples d’hommes qui ont eu recours à une GPA ou les couples de femmes qui ont accou­ché sur le sol ita­lien, le choix fait est celui de l’adoption par le com­pa­gnon ou la com­pagne du parent bio­lo­gique, les parents bio­lo­giques étant l’homme qui a don­né son sperme et la femme qui a accou­ché. Mais, en l’absence de textes clairs, cer­taines mai­ries décident de prendre des rac­cour­cis. « Elles ont alors com­men­cé à recon­naître les deux mères direc­te­ment, même lorsque les enfants étaient nés sur le sol ita­lien, conti­nue Antonio Vercellone. Une sorte d’acte mili­tant. » À Padoue, Sergio Giordani, le maire centre-​gauche, accepte ain­si dès son élec­tion en 2017 d’inscrire les noms des deux mères sur chaque docu­ment offi­ciel. Même réso­lu­tion de com­munes pro­gres­sistes comme Bologne, Turin ou Milan. 

Mais ça, c’était avant. En mars der­nier, le gou­ver­ne­ment de Giorgia Meloni [diri­gé par l’extrême droite, ndlr] dur­cit le ton après la der­nière déci­sion en date de la Cour de cas­sa­tion : en décembre 2022, elle avait jugé que dans le cas d’une ges­ta­tion pour autrui, seul le père bio­lo­gique serait reconnu.

“Un acte de nais­sance enre­gis­tré avec deux mères va à l’encontre de la loi et des avis de la Cour de cassation”

Valeria Sanzari, pro­cu­reure du par­quet de Padoue

Dans une cir­cu­laire adres­sée aux pré­fets, le ministre de l’Intérieur demande alors aux maires de ne plus recon­naître auto­ma­ti­que­ment le “parent 2” des couples homo­pa­ren­taux. Des villes comme Milan sus­pendent cette pra­tique, à contre­cœur. Pour la pro­cu­reure du par­quet de Padoue, Valeria Sanzari, « un acte de nais­sance enre­gis­tré avec deux mères va à l’encontre de la loi et des avis de la Cour de cas­sa­tion. » Et elle se montre par­ti­cu­liè­re­ment zélée en remon­tant dans le temps, et en contes­tant des actes signés dès 2017 par la ville. En tout, trente-​trois. Les mères concer­nées reçoivent la noti­fi­ca­tion par voie pos­tale, au compte-​gouttes, depuis la fin du mois de juin. Un sup­plice chi­nois. « Évidemment, nous sommes toutes en contact, et nous nous tenons au cou­rant, explique Vanessa, 35 ans, qui vient tout juste de récep­tion­ner la sienne. Chaque jour, il y a celles qui l’ont reçue, celles qui l’attendent encore et sur­veillent leur boîte aux lettres. C’est un peu comme rece­voir des nou­velles du front. »

Le che­min de croix de l’adoption

Les audiences se tien­dront à par­tir de novembre. Vanessa et Laura, sa com­pagne, viennent à peine d’endormir Noah, leur fils de 2 ans. Assises côte à côte sur leur cana­pé, sou­dées, elles parlent à voix basse pour ne pas le réveiller. « C’est Laura qui a accou­ché, mais c’est moi qui ai don­né mon ovule. Ça ne change rien, regrette Vanessa, qui dit vivre la situa­tion comme une pro­fonde injus­tice. » Seule solu­tion pour elle pour rega­gner sa place de mère, si la jus­tice tran­chait en sa défa­veur : recom­men­cer depuis le début et suivre le che­min semé d’embûches de l’adoption. Une pers­pec­tive qui lui donne des sueurs froides. « Adopter l’enfant de son conjoint dure des années et coûte cher, dit avec rage la jeune femme. Sans par­ler de l’épuisement moral. Ça signi­fie aus­si subir les visites d’assistantes sociales et de psys pour éva­luer ma com­pé­tence de mère. En plus, le der­nier mot revien­drait à un juge qui aurait toute lati­tude pour s’opposer à mon adop­tion. » À en croire Antonio Vercellone, l’objectif de cette opé­ra­tion légale est avant tout poli­tique : « Il s’agit prin­ci­pa­le­ment de mettre les homo­sexuels en posi­tion d’accéder à la paren­ta­li­té par le biais de pro­cé­dures labo­rieuses et très intru­sives. » Ambiance.

Parole, parole

La déci­sion du par­quet de Padoue inter­vient sous le gou­ver­ne­ment de droite natio­na­liste de Giorgia Meloni, qui a fait sa cam­pagne élec­to­rale sur la défense de la famille tra­di­tion­nelle et la cri­mi­na­li­sa­tion de la GPA. Cette bombe pour leur vie de famille, Laura ne l’avait pas vrai­ment vue arri­ver. « Il y a les mots et il y a les faits, souffle-​t-​elle. Nous, on pen­sait que ça res­te­rait de la pro­pa­gande. Quand on a com­pris qu’ils par­laient sérieu­se­ment, on a com­men­cé à prendre peur. » Massimo Prearo est cher­cheur en sciences poli­tiques à l’université de Vérone, spé­cia­liste des ques­tions LGBTQA+ et anti­genre. Lui n’a jamais cru à une simple pos­ture idéo­lo­gique, des­ti­née à cares­ser une par­tie de l’électorat dans le sens du poil. « Je pense, au contraire, que ce qui arrive à ces familles est le fruit d’une stra­té­gie poli­tique claire, d’un tra­vail réa­li­sé par les par­tis de la droite radi­cale ita­lienne et par Fratelli d’Italia [le par­ti de Giorgia Meloni] en par­ti­cu­lier avec les asso­cia­tions pro-​vie et anti­genre », explique-​t-​il.

”Quand on a com­pris qu’ils par­laient sérieu­se­ment, on a com­men­cé à prendre peur” 

Laura

Pour lui, l’attaque faite à ces couples de femmes est la pre­mière offen­sive contre la com­mu­nau­té LGBTQA+, mais pro­ba­ble­ment pas la der­nière. « Un cer­tain nombre de ques­tions sont à l’agenda poli­tique, ajoute-​t-​il. Dont celle de l’autodétermination du genre et de la recon­nais­sance des droits des per­sonnes trans­genres à l’école. Des ten­ta­tives d’actions légales ont déjà été amor­cées contre les écoles inclusives. »

Emanuela, en tout état de cause, ne compte rien lâcher. « Je ne suis pas très opti­miste. Ils sont capables de tout. Mais on ne va pas leur rendre la tâche facile, affirme-​t-​elle en écra­sant éner­gi­que­ment sa ciga­rette. On use­ra de tous les recours pos­sibles. S’il le faut, on ira jusqu’à la Cour européenne ».

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