Déjà le temps n’est plus au deuil, mais à la mobilisation d’urgence. Le décès de l’immense défenseure des droits des femmes Ruth Bader Ginsburg, le 18 septembre 2020, à 87 ans, laisse les militantes féministes américaines orphelines. Et inquiètes et révoltées par la décision du président Donald Trump de trouver au plus vite une remplaçante conservatrice pour le siège à la Cour suprême que RBG laisse vacant.
Vont-elles pouvoir arrêter la machine à broyer le frêle équilibre politique de la Cour suprême ? Plus de 900 000 personnes ont signé la pétition « Do not fill Ruth Bader Ginsburg’s Supreme Court seat until after the 2021 inauguration » (Ne pas pourvoir le siège vide de Ruth Bader Ginsburg à la Cour suprême avant l’investiture présidentielle de 2021) contre la volonté de Donald Trump de remplacer Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre, à la Cour suprême.
« Le dernier souhait de Ruth Bader Ginsburg avant de mourir était que son siège soit laissé vacant jusqu’à ce qu’un nouveau président soit installé », plaide la pétition lancée le 19 septembre par Rahna Epting, directrice du site de mobilisations politiques MoveOn, pro-camp démocrate. « À moins de cinquante jours avant l’élection présidentielle et des votes déjà en cours dans plusieurs États [en raison de la Covid-19, certains États ont choisi d’enclencher un vote anticipé, ndlr], il est important que nous exigions de tous les sénateurs de ne pas avancer la procédure de nomination de quiconque avant la prochaine investiture présidentielle [le 20 janvier 2021, ndlr]. »
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Pour les féministes et les démocrates qui pleurent la disparition de la juge de la Cour suprême, infatigable rempart contre les attaques aux droits des femmes et des minorités, il devient urgent d’empêcher Donald Trump de pousser ses pions – en l’occurrence ses pionnes – dans la chaise vide de celle qui, à 87 ans, était doyenne de la Cour suprême. Moins de vingt-quatre heures après sa disparition et un hommage rendu à RBG dans une communication officielle, le président américain a annoncé sur Twitter – sans même nommer RBG cette fois – qu’il se trouvait dans « l’obligation » de lancer « sans délai » la procédure pour son remplacement. « Il y a beaucoup de cynisme derrière cette précipitation à proposer des noms au Sénat, observe Claire Delahaye, maîtresse de conférences en études américaines à l’Université Gustave-Eiffel, interrogée par Causette. Ruth Bader Ginsburg était une femme extraordinaire et les États-Unis devraient prendre le temps de reconnaître et célébrer l’héritage qu’elle laisse. Il y a une certaine violence à voir son décès immédiatement instrumentalisé politiquement. »
Deux candidates conservatrices sur les rails
Donald Trump a prévenu : il souhaite une femme pour succéder à RBG – il s’agirait de la cinquième nommée à la Cour suprême. Une manœuvre destinée à s’allier les femmes du pays, « au moment où il est à la traîne dans l’électorat féminin, analyse Claire Delahaye. On est ici dans une forme d’instrumentalisation totale, appuie l’historienne. “Une femme”, c’est essentialisant et essentialiste, comme si cela tempérait un conservatisme fort. »
Car les noms des juges qui circulent dans les médias comme favorites de Trump ne laissent pas de doutes. La première, Amy Coney Barrett, 48 ans, juge à la septième cour d’appel des États-Unis, est une fervente catholique. Elle est membre d’un rassemblement de croyants catholiques et protestants appelé People of Praise, parfois décrit comme une secte dans les médias. De fait, elle considère que l’arrêt Roe vs Wade rendu en 1973 par la Cour suprême, légalisant l’avortement et que protégeait sans relâche Ruth Bader Ginsburg, a permis « un cadre d’IVG à la demande ». Sans surprise, elle est aussi une farouche défenseure du second amendement, brandi comme un bouclier pour protéger la liberté de porter des armes.
Quant à la seconde, Barbara Lagoa, 52 ans et membre de la onzième cour d’appel des États-Unis, ses racines cubaines pourraient aussi être une manière de réconcilier Trump avec l’électorat hispanique, qu’il a malmené avec ses outrances et son projet de mur le long de la frontière mexicaine. Selon le Washington Post, sa ligne directrice à la cour d’appel est marquée par des décisions très libérales, en faveur des patrons (par exemple, elle a rejeté les poursuites d’employés contre Caterpillar ou Uber). Si elle n’a jamais pris position contre l’avortement, ses proches disent qu’elle est « viscéralement pro-vie », toujours selon le Washington Post.
Renouer avec les évangélistes
De quoi, dans un cas comme dans l’autre, faire craindre aux progressistes un détricotage des avancées en matière des droits des femmes si l’une d’elles devait prendre le siège de RBG, vu la composition actuelle de la Cour suprême, dont la majorité des huit sièges penche désormais du côté conservateur. « La disparition de RBG est une aubaine pour galvaniser l’électorat Évangéliste, qui a pu être échaudé ces derniers mois par la mauvaise gestion présidentielle de la crise sanitaire », observe Claire Delahaye.
Le cynisme des Républicains rend furieux·euses les Démocrates : alors qu’en février 2016, le chef républicain Mitch McConnell avait exigé que le Sénat attende l’élection présidentielle de novembre pour nommer un nouveau juge à la Cour suprême, il a cette fois accepté de suivre Donald Trump dans sa course pour le remplacement de RBG. « Mais certains républicains ont le courage de s’opposer, comme les sénatrices Lisa Murkowski et Susan Collins, qui ont annoncé qu’elles ne voteraient pas, ou encore Mitt Romney qui est pressenti pour s’abstenir lui aussi », détaille Claire Delahaye. Avec 53 % des 100 sièges du Sénat aux Républicains, il suffirait de quelques frondeur·euses pour changer le sens du vote imposé par Trump. Le poids de l’opinion, visible dans cette pétition comme dans les hommages rendus à RBG devant la Cour suprême à Washington, pourrait déjouer les calculs de Donald Trump.