Depuis le début de l'année 2020, lorsque la pandémie a plongé l'économie américaine dans la récession, 9,8 millions d'emplois ont été perdus sur l'ensemble du territoire, dont 55% incombaient à des femmes, en majorité de couleur. Le mois de décembre a donné le coup de grâce avec 140 000 suppressions de postes, en totalité féminins. Des chiffres qui font froid dans le dos et révèle une Amérique frappée de plein fouet par la crise sanitaire et les inégalités de genre structurelles.
« C'est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle, c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète », déclarait Simone de Beauvoir. Aux États-Unis, on s'est réjouit un temps de voir que les femmes avaient occupé plus de postes que les hommes à l'échelle de l'économie américaine les trois premiers mois de l'année 2020. Pour autant, il existait toujours des écarts de salaire significatifs, des emplois précaires et des temps partiels imposés aux femmes. Et c'était sans compter la pandémie qui a rebattu les cartes et aggravé une situation déjà préoccupante.
Selon le Bureau des statistiques du travail (Bureau of Labor Statistics), les femmes étasuniennes ont terminé 2020 avec 5,4 millions d'emplois de moins qu'en février de la même année, avant le début de la crise sanitaire, alors que les hommes ont perdu, eux, 4,4 millions d'emplois au cours de la même période.
En décembre 2020, sur les 156 000 emplois supprimés dans le mois, 140 000 étaient confiés à des femmes, qui se retrouvent donc au chômage. La suppression des 16 000 emplois restants, tenus par des hommes, a été compensés par une création d'emplois équivalente en nombre… Et ce sont des hommes qui ont été embauchés. Les femmes sont donc les principales victimes de cette crise économique majeure.
Une étude menée par l'institut des recherches politiques pour les femmes (Institute for Women's Policy Research) révèle en complément de ce constat alarmant que cela concerne avant tout des femmes de couleur, latino-américaines ou noires-américaines, alors que les femmes blanches ont quant à elles plutôt progressé sur le marché du travail de façon globale sur l'année 2020. Les femmes latines enregistrent actuellement un taux de chômage de 9,1%, suivies de près par les femmes noires à 8,4%. Le taux de chômage des femmes blanches est, lui, 5,7%1. Une double peine pour les femmes racisées donc, qui ne fait qu'accentuer des inégalités déjà très prégnantes aux États-Unis.
Si les économistes émettent des réserves pour tirer des conclusions sur une année par définition hors normes, force est de constater que les secteurs les plus durement touchés par les licenciements dus au coronavirus concernent des postes le plus souvent tenus par des femmes : l'éducation, l’hôtellerie et la restauration, et la vente au détail, spécifiquement les magasins de vêtements et d'accessoires. Nicole Mason, la directrice générale de l'Institute for Women's Policy Research déplore le fait que de plus, ces domaines emploient en majorité des femmes noires et latines.
Elle appuie son propos : « Ces secteurs d'emploi manquent parfois de flexibilité quant aux plannings, rendant difficile le compromis entre vie professionnelle et vie de famille. » En effet, les fermetures des écoles et de garderies et la charge parentale qui incombe le plus souvent aux mères les poussent à cesser leur activité pour s'occuper de leurs enfants. Selon l'organisation Pew Charitable Trust, la situation sanitaire aura non seulement un impact sur l'égalité des genres face à l'emploi, mais aussi en matière d'économie globale, avec une baisse significative des revenus des ménages de la classe moyenne.
Le retour des Démocrates au pouvoir pourra-t-il être positif pour les millions d'Américaines qui ont perdu leur emploi ? Nommée secrétaire au Trésor, Janet Yellen, économiste keynésienne et première femme à obtenir ce poste, devrait avoir à cœur de faire marcher la planche à billets pour relancer l'économie. Joe Biden a en effet annoncé en décembre vouloir mettre sur pied un plan de relance de 900 milliards de dollars. Il nous reste à attendre de voir si cet argent ruissellera jusqu'aux femmes qui se retrouvent aujourd'hui sans emploi.
- le bureau des statistiques du travail n'a pas poussé l'étude à d'autres catégories ethniques [↩]