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© Jose Pereira

En reje­tant mas­si­ve­ment la nou­velle Constitution, le Chili rate l’occasion d’inscrire le droit à l’IVG dans le dur

Près de 62 % des Chilien·nes ont dit non, ce dimanche 4 sep­tembre, à l’établissement d’une nou­velle Constitution. Un coup dur por­té à la jus­tice sociale et aux droits des femmes. Le texte envi­sa­geait en effet d’y ins­crire le droit à l’avortement. 

Le rejet est bru­tal. À une très forte majo­ri­té, près de 62%, les Chilien·nes ont dit non, dimanche 4 sep­tembre, au pro­jet très ambi­tieux de réforme de la Constitution, enta­mé à la suite du sou­lè­ve­ment popu­laire his­to­rique en 2019 contre les inéga­li­tés sociales. Une amère décep­tion pour les pro­gres­sistes de ce pays consi­dé­ré il y a encore quelques décen­nies comme l’un des États latino-​américains les plus conser­va­teurs. Car, en pro­po­sant de garan­tir un droit à l’éducation, à la san­té publique, à une retraite, à un loge­ment décent ain­si que la pro­tec­tion de nou­veaux droits comme l’interruption volon­taire de gros­sesse (IVG), ce texte pro­met­tait de clore défi­ni­ti­ve­ment les années sombres de la dic­ta­ture d’Augusto Pinochet (1973−1990), dont la Constitution actuelle est héritée.

Si l’issue de ce réfé­ren­dum – dont le vote a été ren­du obli­ga­toire depuis 2012 – était annon­cée par les ins­ti­tuts de son­dage, per­sonne n’avait pro­nos­ti­qué une telle déroute, selon le média en ligne argen­tin Infobae. 7,8 mil­lions de Chilien·nes ont glis­sé le bul­le­tin « Je rejette » dans l’urne contre 4,8 mil­lions favo­rables à la men­tion « J’approuve », d’après les résul­tats défi­ni­tifs tom­bés dimanche soir. Pourtant, 78 % des Chilien·nes s'étaient décla­ré favo­rables à une nou­velle Constitution lors d'un réfé­ren­dum orga­ni­sé en octobre 2020. 

« Un grand nombre de conser­va­teurs, dont cer­tains nos­tal­giques de la dic­ta­ture de Pinochet, ne veulent pas du tout de chan­ge­ment et ne pas perdre leurs privilèges. »

La jour­na­liste chi­lienne ins­tal­lée en France, Paola Martinez Infante.

Comment expli­quer alors ce rejet mas­sif ? Pour la jour­na­liste chi­lienne ins­tal­lée en France Paola Martinez Infante, invi­tée à réagir sur le pla­teau du jour­nal de TV5Monde, il est impor­tant de rap­pe­ler qu'avec José Antonio Kast, « l’extrême-droite a failli pas­ser au second tour de l’élection pré­si­den­tielle » de décembre 2021 face au chef de file de la gauche radi­cale, Gabriel Boric. Ce der­nier, âgé de seule­ment 36 ans, avait fina­le­ment rem­por­té le scru­tin avec 55,87% des voix. Selon elle, « un grand nombre de conser­va­teurs, dont cer­tains nos­tal­giques de la dic­ta­ture de Pinochet, ne veulent pas du tout de chan­ge­ment et ne pas perdre leurs pri­vi­lèges ».

Deux sujets ont par­ti­cu­liè­re­ment cris­pé les débats du pro­jet de réforme, dont la rédac­tion par une Assemblée consti­tuante com­po­sée de 154 citoyen·nes a duré plus d’un an : l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution et la recon­nais­sance de nou­veaux droits aux peuples autoch­tones, qui repré­sentent 13 % de la popu­la­tion chilienne. 

Accès à l'avortement

L’accès à l’avortement est auto­ri­sé au Chili seule­ment depuis 2017 et seule­ment en cas de viol, de dan­ger pour la mère ou de mal­for­ma­tions fœtales. En l'inscrivant dans la Constitution, l’article 16 du texte sur les droits sexuels et repro­duc­tifs sti­pu­lait ain­si que l’État devait assu­rer « à toutes les femmes et per­sonnes en capa­ci­té de ges­ta­tion les condi­tions d’une gros­sesse, d’une inter­rup­tion volon­taire de gros­sesse, d’un accou­che­ment et d’une mater­ni­té libre et pro­té­gés. » Avec ce rejet mas­sif, le Chili a donc man­qué l’occasion de se pla­cer à l’avant-garde mon­diale en matière de droits des femmes. 

Le rejet du texte est un coup dur por­té aux droits des femmes mais aus­si à ceux des peuples autoch­tones. L’actuelle Constitution, adop­tée en 1980 sous la dic­ta­ture Pinochet, affirme que le Chili est un « État uni­taire ». Ce qui veut dire que ni l’existence ni les droits des onze nations ori­gi­naires, pré­sentes bien avant la créa­tion de l’État chi­lien (1818), notam­ment les Mapuches, ne sont recon­nus. Le pro­jet de nou­velle Constitution avait pour but de recon­naître leurs droits, notam­ment en ce qui concerne leur culture et leurs ter­ri­toires ances­traux. Le texte pro­po­sait en effet de faire du Chili « un État régio­nal, plu­ri­na­tio­nal et inter­cul­tu­rel com­po­sé d’entités ter­ri­to­riales auto­nomes, dans un cadre d’équité et de soli­da­ri­té entre elles, pré­ser­vant ain­si l’unité et l’intégrité de l’État ». Et c’est par­ti­cu­liè­re­ment ce point qui cris­tal­lise les débats. « Le concept de plu­ri­na­tio­na­li­té dérange, car beau­coup ont peur que cela pro­voque une divi­sion interne au sein même du pays », pointe Paola Martinez Infante sur le pla­teau de TV5Monde.

Engager un nou­veau pro­ces­sus constitutionnel 

Un rejet qui ne signi­fie pas pour autant le gel de toutes les réformes. Selon France 24, des « feuilles de route » ont déjà été éla­bo­rées. De son côté, le pré­sident chi­lien Gabriel Boric, s’est « enga­gé à faire tout ce qui est en [son] pou­voir pour construire un nou­veau pro­ces­sus consti­tu­tion­nel ».

Depuis le palais pré­si­den­tiel de la Moneda, le jeune pré­sident pro­gres­siste a ain­si lan­cé dans une allo­ca­tion à la télé­vi­sion chi­lienne « un appel à toutes les forces poli­tiques pour qu’elles fassent pas­ser le Chili avant toute diver­gence légi­time, et qu’elles se mettent d’accord le plus rapi­de­ment pos­sible sur les délais et les contours » de ce nou­veau pro­ces­sus. Un nou­veau pro­ces­sus qui com­men­ce­ra par un rema­nie­ment minis­té­riel et l’élection d’une nou­velle Assemblée consti­tuante, char­gée de rédi­ger un nou­veau texte. 

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