Sophia Wallace, le clit art militant

L’artiste amé­ri­caine s’empare de l’organe mal aimé pour lui don­ner la place qu’il mérite : le devant de la scène.

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© Gabriel Hernandez

« Le trou n’est pas un tout », « Quatre minutes, c’est le temps moyen pour qu’une femme ait un orgasme en se mas­tur­bant », « Dites la véri­té, les femmes ne seront jamais égales aux hommes tant qu’elles devront simu­ler et men­tir », « Clitoris, dites mon nom, dites mon nom ». La liste est longue, elle est affi­chée sur plu­sieurs mètres car­rés et sur­plom­bée d’un immense néon où l’on peut lire « ­Cliteracy ». Le nom de l’œuvre de l’artiste amé­ri­caine Sophia Wallace est la contrac­tion de « cli­to­ris » et de « lite­ra­cy » (« alpha­bé­ti­sa­tion », en anglais) – car, oui, contre des siècles d’obscurantisme, elle fait de l’information sa mis­sion ! Alors pour concoc­ter ses haïkus-​­hommages au bou­ton de rose, elle est par­tie de don­nées scien­ti­fiques et d’informations his­to­riques mécon­nues, mais aus­si de mes­sages mili­tants aux­quels elle a ajou­té son grain de sel. Son pré­fé­ré ? « Tous les corps ont le droit de connaître le plai­sir et ils en ont tous la capacité. »

Sophia est née à Seattle, où elle a gran­di avec un frère, une sœur et des parents éco­lo­gistes de la pre­mière heure. Après des études en sciences poli­tiques et de pho­to­gra­phie, elle délaisse vite ce pre­mier médium au pro­fit d’installations concep­tuelles. Sa marotte : la repré­sen­ta­tion du corps fémi­nin. « D’un côté, nous sommes habi­tués à le voir sur­ex­po­sé ; de l’autre, il est régu­liè­re­ment atta­qué, et ses organes sexuels sont consi­dé­rés comme pro­fanes dans de nom­breuses par­ties du monde. Je sou­haite redon­ner sa digni­té à ce corps. » Toutes les inter­ven­tions de Sophia sont des actes poli­tiques forts. « En tant que les­bienne, je suis déjà en dehors de la norme – ma sexua­li­té est sou­vent condam­née –, je n’ai donc rien à perdre, je peux dire la véri­té », confie celle qui mul­ti­plie les ini­tia­tives tou­jours plus déca­lées. Comme quand elle crée, avec le sculp­teur Kenneth Thomas, un cli­to­ris doré géant (mais ana­to­mi­que­ment cor­rect). Il n’est pas des­ti­né à être sobre­ment expo­sé, mais enfour­ché par les hommes et les femmes du public, sous les accla­ma­tions de juges coopé­ra­tifs tenant des pan­cartes « Oh ! mon Dieu ! », « Ne t’arrête pas ». Avec cette che­vau­chée fan­tas­tique mémo­rable, l’artiste sou­haite ­pro­vo­quer le débat de façon décomplexée.

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« Encore et encore et encore », ins­tal­la­tion pré­sen­tée à la gale­rie Catinca Tabacaru, à New York, en juin 2016.

Si ses œuvres sur­prennent, c’est aus­si que, face à la supré­ma­tie du phal­lus, le cli­to­ris se fait habi­tuel­le­ment plus que dis­cret dans le monde de l’art. Alors, en mai 2014, Sophia prend les choses en main. Avec la com­pli­ci­té du Whitney Museum of American Art de New York, elle invite les visi­teurs à libé­rer cette ins­ti­tu­tion de sa dépen­dance au Dick Art (« l’art de la bite »). Elle tend à cha­cun une paire de lunettes qu’elle a mises au point et nom­mées CLITglass : leurs verres sont opaques et, quand on les a sur le nez, on ne peut voir le monde qu’à tra­vers deux ouver­tures en forme de cli­to­ris. Voilà de quoi ébran­ler nos pers­pec­tives ! Pour finir, les visi­teurs sont invi­tés à « Put a clit on it » (en réfé­rence au tube Put a Ring on It, de Beyoncé)… c’est‑à‑dire orner tous les recoins imma­cu­lés du musée de repro­duc­tions de cli­to­ris colorées.

L’activiste de 38 ans vit à Greenpoint, quar­tier bouillon­nant de Brooklyn, avec sa petite amie. Son lieu de tra­vail, qu’elle par­tage avec d’autres artistes, a des airs de labo­ra­toire de créa­tion. « Je sais le pri­vi­lège que j’ai d’être une artiste amé­ri­caine qui habite New York, qui assume et vit sa sexua­li­té comme elle l’entend. Ce qui est impos­sible pour d’autres femmes dans le monde. » La per­for­meuse veut être leur porte-​parole. C’est pour cette rai­son qu’elle a pré­sen­té en juin der­nier, à New York, l’installation Over and Over and Over (« encore et encore et encore ») : une série de néons aux cou­leurs pétantes qui ont illu­mi­né les murs de la gale­rie Catinca Tabacaru et sur les­quels on pou­vait lire des man­tras fémi­nistes comme « Until she is free » (« jusqu’à ce qu’elle soit libre »). « Nous devons conti­nuer, conti­nuer à répé­ter… que les femmes doivent être libres, qu’elles peuvent avoir du plai­sir sans honte et avec toutes les par­ties de leur corps. Nous ne ces­se­rons jamais notre action, pas avant que toutes les femmes soient trai­tées comme des êtres humains à part entière », assène‑t‑elle.

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Sculpture de la série Cliteracy, 2014.

Mais les inter­ven­tions de Sophia Wallace ne plaisent pas à tout le monde. L’artiste a dû faire face à de nom­breuses menaces, comme l’an der­nier, quand elle est venue au centre des femmes Bairnwick de l’université du Sud – Sewanee, dans le Tennessee. Elle était invi­tée à pré­sen­ter Cliteracy et Unconquerable (« impos­sible à conqué­rir »), sa grande et très belle sculp­ture basée sur l’anatomie véri­table du cli­to­ris. « Quelques per­sonnes ont expri­mé de façon ano­nyme leur conster­na­tion sur un réseau social. Des récom­penses y étaient offertes à toute per­sonne qui pour­rait voler et détruire ma sculp­ture de cli­to­ris, confie‑t‑elle. J’ai reçu des menaces de viol et de mort. La nuit avant mon dis­cours, j’ai à peine dor­mi… mais j’ai déci­dé de res­ter. La sécu­ri­té a été ren­for­cée et mon inter­ven­tion a eu lieu devant une salle comble. À la fin, j’ai été ova­tion­née. C’était un moment unique pour moi. » Et là, une petite vic­toire ines­pé­rée : cer­tains récal­ci­trants hai­neux ont fina­le­ment pos­té des mes­sages où ils avouaient qu’ils avaient réflé­chi et chan­gé d’avis. L’« alpha­cli­to­ri­sa­tion » est en marche !

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Le pro­jet Cliteracy, expo­sé au centre d’art new-​yorkais Dumbo en octobre 2012, se pro­pose d’alphabétiser le public dans le domaine du cli­to.

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