L’artiste américaine s’empare de l’organe mal aimé pour lui donner la place qu’il mérite : le devant de la scène.
![Sophia Wallace, le clit art militant 1 HS5 SophiaWallace 01](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS5-SophiaWallace-01-829x1024.jpg)
« Le trou n’est pas un tout », « Quatre minutes, c’est le temps moyen pour qu’une femme ait un orgasme en se masturbant », « Dites la vérité, les femmes ne seront jamais égales aux hommes tant qu’elles devront simuler et mentir », « Clitoris, dites mon nom, dites mon nom ». La liste est longue, elle est affichée sur plusieurs mètres carrés et surplombée d’un immense néon où l’on peut lire « Cliteracy ». Le nom de l’œuvre de l’artiste américaine Sophia Wallace est la contraction de « clitoris » et de « literacy » (« alphabétisation », en anglais) – car, oui, contre des siècles d’obscurantisme, elle fait de l’information sa mission ! Alors pour concocter ses haïkus-hommages au bouton de rose, elle est partie de données scientifiques et d’informations historiques méconnues, mais aussi de messages militants auxquels elle a ajouté son grain de sel. Son préféré ? « Tous les corps ont le droit de connaître le plaisir et ils en ont tous la capacité. »
Sophia est née à Seattle, où elle a grandi avec un frère, une sœur et des parents écologistes de la première heure. Après des études en sciences politiques et de photographie, elle délaisse vite ce premier médium au profit d’installations conceptuelles. Sa marotte : la représentation du corps féminin. « D’un côté, nous sommes habitués à le voir surexposé ; de l’autre, il est régulièrement attaqué, et ses organes sexuels sont considérés comme profanes dans de nombreuses parties du monde. Je souhaite redonner sa dignité à ce corps. » Toutes les interventions de Sophia sont des actes politiques forts. « En tant que lesbienne, je suis déjà en dehors de la norme – ma sexualité est souvent condamnée –, je n’ai donc rien à perdre, je peux dire la vérité », confie celle qui multiplie les initiatives toujours plus décalées. Comme quand elle crée, avec le sculpteur Kenneth Thomas, un clitoris doré géant (mais anatomiquement correct). Il n’est pas destiné à être sobrement exposé, mais enfourché par les hommes et les femmes du public, sous les acclamations de juges coopératifs tenant des pancartes « Oh ! mon Dieu ! », « Ne t’arrête pas ». Avec cette chevauchée fantastique mémorable, l’artiste souhaite provoquer le débat de façon décomplexée.
![Sophia Wallace, le clit art militant 2 HS5 SophiaWallace 02](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS5-SophiaWallace-02-769x1024.jpg)
Si ses œuvres surprennent, c’est aussi que, face à la suprématie du phallus, le clitoris se fait habituellement plus que discret dans le monde de l’art. Alors, en mai 2014, Sophia prend les choses en main. Avec la complicité du Whitney Museum of American Art de New York, elle invite les visiteurs à libérer cette institution de sa dépendance au Dick Art (« l’art de la bite »). Elle tend à chacun une paire de lunettes qu’elle a mises au point et nommées CLITglass : leurs verres sont opaques et, quand on les a sur le nez, on ne peut voir le monde qu’à travers deux ouvertures en forme de clitoris. Voilà de quoi ébranler nos perspectives ! Pour finir, les visiteurs sont invités à « Put a clit on it » (en référence au tube Put a Ring on It, de Beyoncé)… c’est‑à‑dire orner tous les recoins immaculés du musée de reproductions de clitoris colorées.
L’activiste de 38 ans vit à Greenpoint, quartier bouillonnant de Brooklyn, avec sa petite amie. Son lieu de travail, qu’elle partage avec d’autres artistes, a des airs de laboratoire de création. « Je sais le privilège que j’ai d’être une artiste américaine qui habite New York, qui assume et vit sa sexualité comme elle l’entend. Ce qui est impossible pour d’autres femmes dans le monde. » La performeuse veut être leur porte-parole. C’est pour cette raison qu’elle a présenté en juin dernier, à New York, l’installation Over and Over and Over (« encore et encore et encore ») : une série de néons aux couleurs pétantes qui ont illuminé les murs de la galerie Catinca Tabacaru et sur lesquels on pouvait lire des mantras féministes comme « Until she is free » (« jusqu’à ce qu’elle soit libre »). « Nous devons continuer, continuer à répéter… que les femmes doivent être libres, qu’elles peuvent avoir du plaisir sans honte et avec toutes les parties de leur corps. Nous ne cesserons jamais notre action, pas avant que toutes les femmes soient traitées comme des êtres humains à part entière », assène‑t‑elle.
![Sophia Wallace, le clit art militant 3 HS5 SophiaWallace 03](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS5-SophiaWallace-03-897x1024.jpg)
Mais les interventions de Sophia Wallace ne plaisent pas à tout le monde. L’artiste a dû faire face à de nombreuses menaces, comme l’an dernier, quand elle est venue au centre des femmes Bairnwick de l’université du Sud – Sewanee, dans le Tennessee. Elle était invitée à présenter Cliteracy et Unconquerable (« impossible à conquérir »), sa grande et très belle sculpture basée sur l’anatomie véritable du clitoris. « Quelques personnes ont exprimé de façon anonyme leur consternation sur un réseau social. Des récompenses y étaient offertes à toute personne qui pourrait voler et détruire ma sculpture de clitoris, confie‑t‑elle. J’ai reçu des menaces de viol et de mort. La nuit avant mon discours, j’ai à peine dormi… mais j’ai décidé de rester. La sécurité a été renforcée et mon intervention a eu lieu devant une salle comble. À la fin, j’ai été ovationnée. C’était un moment unique pour moi. » Et là, une petite victoire inespérée : certains récalcitrants haineux ont finalement posté des messages où ils avouaient qu’ils avaient réfléchi et changé d’avis. L’« alphaclitorisation » est en marche !
![Sophia Wallace, le clit art militant 4 HS5 SophiaWallace 04](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS5-SophiaWallace-04-1024x582.jpg)