Odette du Puigaudeau, l’exploratrice qui vou­lait se faire un nom

À la fois explo­ra­trice, écri­vaine, sty­liste, des­si­na­trice, jour­na­liste, eth­no­logue et même – peut-​être – espionne, Odette du Puigaudeau a quit­té sa Bretagne natale pour explo­rer les confins du Sahara au XIXe siècle.

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Marion Sénones et Odette du Puigaudeau (à droite),
à bord de La Belle Hirondelle,
le 28 novembre 1933, à Douarnenez (Finistère).
© Archives Personnelles avec l'aimable
auto­ri­sa­tion de Monique Vérité

« À bord d’un lan­gous­tier bre­ton, La Belle Hirondelle, deux intré­pides voya­geuses, notre col­la­bo­ra­trice Odette du Puigaudeau et une Rennaise Mlle Marion Sénones, partent pour la Mauritanie. » Au matin du 28 novembre 1933, le quo­ti­dien régio­nal fran­çais L’Ouest Éclair se fait l’écho d’une épo­pée ori­gi­nale. De ce départ, reste aujourd’hui une pho­to en noir et blanc sur laquelle deux femmes, bérets enfon­cés sur leurs che­veux cou­pés à la gar­çonne et vareuses sur le dos, sont accou­dées à la barre du navire. Le vent gla­cial souffle sur le petit port de Douarnenez (Finistère), mais pas le temps de s’attarder : le voyage sera long.

À bord de La Belle Hirondelle, Odette du Puigaudeau (1894−1991) et Marion Sénones (1886−1977) vont navi­guer vingt-​trois jours au gré des vagues, au milieu des voiles, des filets et de la dizaine de marins bre­tons qui s’enivrent dans la cale. Ils s’en vont pêcher la lan­gouste sur les côtes de la Mauritanie, alors colo­nie fran­çaise depuis une décen­nie. Pour Odette, 39 ans, et Marion, 47 ans, le tra­jet n’est pas des plus confor­tables, mais il en vaut la chan­delle : rares sont les femmes de l’époque à pou­voir voya­ger seules aux confins de la planète.

Un an à dos de chameau

Sous cou­vert d’une série de repor­tages au pro­fit de jour­naux fran­çais, les deux jour­na­listes ont choi­si la Mauritanie – une terre mys­té­rieuse, alors lar­ge­ment mécon­nue – sur­tout pour l’aventure que le pays pro­met. Pendant un an et à dos de cha­meau, elles vont appri­voi­ser le désert aride du Sahara, s’imposant dans un monde d’hommes. Après ce galop d’essai, elles y revien­dront par deux fois, en 1936 et en 1949, mis­sion­nées par l’Éducation natio­nale, le minis­tère des Colonies ou encore le Muséum d’histoire natu­relle. Autant de voyages qui per­met­tront à Odette de col­lec­ter une masse d’informations colos­sale sur la culture maure, qu’elle racon­te­ra dans sept livres et une thèse, Arts et cou­tumes des Maures. Celle-​ci sera publiée en 2002, onze ans après la mort d’Odette, par sa bio­graphe Monique Vérité.

Monique Vérité, âgée aujourd’hui de 81 ans, a bien connu Odette du Puigaudeau. Elle est tom­bée par hasard sur ses écrits dans les années 1980 à l’occasion d’un tra­vail uni­ver­si­taire sur les voya­geuses du Sahara. « Comme beau­coup, je ne la connais­sais pas du tout. À vrai dire, je pen­sais qu’elle était déjà décé­dée », raconte la bio­graphe et ex-​conservatrice à la Bibliothèque natio­nale de France. Après enquête, Monique Vérité découvre qu’Odette est bien vivante et coule une pai­sible retraite à Rabat, au Maroc, pays voi­sin de la Mauritanie. Leur pre­mière ren­contre remonte à 1985, Odette avait presque 90 ans.

« Son père l’a appe­lé Robert jusqu’à ses 10 ans. En gran­dis­sant, elle n’était plus le fils ché­ri, mais la fille réduite à rien »


Monique Vérité, bio­graphe d’Odette du Puigaudeau

Trente-​huit ans ont pas­sé, mais Monique Vérité se sou­vient encore de sa pre­mière impres­sion : celle d’une femme âgée, seule et toute cour­bée. « Mais dès qu’on lui par­lait du Sahara, alors là, il fal­lait la voir ! Elle se redres­sait et ses yeux pétillaient à nou­veau », s’amuse-t-elle. Dans le salon maro­cain de la vieille dame, des objets mau­ri­ta­niens se mêlaient aux pein­tures bre­tonnes pater­nelles. Y traî­naient aus­si plu­sieurs sacs de voyage, témoins de sa vie intré­pide. « On aurait cru qu’elle allait repar­tir dans la fou­lée », sou­rit Monique Vérité.

Pourtant, Odette du Puigaudeau n’était pas for­cé­ment vouée à embras­ser une car­rière d’aventurière. Si dès l’enfance, elle a le goût de la mer et du grand large, la petite Bretonne doit por­ter un far­deau : être l’enfant qui redo­re­ra le bla­son des Puigaudeau, famille aris­to­cra­tique mais désar­gen­tée. Elle est d’abord éle­vée comme un gar­çon. « Son père l’a appe­lé Robert jusqu’à ses 10 ans, sou­ligne Monique Vérité. En gran­dis­sant, elle n’était plus le fils ché­ri, mais la fille réduite à rien, sauf à des­si­ner. Et pas pour en vivre : ce n’était pas une pro­fes­sion conve­nable pour une jeune femme. » À l’âge de 20 ans, Odette, qui « ne [veut] pas deve­nir le bâton de vieillesse de ses parents », monte à Paris. Elle y enchaîne des petits bou­lots, tour à tour des­si­na­trice, sty­liste chez la cou­tu­rière Jeanne Lanvin, puis journaliste.

Rêve d’ailleurs

Mais ce dont elle rêve, c’est de par­tir. N’importe où, pour­vu qu’elle puisse explo­rer des terres incon­nues qu’elle racon­te­rait ensuite à tra­vers textes et des­sins. La jeune femme a bien ten­té de se faire recru­ter par Jean-​Baptiste Charcot, l’explorateur des terres polaires, mais il ne l’a pas rete­nue. « Il n’avait cer­tai­ne­ment pas envie de s’embarrasser d’une femme », estime Monique Vérité. Tant pis, Odette trou­ve­ra un autre moyen : celui de La Belle Hirondelle.

C’est à peine quelques mois avant ce périple inau­gu­ral qu’Odette ren­contre sa com­pagne de voyage – et de vie –, Marion Sénones. De leur rela­tion, rien ou presque n’a fil­tré. « À la dif­fé­rence de Marion, qui vivait avant avec une autre femme, Odette n’a jamais ouver­te­ment décla­ré qu’elle était les­bienne. Mais on sait qu’elle fré­quen­tait les milieux les­biens à Paris, raconte Monique Vérité. J’ai essayé d’aborder le sujet avec elle, mais je me suis vite ravisée, j’ai bien sen­ti qu’elle ne vou­lait pas en dis­cu­ter. Quand elle me par­lait de sa rela­tion avec Marion, elle me disait sim­ple­ment : “On était comme deux bœufs attelés au même atte­lage.” Pas très affriolant… »

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Marion Sénones et Odette du Puigaudeau,
lors de leur deuxième voyage dans le Sahara mau­ri­ta­nien, en 1938
© Archives Personnelles avec l'aimable auto­ri­sa­tion de Monique Vérité

Odette est sou­vent prise de lubies far­fe­lues – et par­fois irres­pon­sables – que Marion doit sup­por­ter. Ainsi, elle adopte un petit guépard auprès d’un chef maure, qu’elle bap­tise Rachid et ramène à Paris. Elle traîne l’animal au res­tau­rant et même au cinéma. Il faut l’imaginer pro­me­ner le félin en laisse sur les Champs‑Élysées… Son caractère sau­vage fini­ra tout de même par effrayer sa propriétaire, et Rachid ira ter­mi­ner sa vie au zoo de Vincennes.

Cette anec­dote, et bien d’autres encore, ont été relatées récemment par deux jour­na­listes. Il y a quelques années, chez un bou­qui­niste des quais de Seine, Marine Sanclemente et son amie Catherine Faye découvrent une édition ori­gi­nale d’un livre d’Odette du Puigaudeau. Elles partent sur les traces de l’aventurière et de sa com­parse, dans le Sahara. Un voyage de deux mois, en 2019, qu’elles racontent dans leur livre L’Année des deux dames (Paulsen). Pour redon­ner vie à leurs aînées, elles ont débarqué là même où Odette et Marion avaient foulé le sol mau­ri­ta­nien pour la première fois. Au fil de leur itinéraire, elles ont ques­tionné des per­sonnes qui auraient pu les connaître, ont noté tous les récits.

Mystérieuses dernières années

Elles ont ain­si découvert qu’Odette a marqué les esprits, mais pas de façon tou­jours posi­tive. « Elle était colérique et auto­ri­taire, à la différence de Marion qui a sou­vent dû arron­dir les angles avec leurs inter­lo­cu­teurs, car Odette pou­vait vrai­ment se mon­trer insup­por­table, explique Catherine Faye à Causette. À cer­tains endroits, elle n’a pas du tout laissé un bon sou­ve­nir. » Il faut éga­le­ment remettre la démarche d’Odette et Marion dans un contexte de colo­ni­sa­tion : « Elles ont rap­por­té une foule d’objets, ce qui cor­res­pond quand même à du pillage », estime Marine Sanclemente.

« Elle était colé­rique et auto­ri­taire, à la dif­fé­rence de Marion qui a sou­vent dû arron­dir les angles avec leurs inter­lo­cu­teurs »


Catherine Faye, journaliste

Après leur der­nier voyage, les com­parses ne retour­ne­ront pas en France. Ni en Mauritanie. Parce qu’elle défend le rat­ta­che­ment du pays au Maroc, Odette se brouille avec nombre de Maures. Le couple s’installe à Rabat, où Marion meurt dix-​sept ans plus tard. Odette dis­pa­raît à son tour en 1991, dans la soli­tude et l’indifférence la plus totale.

La fin de sa vie est entou­rée de mys­tères dont les ver­sions dif­fèrent. Selon Monique Vérité, elle aurait été nom­mée docu­men­ta­liste au minis­tère de l’Information, puis cheffe du bureau de pré­his­toire au musée des Antiquités de Rabat. Pour les autrices Marine Sanclemente et Catherine Faye, l’histoire serait tout autre. « Elle n’existe pas dans les archives », assure Marine Sanclemente. À force de son­ner aux portes, elles apprennent que les deux Françaises auraient espion­né pour le compte du Maroc – trans­met­tant notam­ment de pré­cieux ren­sei­gne­ments sur la Mauritanie.

Mais qu’importe, fina­le­ment, la véri­té sur Odette du Puigaudeau. Le flou entre­te­nu sur ses der­nières années est à son image. Celle d’une femme com­plexe, que l’on ne peut ran­ger dans une seule case. Aujourd’hui, une école maro­caine du Sahara occi­den­tal porte tout de même son patro­nyme. À Rennes, Nantes et Saint-​Nazaire, quelques rues éga­le­ment. Un maigre héri­tage pour celle qui rêvait de se faire un nom.

Lire aus­si l Ségolène Vandevelde, voyage dans le temps

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