Il y a vingt ans dis­pa­rais­sait Hélène de Beauvoir, artiste-​peintre fémi­niste, éco­lo­giste et sœur de Simone

L'artiste-peintre Hélène de Beauvoir est disparue le 1er juillet 2001, à 91 ans. Pour Causette, la femme de lettres, historienne et militante féministe Claudine Monteil se souvient de cette amie chère et talentueuse, artiste injustement oubliée, qu'elle a côtoyé au MLF.

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Photo prise par Victor Koshkin-Youritzin,
professeur d'histoire de l'art américain
et auteur d'ouvrages pour le Metropolitan Museum,
d'Hélène de Beauvoir dans son atelier de peintre à 80 ans
à Goxwiller, en Alsace. © Victor Kohskin-Youritzin.

Le 1er juillet 2021 marque le vingtième anniversaire du décès d’Hélène de Beauvoir, sœur cadette de Simone de Beauvoir, artiste-peintre féministe autrice de trois mille tableaux et gravures exposés dans le monde entier et qui, malgré des expositions internationales, est souvent oubliée.  Une superbe rétrospective de son œuvre a eu lieu en 2018 au musée Würth d’Alsace, à Erstein près de Strasbourg, et a remporté un grand succès avec un public nombreux venu de toute la France, de Belgique, de Suisse et d’Allemagne.

Née à Paris le 6 juin 1910, deux ans après sa sœur, Hélène de Beauvoir était très tôt douée pour le dessin et la peinture. Petite fille, elle déclarait « Le Louvre est ma messe. » Pendant que Simone écrit à la table familiale, elle peint à ses côtés. Après le baccalauréat c’est elle que Simone de Beauvoir enverra à sa place pour la première rencontre avec le philosophe Jean-Paul Sartre dans un salon de thé, parce qu’une jeune fille de l’aristocratie ne pouvait rencontrer un homme seul sans avoir été présentée par une tierce personne : « Comment vais-je le reconnaître ?- C’est simple, c’est un homme laid avec des lunettes. » Au salon de thé, Hélène découvre deux hommes laids avec des lunettes… Finalement, malgré sa déception de ne pas se retrouver avec Simone de Beauvoir dont il est amoureux, Jean-Paul Sartre se prend aussi d’affection pour Hélène, qu’il considèrera sa vie durant comme un membre de sa propre famille. Pour lui fils unique, grâce à Hélène il a désormais une sœur cadette de cœur que le couple Beauvoir-Sartre surnomme affectueusement « Poupette ».

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Vue de Venise par Hélène de Beauvoir, années 50,
chez Claudine Monteil © A.C.

Hélène de Beauvoir déclarait volontiers : « Une journée sans peindre est une journée perdue. » Mais louer un studio de peintre, acheter des tubes de couleur, des toiles, des pinceaux, coûte très cher alors qu’Hélène ne dispose d’aucune ressource financière. Grâce à Simone de Beauvoir qui, jeune professeure agrégée, partage désormais son salaire avec sa cadette, la jeune artiste peut s’adonner à sa passion. Sa vraie vie commence.

Les compliments de Picasso

Et la cadette va surprendre sa sœur. En 1936, à 25 ans, Hélène de Beauvoir réalise sa première exposition à la galerie Bonjean, rue d’Argenson à Paris, alors que Sartre et Simone de Beauvoir ne sont, eux, pas encore publiés. Pablo Picasso s’y rendra, et lui fera le plus beau des compliments devant les invités médusés : « Votre peinture est originale ! » à une époque où les peintres voulaient tous imiter son style, ce qui l’agaçait. Quand on sait les difficultés pour une femme artiste-peintre d’être reconnue, il s’agissait là d’un début prometteur.

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Portrait de Simone de Beauvoir
chez Claudine Monteil par Hélène de Beauvoir © A.C.

D’autres expositions vont se succéder. Lors de la deuxième guerre mondiale, elle rejoint au Portugal son mari, Lionel de Roulet, résistant et ancien élève de Jean-Paul Sartre au lycée du Havre, où elle effectuera une centaine de tableaux sur des scènes de la vie quotidienne. De retour en France à la Libération, elle réalise à travers ses peintures à l’huile, acryliques, aquarelles, gravures, dessins et collages, une œuvre féministe et écologiste tout au long de sa vie et dans les différents pays où elle vivra avec son mari, diplomate français. Elle a successivement vécu au Portugal, en Autriche, en Serbie, au Maroc et en Italie. Lorsque Lionel de Roulet est nommé haut fonctionnaire au Conseil de l’Europe, tous deux s’installent enfin en Alsace au début des années 1960  dans le village de Goxwiller où elle vécut quarante ans et s’éteindra en 2001.

Hélène de Beauvoir met en scène dans ses tableaux les femmes des  régions où elle a vécu, et leurs vies difficiles et épuisantes : paysannes au Portugal pendant la deuxième guerre mondiale, ouvrières saisonnières italiennes des rizières dans les années 1950 et tant d’autres. Les femmes sont dans l'eau jusqu'aux genoux, pieds nus et le dos plié durant des journées entières sous le soleil parmi les insectes, avec des horaires chargés et des salaires de misère. Pour autant, ses tableaux regorgent de couleurs et de vie, de jeux de lumière magnifiques. Dès les années 1960, Hélène crée des œuvres dénonçant la destruction de la nature par les humains, la pollution, et défend sa vie durant la cause animale. Les animaux sont en effet très présents dans chaque tableau, aquarelle, gravure : lions, oiseaux, girafes, zèbres, chevaux, chats qu’elle adore, sont ses préférés. La cadette est ainsi une peintre féministe et écologiste en avance sur son temps. Hélène de Beauvoir a également réussi à effectuer, dans ses tableaux, la synthèse des influences du cubisme, de l’orphisme et du futurisme. Elle a été inspirée dans sa jeunesse par les œuvres de Cézanne puis de Sonia Delaunay qu’elle a eu l’occasion de rencontrer. Elle va réaliser une série de tableaux sur Venise qui forment une très belle rétrospective de couleurs et d’allures géométriques, cubiques et poétiques.

En 1967, Simone de Beauvoir lui propose de réaliser des burins pour son recueil de nouvelles La Femme rompue. Si le livre ne rencontre pas le succès escompté suite à des commentaires de Bernard Pivot à la télévision, en revanche les critiques rendent hommage au talent de peintre et de graveuse d’Hélène de Beauvoir. Dans les années 1970/1980, ses peintures sont exposées dans le monde entier, Tokyo, Bruxelles, Londres, Rome, Milan, New-York, San Francisco, Boston, La Haye, Paris, et d’autres lieux.

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Les sœurs de Beauvoir dans les années 60 à Paris © DR
Signataire du manifeste des 343

Dès que cela lui est possible, Hélène s’engage dans les mouvements féministes, d’abord en apportant avec sa sœur son soutien aux actions du Planning Familial dans les années 1960. En mai 1968, elle réalise une trentaine de tableaux pleins du bruit et de fureur, empreints des clameurs de la jeunesse d’alors, témoignage exceptionnel et original de l’époque révolutionnaire. Ceux-ci remportent un grand succès lors d’une exposition au Moulin Rouge à Paris où accourent à la fois le Tout-Paris et le Paris bohême de Saint-Germain-des-Prés, dans un mélange surréaliste qui l’enchante. Elle s’engage plus encore au MLF dès 1970. Avec sa sœur et nombre d’entre nous, elle signe le Manifeste des 343 déclarant avoir eu un avortement, et dont la publication en avril 1971 suscite un scandale. Lors de ses déplacements à Paris, elle loge à mon domicile où elle rencontre des femmes engagées qui sont aussitôt sous son charme son énergie et sa gaité. En Alsace où elle vit à Goxwiller près de Strasbourg, Hélène de Beauvoir est très présente aux côtés des femmes victimes de violences et devient présidente de l'association SOS Femmes Alsace. Elle reçoit souvent le dimanche ces femmes et leurs enfants, et leur apporte chaleur et réconfort. Hélène témoigne aussi avec succès à un procès où une jeune femme accusée d’infanticide sera innocentée. Après deux années de présidence, elle démissionne, mais continue son œuvre militante dénonçant l'oppression des femmes dans ses tableaux : Un homme livre une femme aux bêtes, Les femmes souffrent, les hommes jugent, La chasse aux sorcières est toujours ouverte, deviennent une série de trois tableaux importante et symbolique pour les féministes.

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Claudine Monteil (à gauche), Hélène de Beauvoir
et Carol Downer en 1979 ou 1980,
entourant la toile Les femmes souffrent, les hommes jugent © C.M.

En 1979, nous nous rendons ensemble aux Etats-Unis dans les cliniques de santé féministes de Californie, les Feminist Women’s Health Centers, que soutient sa sœur Simone de Beauvoir et où des soins de santé sont offerts aux femmes dans le besoin pour des sommes très modestes. Ces cliniques, alors dirigées par la féministe américaine Carol Downer, seront les unes après les autres attaquées par des manifestants hostiles aux droits à l’avortement, certaines détruites par les bombes posées par des activistes religieux.  

Partout où elle s’engage pour les droits des femmes et l’écologie, partout où elle expose ses peintures, Hélène de Beauvoir séduit par sa chaleur, sa bienveillance, son humour, et sa générosité. Nombre de femmes ont reçu un soutien d’elle sans jamais le savoir. La discrétion était de mise. A la suite du décès de Simone de Beauvoir en avril 1986, Hélène continuera, jusqu’à un âge très avancé, de soutenir les féministes du monde entier. Elle s’éteint à Goxwiller le 1er juillet 2001 à l’âge de 91 ans, laissant un souvenir nostalgique à toutes celles et ceux qui l’ont approchée. Nous serons plusieurs féministes à l’accompagner jusqu’au cimetière du Père Lachaise à Paris où elle repose aujourd’hui auprès de son mari. Comme Simone de Beauvoir, Hélène de Beauvoir, vingt ans après sa disparition,  nous manque tant.

Claudine Monteil, amie et biographe de Simone et Hélène de Beauvoir, vice-présidente de « Femmes Monde ».

Lire
9782846121132 G

Les soeurs Beauvoir, de Claudine Monteil, aux éditions 1 / Calmann-lévy, à se procurer sur Placedeslibraires.fr

Références complémentaires :
Souvenirs, Hélène de Beauvoir, propos recueillis par Marcelle Routier, Librairie Séguier
Catalogue du musée Würth d’Erstein sur la rétrospective Hélène de Beauvoir

Pour voir plus d'œuvres d'Hélène de Beauvoir, rendez-vous ici.

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