Augusta Déjerine-Klumpke, l’une des plus grandes neurologues françaises, fut la première femme nommée à l’externat puis à l’internat des hôpitaux de Paris. La première, également, à devenir membre puis présidente de la Société de neurologie de Paris. Et comme bien souvent, il se pourrait bien qu’elle ait écrit elle-même les ouvrages publiés sous le nom de son mari.
San Francisco, milieu du XIXe siècle, en pleine ruée vers l’or. Les parents d’Augusta Klumpke, John Gerald Klumpke et Dorothea Mathilda Tolle, sont des immigrés allemands. Un temps cordonnier, le père, qui a des ambitions, se lance rapidement dans l’immobilier et fait fortune. Les Klumpke ont sept enfants dont l’un meurt à l’âge de 1 an, quand, un beau jour, John Gerald tombe amoureux d’une certaine Bernardina. Dorothea Mathilda le quitte, obtient le divorce, la garde des enfants, la moitié de sa fortune. Et part en Europe avec ses six enfants et beaucoup de courage.
Après un séjour de quelques années en Allemagne et en Suisse, cette mère poule, déterminée à donner à ses enfants la meilleure éducation, débarque à Paris avec cinq filles et un garçon. La nouvelle ville haussmannienne est magnifique et offre bien des possibilités. En effet, depuis quelques années, les filles sont admises à la faculté de médecine. Cette information n’échappe pas à Augusta, qui, en 1876, se présente à l’université. Elle est alors la plus jeune des onze femmes inscrites à la faculté.
La première difficulté vient du doyen de la faculté, l’illustre Alfred Vulpian, qui la convoque lors de son inscription et cherche, en vain, à la dissuader d’entreprendre une telle carrière : « Mais mademoiselle, vous êtes-vous rendu compte de la longueur et de l’aridité des études ? » se souvient Augusta dans l’un de ses écrits. Mais la jeune fille est catégorique : elle sera médecin. À l’époque, si les femmes peuvent s’inscrire à la faculté de médecine, elles n’ont pas encore le droit de participer aux concours d’externe puis d’interne des hôpitaux. La grande majorité des médecins et étudiants s’y opposent.
Sous les moqueries et les sifflements
Or, il ne faut jamais sous-estimer les jeunes filles déterminées ! Avec l’aide de quelques politiciens et médecins favorables à l’émancipation féminine – dont Paul Bert, médecin et ministre de l’Instruction publique –, Augusta et sa compagne de lutte, Blanche Edwards, obtiennent le droit de participer au concours d’externe, à condition de ne pas aspirer à concourir pour l’internat. « Ce n’était pas convenable qu’un barbu externe soit subordonné à une blonde interne », explique Jacques Poirier, historien de la médecine et biographe des Déjerine-Klumpke, citant un opposant de l’époque. Une fois obtenu le poste d’externe, les filles ‑n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin. Pétitions et contre-pétitions agitent la faculté. Finalement, elles participent au concours de l’internat en 1885, sous les moqueries et les sifflements des collègues hommes, mais seule Augusta devient interne et est nommée l’année suivante.
En 1888, alors qu’Augusta entame sa deuxième année d’internat, elle épouse, après de longues fiançailles, Jules Déjerine, neurologue et chef de clinique à l’hôpital de la Charité, à Paris, qu’elle a rencontré en 1880 quand elle était jeune stagiaire. Le mariage a lieu le 11 juillet et, le 1er août, Augusta démissionne de l’internat pour aller travailler dans le laboratoire de son mari à l’hôpital Bicêtre. Elle le suivra en 1895 à la Salpêtrière et y restera jusqu’à la mort de Jules en 1917. Sans poste officiel ni salaire…
Le travail d’Augusta n’en est pas moins apprécié. Dès 1885, elle atteint une certaine notoriété. Une de ses premières publications, un article scientifique sur une forme de paralysie du plexus brachial, a fait beaucoup parler d’elle. Depuis, cette paralysie porte son nom en anglais (Klumpke’s paralysis). En France, on croit bon d’y ajouter le nom de son mari (syndrome de Déjerine-Klumpke). En 1889, le travail de thèse d’Augusta est salué par les neurologues de l’époque, attire l’attention de plusieurs journaux français et américains et lui fait gagner une médaille de la Faculté de médecine. Par la suite, Augusta signe une soixantaine d’articles scientifiques, seule, avec son mari ou avec des étudiants de ce dernier, comme Gustave Roussy. Sa contribution à la neurologie, nouvelle science naissante au XIXe siècle, est remarquable et lui donne l’occasion de côtoyer les neurologues stars du moment, comme Jean-Martin Charcot.
Une symbiose, pas toujours réciproque
Augusta est une femme timide et réservée, cependant elle a du tempérament. Elle travaille comme chercheuse et médecin durant la Grande Guerre. Elle soigne les blessés, invente un appareil pour soigner les paralysies des muscles de la main provoquées par les projectiles de guerre et propose une méthode pour localiser les balles dans le crâne des soldats. En 1921, Augusta est nommée officier de la Légion d’honneur.
En trente ans de vie commune, les Déjerine-Klumpke, contemporains des Curie, mènent ensemble des recherches, publient des articles, suivent des patients et des étudiants. Leur relation est presque symbiotique. Mais il y a une ombre au tableau, révélée en 2019 par Michel Fardeau et Jacques Poirier, biographes du couple. En compulsant les archives familiales d’Augusta et de son mari, ils découvrent que le manuscrit de l’Anatomie des centres nerveux, connue comme l’œuvre maîtresse du professeur Déjerine et l’un des monuments de la science française, est entièrement rédigé de la main de sa femme Augusta. Ce traité en deux volumes est sans doute l’une des plus grandes contributions aux neurosciences. A priori, le travail de neuro-anatomie nécessaire à la rédaction de l’ouvrage serait bien l’œuvre d’Augusta. C’est elle qui fait durcir les cerveaux humains dans des produits chimiques, elle qui les coupe en tranches fines – ce qui fait la joie des journaux humoristiques –, elle encore qui met au point une technique de coloration des coupes de cerveau.
En mari généreux, Déjerine a tout de même pris le soin de remercier Madame, mais sur la couverture, on ne lit que son nom. Ce n’est qu’en tournant la page qu’on trouve le nom d’Augusta… comme collaboratrice. Dommage.