Jules and Augusta Dejerine
Le professeur Jules Déjerine et son épouse, Augusta Klumpke, en 1910, examinant des coupes de cerveau au laboratoire de la Salpêtrière, à Paris. © Wikipédia

Augusta Déjerine-​Klumpke, la pre­mière interne des hôpi­taux de Paris

Augusta Déjerine-​Klumpke, l’une des plus grandes neu­ro­logues fran­çaises, fut la pre­mière femme nom­mée à l’externat puis à l’internat des hôpi­taux de Paris. La pre­mière, éga­le­ment, à deve­nir membre puis pré­si­dente de la Société de neu­ro­lo­gie de Paris. Et comme bien sou­vent, il se pour­rait bien qu’elle ait écrit elle-​même les ouvrages publiés sous le nom de son mari. 

San Francisco, milieu du XIXe siècle, en pleine ruée vers l’or. Les parents d’Augusta Klumpke, John Gerald Klumpke et Dorothea Mathilda Tolle, sont des immi­grés alle­mands. Un temps cor­don­nier, le père, qui a des ambi­tions, se lance rapi­de­ment dans l’immobilier et fait for­tune. Les Klumpke ont sept enfants dont l’un meurt à l’âge de 1 an, quand, un beau jour, John Gerald tombe amou­reux d’une cer­taine Bernardina. Dorothea Mathilda le quitte, obtient le divorce, la garde des enfants, la moi­tié de sa for­tune. Et part en Europe avec ses six enfants et beau­coup de courage.

Après un séjour de quelques années en Allemagne et en Suisse, cette mère poule, déter­mi­née à don­ner à ses enfants la meilleure édu­ca­tion, débarque à Paris avec cinq filles et un gar­çon. La nou­velle ville hauss­man­nienne est magni­fique et offre bien des pos­si­bi­li­tés. En effet, depuis quelques années, les filles sont admises à la facul­té de méde­cine. Cette infor­ma­tion n’échappe pas à Augusta, qui, en 1876, se pré­sente à l’université. Elle est alors la plus jeune des onze femmes ins­crites à la faculté.

La pre­mière dif­fi­cul­té vient du doyen de la facul­té, l’illustre Alfred Vulpian, qui la convoque lors de son ins­crip­tion et cherche, en vain, à la dis­sua­der d’entreprendre une telle car­rière : « Mais made­moi­selle, vous êtes-​vous ren­du compte de la lon­gueur et de l’aridité des études ? » se sou­vient Augusta dans l’un de ses écrits. Mais la jeune fille est caté­go­rique : elle sera méde­cin. À l’époque, si les femmes peuvent s’inscrire à la facul­té de méde­cine, elles n’ont pas encore le droit de par­ti­ci­per aux concours d’externe puis d’interne des hôpi­taux. La grande majo­ri­té des méde­cins et étu­diants s’y opposent.

Sous les moque­ries et les sifflements

Or, il ne faut jamais sous-​estimer les jeunes filles déter­mi­nées ! Avec l’aide de quelques poli­ti­ciens et méde­cins favo­rables à l’émancipation fémi­nine – dont Paul Bert, méde­cin et ministre de l’Instruction publique –, Augusta et sa com­pagne de lutte, Blanche Edwards, obtiennent le droit de par­ti­ci­per au concours d’externe, à condi­tion de ne pas aspi­rer à concou­rir pour l’internat. « Ce n’était pas conve­nable qu’un bar­bu externe soit subor­don­né à une blonde interne », explique Jacques Poirier, his­to­rien de la méde­cine et bio­graphe des Déjerine-​Klumpke, citant un oppo­sant de l’époque. Une fois obte­nu le poste d’externe, les filles ‑n’allaient pas s’arrêter en si bon che­min. Pétitions et contre-​pétitions agitent la facul­té. Finalement, elles par­ti­cipent au concours de l’internat en 1885, sous les moque­ries et les sif­fle­ments des col­lègues hommes, mais seule Augusta devient interne et est nom­mée l’année suivante.

En 1888, alors qu’Augusta entame sa deuxième année d’internat, elle épouse, après de longues fian­çailles, Jules Déjerine, neu­ro­logue et chef de cli­nique à l’hôpital de la Charité, à Paris, qu’elle a ren­con­tré en 1880 quand elle était jeune sta­giaire. Le mariage a lieu le 11 juillet et, le 1er août, Augusta démis­sionne de l’internat pour aller tra­vailler dans le labo­ra­toire de son mari à l’hôpital Bicêtre. Elle le sui­vra en 1895 à la Salpêtrière et y res­te­ra jusqu’à la mort de Jules en 1917. Sans poste offi­ciel ni salaire… 

Le tra­vail d’Augusta n’en est pas moins appré­cié. Dès 1885, elle atteint une cer­taine noto­rié­té. Une de ses pre­mières publi­ca­tions, un article scien­ti­fique sur une forme de para­ly­sie du plexus bra­chial, a fait beau­coup par­ler d’elle. Depuis, cette para­ly­sie porte son nom en anglais (Klumpke’s para­ly­sis). En France, on croit bon d’y ajou­ter le nom de son mari (syn­drome de Déjerine-​Klumpke). En 1889, le tra­vail de thèse d’Augusta est salué par les neu­ro­logues de l’époque, attire l’attention de plu­sieurs jour­naux fran­çais et amé­ri­cains et lui fait gagner une médaille de la Faculté de méde­cine. Par la suite, Augusta signe une soixan­taine d’articles scien­ti­fiques, seule, avec son mari ou avec des étu­diants de ce der­nier, comme Gustave Roussy. Sa contri­bu­tion à la neu­ro­lo­gie, nou­velle science nais­sante au XIXe siècle, est remar­quable et lui donne l’occasion de côtoyer les neu­ro­logues stars du moment, comme Jean-​Martin Charcot. 

Une sym­biose, pas tou­jours réciproque 

Augusta est une femme timide et réser­vée, cepen­dant elle a du tem­pé­ra­ment. Elle tra­vaille comme cher­cheuse et méde­cin durant la Grande Guerre. Elle soigne les bles­sés, invente un appa­reil pour soi­gner les para­ly­sies des muscles de la main pro­vo­quées par les pro­jec­tiles de guerre et pro­pose une méthode pour loca­li­ser les balles dans le crâne des sol­dats. En 1921, Augusta est nom­mée offi­cier de la Légion d’honneur.

En trente ans de vie com­mune, les Déjerine-​Klumpke, contem­po­rains des Curie, mènent ensemble des recherches, publient des articles, suivent des patients et des étu­diants. Leur rela­tion est presque sym­bio­tique. Mais il y a une ombre au tableau, révé­lée en 2019 par Michel Fardeau et Jacques Poirier, bio­graphes du couple. En com­pul­sant les archives fami­liales d’Augusta et de son mari, ils découvrent que le manus­crit de l’Anatomie des centres ner­veux, connue comme l’œuvre maî­tresse du pro­fes­seur Déjerine et l’un des monu­ments de la science fran­çaise, est entiè­re­ment rédi­gé de la main de sa femme Augusta. Ce trai­té en deux volumes est sans doute l’une des plus grandes contri­bu­tions aux neu­ros­ciences. A prio­ri, le tra­vail de neuro-​anatomie néces­saire à la rédac­tion de l’ouvrage serait bien l’œuvre d’Augusta. C’est elle qui fait dur­cir les cer­veaux humains dans des pro­duits chi­miques, elle qui les coupe en tranches fines – ce qui fait la joie des jour­naux humo­ris­tiques –, elle encore qui met au point une tech­nique de colo­ra­tion des coupes de cerveau. 

En mari géné­reux, Déjerine a tout de même pris le soin de remer­cier Madame, mais sur la cou­ver­ture, on ne lit que son nom. Ce n’est qu’en tour­nant la page qu’on trouve le nom d’Augusta… comme col­la­bo­ra­trice. Dommage.

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