Peut-on vraiment soigner les auteurs de violences sexuelles ? Ces hommes parmi nous. Soigner les auteurs de violences sexuelles, un ouvrage coécrit par trois psychiatres et psychologues, tente de répondre à la question. Interview avec l’une des autrices, Gabrielle Arena.
Psychiatre à la retraite, Gabrielle Arena a été responsable du Centre ressources pour les intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) d’Île-de-France Nord-Est. Elle a travaillé plusieurs années avec des hommes agresseurs et coécrit, ce mois-ci, avec les psychologues Caroline Legendre et Gaëlle Saint-James : Ces hommes parmi nous. Soigner les auteurs de violences sexuelles. L’ouvrage s’intéresse à la question délicate de la réinsertion des agresseurs et délinquants sexuels : faut-il les aider ? Peuvent-ils réellement guérir ? Est-ce souhaitable ? Quels outils thérapeutiques sont à disposition des professionnel·les ?
Causette : Vous avez été responsable d’une consultation spécifique pour auteurs de violence sexuelle. De quoi s’agit-il exactement ?
Gabrielle Arena : En 1998, la loi Guigou a prononcé des injonctions de soin à la sortie de prison [en prison, les soins sont une incitation, ndlr]. On a donc vu arriver ces auteurs de violences sexuelles en psychiatrie, demandant des soins. Il a fallu créer un espace dédié, avec des personnes formées, pour faire un vrai travail thérapeutique avec ces patients. Ces traitements sont préconisés pour des délinquants sexuels pour lesquels un travail est possible : des gens comme Marc Dutroux ou Michel Fourniret, ce n’est pas possible. Il faut des gens “adaptables”.
Causette : Vous racontez, dans le livre, que personne ne voulait faire ce travail thérapeutique : ni les soignant·es ni les patients, qui y sont obligés.
G.A : Au début, c’était difficile pour les confrères qui n’ont pas étudié la violence ou la criminologie. Les soignants sont comme tout le monde : ils entendent des choses dans les médias, c’est un sujet d’emblée sulfureux, difficile. Certains pensaient que ce n’était pas leur place. Quant aux auteurs de violence sexuelle, ils ne vont absolument pas d’eux-mêmes en consultation ! D’ailleurs, à part pour quelques personnes, aller voir le psychiatre n’est pas une démarche aisée. Là, ils ont purgé leur peine et on leur dit, à la sortie de prison, que ce n’est pas fini. C’est une double peine pour eux.
Causette : Quel est le profil de ces agresseurs sexuels ? On parle souvent de monstres, de fous, de psychopathes. Pourtant vous expliquez que les auteurs de violences sexuelles ne sont pas atteints de troubles psychiatriques…
G.A : Fou et psychopathe, ce n’est pas pareil… Une petite partie d’entre eux sont des malades mentaux, cela arrive. Mais la grande majorité, c’est Monsieur Tout-le-Monde. Je sais que c’est difficilement entendable… On a affaire à des personnes qui ont eu des vécus parfois difficiles, avec de la maltraitance, des violences sexuelles commises sur eux (c’est le cas pour un tiers d’entre eux), même si ce n’est pas une excuse. Et beaucoup de troubles de la personnalité. C’est-à-dire que ce sont des gens qui se sont mal construits ou construits à partir d’une immaturité, ou, à l’inverse, d’une position très dominante, perverse, qui consiste à écraser l’autre. S’il y a des entraves ou des manques, cette personnalité pousse plus ou moins droit ou tordu, comme un arbre. Et c’est difficile de redresser un arbre… Mais en tout cas, ce n’est pas la même chose qu’une maladie. Ce sont des personnalités asociales, c’est-à-dire dangereuses, criminelles et ayant une jouissance dans la destructivité.
Causette : Vous rappelez que la violence sexuelle n’a pas à voir avec la sexualité mais avec le pouvoir.
G.A : En effet, c’est un usage de la sexualité pour dominer, plus qu’un usage pour en retirer du plaisir sexuel. C’est une envie de détruire, de posséder la femme.
Causette : En quoi consiste le travail thérapeutique spécifique avec ces personnes ?
G.A : D’abord, c’est un travail qu’on ne fait pas seul, mais en groupe de parole, où on leur demande de raconter leur histoire. L’intérêt du groupe, c’est qu’ils entendent l’histoire des autres et que cela leur apprend l’altérité, car ils sont souvent très centrés sur eux-mêmes. Quand ils entendent les récits des autres, ils se disent : “Moi aussi.” L’effet de groupe permet de travailler cette fonction de miroir. Le but du travail est de dérouler ce qu’on appelle la “chaîne de vie” et de voir où sont les manques, les difficultés, les traumas, les blessures… Souvent, il y a des révélations, des choses enfouies.
L’autre travail consiste ensuite à voir, pour eux, ce qui s’est passé le jour J : on travaille sur le passage à l’acte. On veut savoir dans quel état ils étaient avant de passer à l’acte, ce qui s’est passé après dans leur tête. Souvent, avant de passer à l’acte, ils décrivent une tension, un malaise, une pulsion. On cherche ensemble ce qui les a mis dans cet état-là : certains ont été “une fois de plus” (selon leurs mots) humiliés par leur chef, ou ont essuyé un “refus” de leur femme. On repère des facteurs qui favorisent le passage à l’acte : on travaille pour que, si cela commence à aller mal, il soit possible d’allumer les feux clignotants, de pouvoir s’arrêter et demander à un ami ou un soignant de les aider à ce moment-là. En tout cas, il faut des éléments concrets pour qu’ils puissent s’en sortir s’ils se retrouvent à nouveau dans cette position de fragilité.
Enfin, on travaille l’empathie avec les victimes : “Qu’est-ce que vous pensez que la victime a ressenti ?” Des fois, ils ne se sont jamais posé la question… On peut leur demander, par exemple, d’écrire une lettre à leur victime. Cela leur permet d’appréhender la souffrance de l’autre.
Causette : Vous expliquez que ce travail thérapeutique a lieu pour la société, c’est-à-dire pour limiter la récidive. Quels sont les facteurs de récidive ?
G.A : Ce sont finalement les mêmes qui mettent chacun de nous en tension : il y a des facteurs affectifs, si l’on est tout seul ou rejeté par ses proches, ce qui est souvent le cas pour eux. Il y a aussi le vide professionnel, s’ils n’arrivent pas à se réinsérer et à trouver une valorisation par le travail et l’argent. Il est impératif d’avoir une activité professionnelle et un logement. Eux, contrairement à nous, ne dépriment pas, ils agressent.
Causette : Après des années d’expérience, pensez-vous qu’il soit vraiment possible de les soigner ?
G.A : Je suis optimiste : quand j’ai commencé ma pratique, il n’y avait rien, ni pour les victimes ni pour les agresseurs. Les femmes se taisaient, les enfants aussi. La progression du droit des femmes et des enfants a été très positive : c’est à poursuivre. On parle beaucoup plus des agresseurs, maintenant : un incroyable mouvement s’est enclenché depuis la loi de 1998, avec des centres de ressources, des gens qui se forment, qui travaillent en prison, en CMP (centres médico-psychologiques) ou en consultation. C’est un phénomène remarquable. Ensuite : est-ce que ces traitements-là vont servir ? Je pense que oui, mais il n’y a pas de travail sans risque, et il y a des risques de récidive.
![Peut-on (et faut-il ) soigner les auteurs de violences sexuelles ? 2 thumbnail CesHommesParmiNous couv](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/10/thumbnail_CesHommesParmiNous-couv-651x1024.jpeg)
Ces hommes parmi nous. Soigner les auteurs de violences sexuelles, de Gabrielle Arena, Caroline Legendre et Gaëlle Saint-James. Éditions du détour, 256 pages, 20,90 euros. En librairie.