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© Deepak Gupta / Unsplash

Peut-​on (et faut-​il ) soi­gner les auteurs de vio­lences sexuelles ?

Peut-​on vrai­ment soi­gner les auteurs de vio­lences sexuelles ? Ces hommes par­mi nous. Soigner les auteurs de vio­lences sexuelles, un ouvrage coécrit par trois psy­chiatres et psy­cho­logues, tente de répondre à la ques­tion. Interview avec l’une des autrices, Gabrielle Arena.

Psychiatre à la retraite, Gabrielle Arena a été res­pon­sable du Centre res­sources pour les inter­ve­nants auprès d’auteurs de vio­lences sexuelles (CRIAVS) d’Île-de-France Nord-​Est. Elle a tra­vaillé plu­sieurs années avec des hommes agres­seurs et coécrit, ce mois-​ci, avec les psy­cho­logues Caroline Legendre et Gaëlle Saint-​James : Ces hommes par­mi nous. Soigner les auteurs de vio­lences sexuelles. L’ouvrage s’intéresse à la ques­tion déli­cate de la réin­ser­tion des agres­seurs et délin­quants sexuels : faut-​il les aider ? Peuvent-​ils réel­le­ment gué­rir ? Est-​ce sou­hai­table ? Quels outils thé­ra­peu­tiques sont à dis­po­si­tion des professionnel·les ?

Causette : Vous avez été res­pon­sable d’une consul­ta­tion spé­ci­fique pour auteurs de vio­lence sexuelle. De quoi s’agit-il exac­te­ment ?
Gabrielle Arena : En 1998, la loi Guigou a pro­non­cé des injonc­tions de soin à la sor­tie de pri­son [en pri­son, les soins sont une inci­ta­tion, ndlr]. On a donc vu arri­ver ces auteurs de vio­lences sexuelles en psy­chia­trie, deman­dant des soins. Il a fal­lu créer un espace dédié, avec des per­sonnes for­mées, pour faire un vrai tra­vail thé­ra­peu­tique avec ces patients. Ces trai­te­ments sont pré­co­ni­sés pour des délin­quants sexuels pour les­quels un tra­vail est pos­sible : des gens comme Marc Dutroux ou Michel Fourniret, ce n’est pas pos­sible. Il faut des gens “adap­tables”.

Causette : Vous racon­tez, dans le livre, que per­sonne ne vou­lait faire ce tra­vail thé­ra­peu­tique : ni les soignant·es ni les patients, qui y sont obli­gés.
G.A : Au début, c’était dif­fi­cile pour les confrères qui n’ont pas étu­dié la vio­lence ou la cri­mi­no­lo­gie. Les soi­gnants sont comme tout le monde : ils entendent des choses dans les médias, c’est un sujet d’emblée sul­fu­reux, dif­fi­cile. Certains pen­saient que ce n’était pas leur place. Quant aux auteurs de vio­lence sexuelle, ils ne vont abso­lu­ment pas d’eux-mêmes en consul­ta­tion ! D’ailleurs, à part pour quelques per­sonnes, aller voir le psy­chiatre n’est pas une démarche aisée. Là, ils ont pur­gé leur peine et on leur dit, à la sor­tie de pri­son, que ce n’est pas fini. C’est une double peine pour eux. 

Causette : Quel est le pro­fil de ces agres­seurs sexuels ? On parle sou­vent de monstres, de fous, de psy­cho­pathes. Pourtant vous expli­quez que les auteurs de vio­lences sexuelles ne sont pas atteints de troubles psy­chia­triques… 
G.A : Fou et psy­cho­pathe, ce n’est pas pareil… Une petite par­tie d’entre eux sont des malades men­taux, cela arrive. Mais la grande majo­ri­té, c’est Monsieur Tout-​le-​Monde. Je sais que c’est dif­fi­ci­le­ment enten­dable… On a affaire à des per­sonnes qui ont eu des vécus par­fois dif­fi­ciles, avec de la mal­trai­tance, des vio­lences sexuelles com­mises sur eux (c’est le cas pour un tiers d’entre eux), même si ce n’est pas une excuse. Et beau­coup de troubles de la per­son­na­li­té. C’est-à-dire que ce sont des gens qui se sont mal construits ou construits à par­tir d’une imma­tu­ri­té, ou, à l’inverse, d’une posi­tion très domi­nante, per­verse, qui consiste à écra­ser l’autre. S’il y a des entraves ou des manques, cette per­son­na­li­té pousse plus ou moins droit ou tor­du, comme un arbre. Et c’est dif­fi­cile de redres­ser un arbre… Mais en tout cas, ce n’est pas la même chose qu’une mala­die. Ce sont des per­son­na­li­tés aso­ciales, c’est-à-dire dan­ge­reuses, cri­mi­nelles et ayant une jouis­sance dans la destructivité.

Causette : Vous rap­pe­lez que la vio­lence sexuelle n’a pas à voir avec la sexua­li­té mais avec le pou­voir.
G.A : En effet, c’est un usage de la sexua­li­té pour domi­ner, plus qu’un usage pour en reti­rer du plai­sir sexuel. C’est une envie de détruire, de pos­sé­der la femme. 

Causette : En quoi consiste le tra­vail thé­ra­peu­tique spé­ci­fique avec ces per­sonnes ?
G.A : D’abord, c’est un tra­vail qu’on ne fait pas seul, mais en groupe de parole, où on leur demande de racon­ter leur his­toire. L’intérêt du groupe, c’est qu’ils entendent l’histoire des autres et que cela leur apprend l’altérité, car ils sont sou­vent très cen­trés sur eux-​mêmes. Quand ils entendent les récits des autres, ils se disent : “Moi aus­si.” L’effet de groupe per­met de tra­vailler cette fonc­tion de miroir. Le but du tra­vail est de dérou­ler ce qu’on appelle la “chaîne de vie” et de voir où sont les manques, les dif­fi­cul­tés, les trau­mas, les bles­sures… Souvent, il y a des révé­la­tions, des choses enfouies. 
L’autre tra­vail consiste ensuite à voir, pour eux, ce qui s’est pas­sé le jour J : on tra­vaille sur le pas­sage à l’acte. On veut savoir dans quel état ils étaient avant de pas­ser à l’acte, ce qui s’est pas­sé après dans leur tête. Souvent, avant de pas­ser à l’acte, ils décrivent une ten­sion, un malaise, une pul­sion. On cherche ensemble ce qui les a mis dans cet état-​là : cer­tains ont été “une fois de plus” (selon leurs mots) humi­liés par leur chef, ou ont essuyé un “refus” de leur femme. On repère des fac­teurs qui favo­risent le pas­sage à l’acte : on tra­vaille pour que, si cela com­mence à aller mal, il soit pos­sible d’allumer les feux cli­gno­tants, de pou­voir s’arrêter et deman­der à un ami ou un soi­gnant de les aider à ce moment-​là. En tout cas, il faut des élé­ments concrets pour qu’ils puissent s’en sor­tir s’ils se retrouvent à nou­veau dans cette posi­tion de fra­gi­li­té.
Enfin, on tra­vaille l’empathie avec les vic­times : “Qu’est-ce que vous pen­sez que la vic­time a res­sen­ti ?” Des fois, ils ne se sont jamais posé la ques­tion… On peut leur deman­der, par exemple, d’écrire une lettre à leur vic­time. Cela leur per­met d’appréhender la souf­france de l’autre. 

Causette : Vous expli­quez que ce tra­vail thé­ra­peu­tique a lieu pour la socié­té, c’est-à-dire pour limi­ter la réci­dive. Quels sont les fac­teurs de réci­dive ?
G.A : Ce sont fina­le­ment les mêmes qui mettent cha­cun de nous en ten­sion : il y a des fac­teurs affec­tifs, si l’on est tout seul ou reje­té par ses proches, ce qui est sou­vent le cas pour eux. Il y a aus­si le vide pro­fes­sion­nel, s’ils n’arrivent pas à se réin­sé­rer et à trou­ver une valo­ri­sa­tion par le tra­vail et l’argent. Il est impé­ra­tif d’avoir une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle et un loge­ment. Eux, contrai­re­ment à nous, ne dépriment pas, ils agressent. 

Causette : Après des années d’expérience, pensez-​vous qu’il soit vrai­ment pos­sible de les soi­gner ? 
G.A : Je suis opti­miste : quand j’ai com­men­cé ma pra­tique, il n’y avait rien, ni pour les vic­times ni pour les agres­seurs. Les femmes se tai­saient, les enfants aus­si. La pro­gres­sion du droit des femmes et des enfants a été très posi­tive : c’est à pour­suivre. On parle beau­coup plus des agres­seurs, main­te­nant : un incroyable mou­ve­ment s’est enclen­ché depuis la loi de 1998, avec des centres de res­sources, des gens qui se forment, qui tra­vaillent en pri­son, en CMP (centres médico-​psychologiques) ou en consul­ta­tion. C’est un phé­no­mène remar­quable. Ensuite : est-​ce que ces traitements-​là vont ser­vir ? Je pense que oui, mais il n’y a pas de tra­vail sans risque, et il y a des risques de récidive. 

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Ces hommes par­mi nous. Soigner les auteurs de vio­lences sexuelles, de Gabrielle Arena, Caroline Legendre et Gaëlle Saint-​James. Éditions du détour, 256 pages, 20,90 euros. En librairie. 

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