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© Markus Winkler

Combats fémi­nistes : peut-​on se pas­ser de la radicalité ?

Impossible, ces der­niers mois, d’être passé·e à côté des col­lages fémi­nistes et de leurs phrases coups de poing affi­chées sur les murs des grandes villes. Ou de la démis­sion de Christophe Girard, ancien adjoint à la culture de la Mairie de Paris, sous la pres­sion d’élues fémi­nistes (comme Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-​Leleu) sui­vie de manifs à base de slo­gans chocs (« Bienvenue à Pédoland ») visant à rap­pe­ler ses liens d’amitié avec l’écrivain pédo­cri­mi­nel Gabriel Matzneff. Des méthodes radi­cales, par­fois décriées au sein même des mou­ve­ments fémi­nistes. Et voi­là relan­cé le sem­pi­ter­nel débat : peut-​on lut­ter sans être radicales ?

Laure Salmona

Cofondatrice de l'association Féministes contre le cyberharcèlement

<br>« Non, on ne peut pas se pas­ser de radi­ca­li­té. Quand on est fémi­niste et quand on est une femme, c’est OK d’être misandre. C’est une haine de réac­tion et de défense. Même si cer­tains disent <em>“not all men”</em>, les hommes sont tous un peu sexistes puisqu’ils ont été socia­li­sés dans une socié­té patriar­cale. Et puis, la miso­gy­nie viole, tue. La misan­drie, elle, à part moquer les hommes cis­genres, hété­ros et blancs, ou les exclure de cer­tains évé­ne­ments, ne va pas beau­coup plus loin.<br>Le com­bat fémi­niste est spé­ci­fique, car on n’est pas sépa­rées de la classe contre laquelle on lutte : on a des hommes dans notre famille ; si on est hété­ro, on en a dans notre lit… En tant que femmes, on se met en dan­ger en fré­quen­tant les hommes. Lutter contre eux per­met de ne pas se lais­ser atten­drir. C’est une mesure de pro­tec­tion nor­male. Le fait de se moquer des domi­nants, c’est aus­si une forme de cathar­sis. On a besoin d’humour qui ne se construit pas sur les opprimés. »

Belinda Cannone

écri­vaine* fémi­niste, autrice d'une tri­bune sur le néo­fé­mi­nisme dans <em>Le Monde </​em>

<br>« Si “être radi­cale” signi­fie vou­loir radi­ca­le­ment l’égalité, évi­dem­ment, en tant que fémi­nistes, nous sommes toutes radi­cales et nous avons des rai­sons de l’être. Mais si l’on parle des méthodes radi­cales des néo-​féministes – les jeunes mili­tantes ou les mou­ve­ments comme #NousToutes –, ce n’est pas, selon moi, la bonne façon de com­battre. Sur les murs de Paris, on lit <em>“À votre tour d’avoir peur”</em> ; en manif, on entend des femmes appe­ler à se ser­vir de <em>“sécateurs”</em>, on consi­dère un homme comme un vio­leur avant que la loi ne soit pro­non­cée… Je n’appelle pas ça faire de la poli­tique. Faire de la poli­tique, c’est un pro­ces­sus de négo­cia­tion intel­lec­tuelle qui doit dépas­ser la simple vio­lence ver­bale et qui admet le désac­cord. Même si la colère et la révolte contre l’inégalité sont les pre­miers moteurs qui nous animent, il ne faut pas renon­cer au débat ration­nel. Sinon, on enflamme l’affect des autres au lieu de par­ler à leur intel­li­gence. » <br><strong>* <em>Le Nouveau Nom de l’amour</em>. Éd. Stock. Sortie le 2 septembre.</strong>

Mathilde Larrère

Historienne des révo­lu­tions et de la citoyen­ne­té, et écrivaine*

<br>« Dans toute l’histoire du fémi­nisme, les femmes ont tou­jours été consi­dé­rées par leurs détrac­teurs comme radi­cales. Croire que cette radi­ca­li­té des lignes poli­tiques ou des méthodes est nou­velle dans le com­bat des mili­tantes, c’est redé­cou­vrir l’eau tiède. Pendant la Révolution, les femmes avaient le droit de se réunir en asso­cia­tions et ont for­mé des clubs non mixtes. Mais à par­tir de 1793, cer­tains ont été inter­dits. Les femmes ont donc conti­nué de se réunir en toute illé­ga­li­té. Les suf­fra­gettes, dont on ne retient que les actions paci­fiques, ont cas­sé des vitrines. Dès 1880, on trou­vait des graf­fi­tis <em>“À bas le Code civil”</em>. Les fémi­nistes se sont de tout temps bat­tues sur tous les tableaux – liber­té de dis­po­ser de son corps, lutte contre les vio­lences sexuelles… Les méca­niques du <em>backlash</em> qu’elles ont sys­té­ma­ti­que­ment subi en retour sont, elles aus­si, tou­jours les mêmes. Déjà, dans les années 1970, le jour­na­liste Jean Cau écri­vait que les femmes du MLF étaient des <em>“moches” </em>et des <em>”mal baisées”</em>. » <br><strong>* <em>Rage against the machisme.</em> Éditions du Détour. Sortie le 27 août. </​strong>

Camille Lextray

Coordinatrice natio­nale du mou­ve­ment col­lages féminicides

<br>« La radi­ca­li­té est essen­tielle, car on a besoin d’une plu­ra­li­té d’instruments dans la lutte pour tou­cher le plus de per­sonnes pos­sible. S’arrêter à notre colère, c’est ne pas voir les assas­si­nats, les viols que l’on dénonce. C’est ça qui est cho­quant. Les vio­lences que l’on subit seront tou­jours dix fois pires que la vio­lence sym­bo­lique. Rappelons d’ailleurs que col­ler des affiches sur un mur, ça reste assez <em>soft</em>…<br>Par ailleurs, nous accu­ser de décré­di­bi­li­ser la lutte à cause de la radi­ca­li­té, c’est une construc­tion patriar­cale. On assigne les femmes à un rôle de dou­ceur, de silence. Les femmes viru­lentes qui lèvent le poing sont pré­sen­tées comme ayant une “pous­sée de folie”. Mais notre colère est à la fois légi­time et utile. Critiquer la radi­ca­li­té, enfin, c’est réécrire l’Histoire. On fait croire qu’on obtient des droits en les deman­dant gen­ti­ment, mais c’est invi­si­bi­li­ser la par­tie mus­clée de la lutte. Derrière Martin Luther King, qu’on retient comme un lea­der paci­fique, il y avait les Black Panthers… » 

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