Mi-février, la France découvre, effarée, l’existence de la Ligue du LOL. Créé par le journaliste Vincent Glad au début des années 2000, ce groupe Facebook très majoritairement masculin réunissait une trentaine de journalistes et communicants influents, qui ont dénigré, humilié et/ou harcelé de nombreuses personnes. Trois mois avant que l’affaire éclate, le Huffington Post avait déjà licencié trois journalistes qui insultaient fréquemment leurs consœurs dans un groupe privé. Un an auparavant, c’est le site Vice qui limogeait deux salariés pour des faits similaires. Autant d’affaires qui ont mis en lumière la mécanique des boys’ clubs.
Qu’est-ce qu’un boys’ club ?
Le terme provient de la Grande-Bretagne de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Dans une société en mouvement où les suffragettes se battent pour le droit de vote, de jeunes hommes de l’élite universitaire créent des clubs privés, sélectifs et interdits aux femmes dans lesquels ils s’adonnent à des loisirs de classe et se font la courte échelle sur les marches du pouvoir. Des formations <em>« réactionnaires »</em> et «<em> défensives »</em> par essence, selon l’universitaire québécoise Martine Delvaux<sup>1</sup>. <br> Aujourd’hui, par extension, le boys’ club désigne un entre-soi masculin plus ou moins formel et de facto excluant <em>« les femmes, les homosexuels ou les hétéros ne correspondant pas aux critères de virilité »,</em> observe Valérie Rey-Robert, autrice féministe<sup>2</sup> qui anime le blog Crêpe Georgette. <em>« Dès la maternelle, les garçons apprennent à rester entre eux et à accaparer les cours de récré au détriment des filles. »</em> Un regroupement pas forcément intentionnel, mais qui ouvre souvent la porte aux comportements toxiques. <em>« Après avoir été harcelé en CM2, j’ai moi aussi moqué les filles ou des garçons perçus comme faibles afin de m’intégrer à la bande des meneurs de ma sixième »,</em> témoigne Cédric Le Merrer, qui tient le blog Le Mecxpliqueur<sup>3</sup>.
À quoi ça sert, <br> les boys’ clubs ?
Avant tout, à se retrouver « peinards » sans femmes ! Historiquement, l’enjeu est <em>« d’échapper à l’espace domestique, règne des “anges du foyer” », </em>rappelle Martine Delvaux. Mais on intègre aussi le boys’ club pour <em>« faire valider sa masculinité »,</em> analyse Valérie Rey-Robert. On y apprend à être un homme, un vrai : <em>« Ce sont des lieux forts de compétitivité et de camaraderie virile. L’approbation des autres hommes, en tant que dominants, leur est nécessaire pour se situer dans la hiérarchie sociale. » </em><br> Être membre de la Ligue du LOL impliquait ainsi de faire rire les autres… en se moquant de ses victimes en public. <em>« L’humour peut être une manière très pernicieuse d’asseoir sa domination, sous un propos volontairement léger qui fait que la victime qui proteste passera pour un·e rabat-joie »,</em> décrypte Valérie Rey-Robert. Et au final, cet étroit entre-soi sera mis à profit pour réseauter, se coopter à des postes intéressants et, donc, perpétuer la domination masculine.
Et les girls’ clubs, alors ?
« Pupute », « Tu la baises »… En décembre 2018, trois journalistes du <em>Huffington Post</em> sont licenciés pour avoir tenu de violents propos sexistes sur un groupe privé 100 % masculin, intitulé « Radio Bière Foot ». Un licenciement que l’un d’eux conteste, arguant qu’il existait aussi un groupe composé de femmes — qui servait essentiellement… à se dépanner en tampons ! Virtuels ou physiques, les espaces féminins sont-ils le pendant des boys’ clubs ? Non, selon Martine Delvaux : <em>« Quand les femmes se regroupent, elles n’ont pas cet habitude de faire des affaires ensemble ou de se passer le bâton du pouvoir — qu’elles ne possèdent pas ! »</em> Et historiquement, lorsqu’elles revendiquent la non-mixité, c’est pour s’organiser afin de faire valoir leurs droits. Pourtant, rappelle Martine Delvaux : <em>« Autant on accepte la non-mixité masculine, qui est généralisée partout autour de nous, autant la non-mixité féminine dérange, puisque perçue comme menaçante… car féministe. Là se joue la différence. »</em>
Les exclu·es <br> du boys’ club
Si le boys’ club pose problème, c’est parce qu’il repose sur un processus d’exclusion. Pas toujours conscient, certes, mais bien réel. <em>« Il y a ceux qui sont dedans et, par définition, ceux qui ne le sont pas. Par ses actes, qui peuvent aller jusqu’au harcèlement, le groupe va définir qui est “cool”, et qui ne l’est pas »,</em> résume Cédric Le Merrer. Et ne pas en être – ou pire, en devenir la tête de Turc – c’est courir de risque d’un isolement social et/ou professionnel. <em>« Très concrètement, celles et ceux qui n’y appartiennent pas n’ont pas accès aux mêmes opportunités professionnelles. On le voit très bien dans le cas de la Ligue du LOL, dont les membres évoluaient dans les milieux de la communication et des médias, où l’on trouve très souvent son job par réseau »,</em> souligne Cédric Le Merrer. Pendant que certain·es de leurs victimes quittaient Twitter ou renonçaient à postuler à certains postes par peur de croiser ces maîtres du LOL, eux gravissaient les échelons à vitesse grand V, se cooptant volontiers les uns les autres. D’où la nécessité, estime Martine Delvaux, de changer notre regard sur ces cercles masculins qui font la pluie et le beau temps : <em>« C’est à la fois important de regarder le boys’ club pour le comprendre et le dénoncer, mais c’est tout aussi important de tourner la tête et de se décentrer pour amoindrir la force de leur influence. »</em>
1. Les Filles en série. Des Barbies aux Pussy Riot, de Martine Delvaux. Éditions du Remue-Ménage, 2018 (édition revue et augmentée).
2. Une culture du viol à la française, de Valérie Rey-Robert. Éd. Libertalia.
3. Lemecxpliqueur.wordpress.com
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