La chro­nique du Dr Kpote : Pas de quar­tier pour les machos

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives.

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©Gorsad Kyiv

Mi-​janvier, après un début de semaine sous ten­sion Omicron dans un col­lège de l’Essonne, je me suis ter­mi­né, le ven­dre­di, dans un chic arron­dis­se­ment de Paris. De Corbeil à Paname, soit 45 km sur Mappy sans escale à Ibiza, j’ai eu la sen­sa­tion d’avoir chan­gé de conti­nent, tant les deux mondes étaient aux anti­podes. Après les dégra­dés façon Peaky Blinders, j’ai joué mon scalp devant des cri­nières de sur­feurs. Ces der­niers étaient cinq, squat­taient les der­niers rangs, dépas­saient d’une bonne tête les autres élèves et arbo­raient l’attitude des pénibles de service.

Pendant deux heures, ils m’ont mis la fièvre, les beaux gosses, mépri­sant tout ce qui avait trait au fémi­nin, mini­mi­sant l’importance des vio­lences faites aux femmes, niant l’évidence des inéga­li­tés, même celles sour­cées et chif­frées. En aguer­ris de la Tartufferie, ils intro­dui­saient cha­cune de leurs dia­tribes par un « Je suis pour l’égalité mais… », agré­men­tées d’un grand sou­rire que même leurs masques ne pou­vaient dissimuler.

Selon eux, les fémi­nistes en lutte cher­chaient sur­tout à se débar­ras­ser des hommes. Mais pour une espèce en voie de dis­pa­ri­tion, je les ai trou­vés plu­tôt vaillants sur la confron­ta­tion, exer­çant une vraie emprise sur le groupe.

J’étais au cœur d’un fan-​club d’Emmanuel Todd, qui s’était fen­du le jour même dans Le Figaro d’une inter­view titrée : « Le patriar­cat n’a pas dis­pa­ru en Occident, il n’a jamais exis­té ». L’historien comp­tait sur cette inep­tie pour faire la pro­mo de son der­nier ouvrage, qu’il a pro­ba­ble­ment écrit avec une plume trem­pée dans son jus de prostate.

J’ai pas­sé deux heures à jouer au CSA en temps d’élection, leur deman­dant de faire des pauses dans leur logor­rhée miso­gyne afin que les filles puissent béné­fi­cier de vrais temps de parole, sans être inter­rom­pues. Confrontés aux chiffres des vio­lences sexuelles, ils ont agi­té le dra­peau du #NotAllMen (« pas tous les hommes »). Une fille leur a quand même signa­lé qu’ils avaient une fâcheuse ten­dance à jouer les « for­ceurs ». Quand j’ai rem­pla­cé le mot « for­ceur » par « agres­seur », ils m’ont fusillé du regard.

J’ai joué à fond mon rôle d’allié en accom­pa­gnant la parole de celles qui se ris­quaient à mon­ter au cré­neau. C’était ven­dre­di, la fête aux rac­cour­cis :
– Les femmes gagnaient moins ? Donc c’était à elles d’aller cher­cher les gamins !
– Les femmes se fai­saient agres­ser ? Elles n’avaient qu’à moins traî­ner.
– Les hommes agres­saient ? Logique puisqu’ils étaient plus forts physiquement.

Comme par hasard, ils avaient tous deux potes qui avaient été faus­se­ment accu­sés d’agression. Sentant l’embrouille, j’ai pris le tau­reau par les cojones (couilles) et les ai invi­tés à m’accompagner pour dépo­ser plainte pour dif­fa­ma­tion. Évidemment, ils se sont dégon­flés arguant que ça ne ser­vait à rien de remuer le passé.

Pour sor­tir un peu du débat sur les vio­lences sexuelles, une fille a évo­qué sa soli­tude et celle de ses consœurs dans le choix des méthodes contra­cep­tives, la prise de contra­cep­tion d’urgence ou une IVG à pro­gram­mer. Un des gar­çons l’a inter­rom­pue : « Et les tor­sions tes­ti­cu­laires, on en parle ? » J’ai sen­ti son besoin immi­nent d’être cares­sé dans le sens du scro­tum. Les hommes aus­si ont leurs pro­blèmes géni­taux, il fal­lait en conve­nir. J’ai donc répon­du en sti­pu­lant que le pro­blème concer­nait près de 15 % des jeunes mâles entre 12 et 18 ans et qu’au-delà de la dou­leur sa prise en charge rele­vait de l’urgence, au risque de perdre le tes­ti­cule concer­né. La pause tor­sion allait-​elle faire bais­ser les ten­sions ? Pas vrai­ment puisque l’un d’eux cri­ti­quait le fait que le choix d’aller au bout d’une gros­sesse reve­nait aux filles. Il cari­ca­tu­rait le slo­gan « Mon corps, mon choix » en fémi­ni­sant outra­geu­se­ment ses gestes.

Une fille, au pre­mier rang, s’est levée, a balan­cé son masque pour être cer­taine que sa voix porte davan­tage. Les mains un peu trem­blantes mais la voix ferme, elle a poin­té que, depuis le début, ils rame­naient tout à leur per­sonne, occul­tant le fond, soit les inéga­li­tés filles/​garçons et les notions de domi­na­tion. Dénués d’utérus, ils n’étaient pas légi­times pour nier le har­cè­le­ment, le sexisme et les vio­lences faites aux femmes. Elle leur a crié que ça fai­sait par­tie de son quo­ti­dien à elle, pas du leur. Un des mecs a iro­ni­sé qu’elle n’avait pas le phy­sique pour être « emmer­dée », mot déci­dé­ment à la mode ! Elle ne s’est pas dégon­flée et leur a ren­voyé qu’ils cau­tion­naient la culture du viol.

– « Pas la peine de faire l’hystérique », a lâché l’un d’eux.
– « Connard », a‑t-​elle répon­du avec un doigt d’honneur.

Ils se sont levés comme un seul homme, me pre­nant à témoin sur le pré­ju­dice subi ! « Vous ne dites rien ! Si un mec avait fait ça, il serait déjà au com­mis­sa­riat ! » m’a inter­pel­lé l’un d’eux. J’ai repris en signa­lant qu’« hys­té­rique » était une insulte sexiste uti­li­sée pour décré­di­bi­li­ser les paroles reven­di­ca­tives des femmes. Certes, le mot « connard », tout comme le doigt d’honneur, était de trop, mais là où ils enten­daient de la vio­lence, je tra­dui­sais plu­tôt par de l’exaspération.

Qu’importe, c’était trop tard ! Ils avaient leur os à ron­ger. Tout débat était deve­nu impos­sible. Tant qu’elle ne s’excuserait pas, ils crie­raient au doigt ! J’ai stop­pé la séance, dix minutes avant la fin. Les mecs m’ont toi­sé en par­tant et un petit groupe de filles m’a remer­cié pour ma téna­ci­té. « Ça doit pas être facile tous les jours avec eux », ai-​je com­pa­ti. « L’enfer », a lâché l’une d’elles. Assurément, elles allaient devoir faire preuve de soro­ri­té pour finir l’année.

Épilogue : la CPE m’a éclai­ré sur les rai­sons d’un tel anti- fémi­nisme. Deux des gar­çons concer­nés s’étaient affron­tés pour une fille, qui avait quit­té l’un pour l’autre. Le pas­sif s’est sol­dé avec une droite dans la face du concur­rent et une répu­ta­tion de « pute » pour la fille. Convoqué en conseil de dis­ci­pline, le pun­cheur s’est poin­té avec l’avocat de la famille, qui lui a sau­vé la mise. Par la suite, les deux familles, issues de la même classe sociale, se sont mira­cu­leu­se­ment rabi­bo­chées sur le dos de l’« entre­met­teuse », qui s’est vu attri­buer l’étiquette de fille facile. 

Cette soli­da­ri­té de couilles a pro­vo­qué le départ du lycée de celle-​ci, qui n’en pou­vait plus de subir la pres­sion. La CPE a su qu’elle avait quit­té le pre­mier mec, car il pas­sait son temps à la contrô­ler. Les jeunes, confor­tés par leur famille dans leur pos­ture toxique, ont pro­fi­té de la séance de pré­ven­tion pour me pré­sen­ter l’addition. Vous me ferez pen­ser à orga­ni­ser une séance de sen­si­bi­li­sa­tion à l’égalité avec les parents !


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