Interpellée par le manque de visibilité des femmes lesbiennes au travail, l’association L’Autre Cercle a réalisé une double enquête afin d’obtenir des données sur ce que ce phénomène masque. D’après les résultats, l’inclusion des personnes LGBT+ en milieu pro est encore loin d’être acquise.
Au cours de leur dernière édition de « Rôles modèles », cérémonie mettant à l’honneur les individus qui s’impliquent pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail, les organisateur·rices de L’Autre Cercle ont été frappé·es par le constat suivant : parmi les lauréat·es, la parité hommes-femmes n’était pas atteinte parmi les personnes bisexuelles ou homosexuelles dans le monde du travail. L’association, référence pour l’inclusion des personnes LGBT+ en milieu professionnel, a donc voulu savoir si ce phénomène ne relevait pas d’une invisibilisation, choisie ou subie, des femmes bi et lesbiennes dans le monde du travail. Soutenue par la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), L’Autre Cercle a ainsi lancé deux études complémentaires. La première, quantitative, menée par l’Ifop, reprend un échantillon représentatif de 1 402 femmes lesbiennes ou bisexuelles exerçant une activité professionnelle. La seconde, qualitative, est constituée de 88 entretiens individuels visant à illustrer les datas obtenus. Le résultat des deux est présenté sous l’acronyme Voilat, pour Visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail, et met en lumière la difficulté des femmes lesbiennes ou bi à vivre sereinement leur orientation sexuelle en milieu professionnel.
Une invisibilité manifeste
Moins de la moitié (40 %) des lesbiennes et bi en couple homosexuel disent être visibles auprès de leurs collègues à niveau hiérarchique égal, et un tiers à peine auprès de leurs supérieur·es. D’aucun·es prétendraient qu’il n’y a aucune raison d’évoquer son orientation sexuelle dans un cadre professionnel, or cette invisibilité mène souvent à une série de renoncements concrets. Du plus anecdotique, comme de ne pas participer à un événement professionnel auquel sont invitées les conjointes, au plus sérieux, ne pas mentionner le nom de sa conjointe comme contact d’urgence, ne pas prendre de congé parentalité ou à la suite d’un pacs ou mariage. Certaines, 39 % des sondées, se sentent même obligées de s’inventer une relation hétérosexuelle.
Ce que ça cache
L’invisibilisation des femmes bi et lesbiennes est bien souvent le résultat d’un choix forcé plus que délibéré : 47 % des femmes actuellement non visibles souhaiteraient l’être auprès de leurs collègues et supérieur·es, sans se sentir suffisamment en confiance pour sauter le pas. Celles-ci invoquent la crainte de subir un effet double peine : subissant déjà leur condition de femme – plus d’une femme sur deux a été victime dans sa carrière d’au moins une forme de discrimination ou d’agression rappelle l’Ifop –, nombreuses sont celles à ne pas vouloir supporter les conséquences d’un lesbianisme assumé. L’une des participantes, anglo-saxonne, a notamment exprimé sa surprise lorsqu’elle a été confrontée à l’univers professionnel français, qu’elle a trouvé très sexué, avec une injonction à la désirabilité marquée pour les femmes.
Outre le sexisme, l’autre argument récurrent qui explique le choix de non-visibilité est celui du tabou autour du mot « lesbienne ». Dans l’imaginaire collectif, ce terme reste associé soit à une femme ultramasculine qui remet en question l’ordre patriarcal, soit à une image fantasmée, construite par l’industrie pornographique – comme en attestent les nombreux témoignages recensés par l’Observatoire de la lesbophobie : « Moi, les gouinasses, je les mets dans le caniveau, sauf celles dans les films pornos. » Des stéréotypes auxquels ne collent pas une majorité de femmes homosexuelles, qui, en s’invisibilisant, préfèrent éviter qu’on leur colle l’étiquette « lesbienne de service », les réduisant ainsi à leur orientation sexuelle plutôt qu’à leurs compétences professionnelles.
Pistes d’amélioration
Pour permettre aux femmes lesbiennes et bi de se visibiliser sur leur lieu de travail, les concernées expriment le besoin de sentir que leur environnement est safe et qu’une tolérance zéro sera appliquée envers toute forme de lesbophobie. À juste titre : près d’une lesbienne sur quatre déclare avoir déjà été victime d’insultes lesbophobes au travail et les non-visibles, moins exposées directement à celles-ci, subissent tout de même de la lesbophobie d’ambiance – utilisation de termes LGBTphobes ou commentaires négatifs sur certains sujets de société tels que la PMA –, comme le relatent 62 % des sondées.
34 % des interrogées annoncent avoir quitté l’entreprise dans laquelle elles travaillaient à la suite d’une agression ou de harcèlement, 45 % d’entre elles témoignent de pensées suicidaires. Plus que d’un enjeu professionnel, il s’agit donc d’un enjeu de santé publique.
Depuis décembre 2013, L’Autre Cercle propose une Charte d’engagement LGBT, laquelle « donne un cadre formel en incluant la thématique LGBT+ dans une politique de promotion de la diversité et de prévention des discriminations » , charte à ce jour signée par plus de 175 dirigeant·es de grandes entreprises, PME, établissements d’enseignement supérieur, associations, ministres… Si les résultats de Voilat indiquent que les jeunes se visibilisent davantage que leurs aînées (cela s’explique notamment par le fait que si la visibilisation n’est pas effectuée d’emblée, il devient presque impossible de l’opérer après s’être empêtré dans des inventions de couple hétéro), évoluer ouvertement en tant que femme lesbienne ou bi reste un défi, a fortiori dans le monde professionnel. Fin 2022, l’association publiera également un guide basé sur les résultats de la double enquête afin que le monde du travail évolue vers toujours plus d’inclusion des personnes LGBT+.
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