Imposture
© Besse

Des femmes nous livrent leurs conseils pour arrê­ter de dou­ter de soi au travail

« T’es nulle » ; « Tu n’y arriveras pas »… Parfois, la petite voix négative qui mine la confiance et rétrécit les horizons professionnels s’emballe. Qu’elles soient universitaires, élues, cadres ou psy, cinq femmes partagent avec Causette leurs techniques pour tromper l’ennemi, même quand il est à l’intérieur.

Julie, psychologue dans un service de psychiatrie

“J’ai entamé une psychothérapie”

« Les ruminations permanentes, la peur de perdre mon poste par manque de compétences, la conviction obsédante que tous mes collègues étaient meilleurs que moi étaient devenues trop invalidantes. Il fallait que je fasse quelque chose. J’ai entamé une psychothérapie pour faire cesser les pensées paralysantes. J’ai beau être psy, je suis moi aussi suivie depuis l’an dernier.
Dès mon premier poste dans un service de psychiatrie, je me suis sentie en difficulté. Malgré des années d’études et une réelle passion pour mon métier, je me jugeais incapable de prendre en charge un patient. J’avais l’impression d’avoir la tête vide. J’ai répondu à un questionnaire sur les différents profils de gens qui souffrent de ce syndrome et je fais partie des “experts”. En gros, je minimise mes connaissances. Ma psy m’a conseillé de verbaliser davantage mon avis. Avant, dès qu’un médecin disait quelque chose, je n’osais jamais ouvrir la bouche, même si je n’étais pas d’accord. Maintenant, j’ose un peu plus.
J’essaie aussi de prendre du recul par rapport à la mise en compétition qui peut exister dans le cadre professionnel. J’ai rédigé une fiche d’identité qui définit qui j’ai envie d’être, quelle psychologue je souhaite devenir. C’est une façon de ne pas voir mes particularités comme des faiblesses. Je vais beaucoup mieux, mais je me sens incapable de changer de travail. Pourtant, je suis en CDD et je dois envisager la suite… Quand je lis une fiche de poste, ça me tétanise. Je me dis tout de suite : “Ça, je ne sais pas faire” ; “Ça, je ne peux pas”… Et je finis toujours par abandonner, convaincue que ça ne sert à rien de postuler. »

Sonia, responsable dans une ONG

“Mon truc, c’est de bosser à fond”

« Ce syndrome, je le trimballe depuis mon entrée en classe prépa. Malgré les bonnes notes, je me disais toujours que les profs allaient se rendre compte de la supercherie, que je ne méritais pas ces résultats. Mais c’est surtout l’an dernier qu’il s’est matérialisé avec violence, à la faveur d’une promotion professionnelle.
Après ma sortie de Sciences Po, j’ai démarré comme stagiaire dans une ONG et, en quelques années, je me suis retrouvée cheffe. J’ai obtenu un gros poste de responsable parce que les deux personnes précédentes étaient parties en burn-out. Au moment où j’ai accepté ce boulot, j’ai connu trois mois de syndrome d’imposture en continu. J’arrivais en retard aux réunions, je n’allumais pas la caméra lors des visio pour éviter qu’on voie que je suis jeune.
Je m’autosabordais, car j’étais persuadée de ne pas être à la hauteur. Je n’osais pas prendre des décisions. Je me suis complètement effacée. J’étais dans un état dépressif. J’avais des crises de panique au travail, je pleurais le soir. J’étais persuadée que mes chefs allaient se rendre compte qu’ils avaient nommé la mauvaise personne et j’en étais moi aussi convaincue. Si on m’avait virée, j’aurais peut-être été soulagée. Mais je n’ai pas songé à démissionner. En fait, il y avait un conflit très fort entre mes ambitions personnelles et ma confiance en moi. Je me disais que c’était un poste impossible à refuser tout en m’en sentant incapable. J’avais très peur de faire de la merde, tout simplement !
Cet événement professionnel a été un vrai déclic. Je suis allée voir une psy. Je me suis notamment rendu compte que j’avais du mal à être dans une position de visibilité.
Aujourd’hui, ça va mieux. La moindre situation de stress, l’organisation d’un rendez-vous important, le bouclage d’un dossier, peuvent déclencher un flot de pensées négatives : “Je vais encore passer pour une gamine” ; “Je suis nulle”… Sauf que je me laisse moins paralyser. Ce qui marche, c’est de me mettre à travailler à fond. J’essaie aussi de moins me comparer aux autres. J’imagine qu’ils ont confiance en eux, mais ça n’est que ma vision, après tout. J’ai eu un N+1 très arrogant et hyper sûr de lui, l’archétype du jeune mâle blanc dominant. Au départ, le côtoyer me tétanisait. Au fil des mois, je me suis rendu compte qu’il n’avait pas toujours raison et il a même fait des fautes professionnelles.
Pour moi, le syndrome d’imposture est largement féminin et vient de l’éducation, de l’injonction faite aux filles de ne pas faire de vagues. Le sexisme ordinaire, les remarques paternalistes qu’on entend souvent au travail alimentent aussi ce doute dévorant qui nous ronge. »

Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris, élue écologiste

“La sororité permet de se tendre un miroir”

« Je trouve que la question intéressante à se poser pour essayer de s’en sortir, c’est de se demander vis-à-vis de qui on se sent en imposture. Est-ce qu’on ment vraiment à quelqu’un ? La plupart du temps, on se rend compte que l’enjeu, c’est surtout soi. En fin d’année dernière, je me suis dit que j’étais une mauvaise élue, que je ne faisais pas assez de terrain, que je ne connaissais pas mes dossiers sur le bout des doigts, que je n’étais pas à la hauteur des exigences de transparence que je me suis fixées. Je pense que le cyberharcèlement subi ces derniers mois [Raphaëlle Rémy-Leleu fait partie des élues écologistes, avec Alice Coffin, qui ont demandé la mise en retrait de Christophe Girard en juillet 2020, ndlr] a nourri le syndrome d’imposture en noyant tous les sentiments positifs face à une masse de critiques et une volonté de décrédibilisation.
“Respire un grand coup !” m’ont dit certains proches en me conseillant de retrouver un peu le sens du réel. J’ai regardé mon agenda et j’ai vu que je travaillais plus de douze heures par jour. Impossible de penser que je ne fous rien… Ce qui m’aide aussi beaucoup, c’est d’échanger avec des femmes dans des situations similaires, d’autres élues. On dédramatise tout de suite. La sororité permet de se tendre un miroir. Pour moi, le syndrome d’imposture est tellement féminin que ça ne me viendrait pas à l’idée d’aller en parler avec des collègues masculins. Ce serait un peu comme aller se plaindre du mansplaining à un mec ! Le danger de ce syndrome, c’est qu’il conduit à beaucoup surcompenser, à énormément travailler, et ce niveau de pression et de perfection est dangereux. Mon objectif de l’année dernière, c’était aussi d’éviter le burn-out ! »

119 SYNDROME DE L IMPOSTEUR 4 © Camille Besse
© Besse
Amélie, doctorante

“Je pense aux hommes qui font des trucs médiocres”

« Je ressens ce sentiment d’imposture depuis plusieurs années, mais je ne l’ai conscientisé que récemment. Les choses se sont jouées quand j’ai entamé mon doctorat, il y a cinq ans, après avoir décidé de reprendre des études. Dans ma carrière précédente, j’étais chargée de projets culturels et je mettais le travail des autres en avant. Aujourd’hui, je mène des recherches en mon nom propre. Je dois présenter des travaux en cours d’élaboration, me confronter aux analyses des autres. Le tout dans un milieu, celui de l’enseignement supérieur, qui n’est pas très tendre. Je me suis mise à beaucoup douter. Mais j’ai fait un pacte de non-agression envers moi-même, car mon but n’est pas de souffrir. Il a donc fallu que je trouve des astuces pour continuer à avancer et arrêter de me pourrir la vie.
On voit partout des mecs sûrs d’eux et de leur pouvoir, qui ont une telle aisance qu’on se dit qu’il faut essayer d’avoir ne serait-ce qu’un dixième de cette confiance… Je pense donc souvent aux hommes qui font des trucs médiocres sans que le monde ne s’écroule sur leur tête. Et ça me rassure beaucoup !
J’ai aussi décidé de m’entourer des bonnes personnes, celles qui ont des angoisses similaires. On s’encourage, de façon parfois un peu aveugle, par principe, pour se soutenir et se donner de la force. Il ne s’agit pas d’étaler ses compétences en se disant qu’on est les plus fortes, mais d’apprendre à dire : “Ça, je sais le faire et je le fais bien.” J’ai compris que c’était plus compliqué pour les femmes d’avoir une approche objective de leurs compétences et de les affirmer comme telles. J’ai aussi compris que la réussite ne repose pas que sur soi, qu’elle se travaille et qu’elle est collective. Et c’est la même chose pour l’échec. Une fois qu’on a intégré ça, on relativise. »

Elena, cadre dans le secteur de l’énergie

“Une coach m’a aidée à arrêter de douter de moi”

« Je me suis toujours sentie comme une intruse pendant mes études. Ça a traversé toutes mes expériences depuis la prépa littéraire. Je n’avais pas du tout décidé d’y aller, mais mes parents ont poussé parce que c’était “bien” et élitiste comme il fallait. Mais je ne me sentais pas du tout à ma place. Quand j’ai commencé à comprendre que c’était pour préparer le concours d’entrée à Normale-Sup, je me suis dit que ça n’était pas du tout à ma portée. Je n’ai jamais prétendu réussir. Je l’ai pourtant eu. Je me suis longtemps demandé pourquoi moi, qui ne voulais pas spécialement Normale-Sup, j’avais pu réussir. On m’a aussi pas mal renvoyé l’image de la fille différente, pas assez intello, trop superficielle pour être une normalienne. J’ai choisi de me réorienter et je suis entrée à Sciences Po. Mon premier boulot, dans le secteur du conseil, a été hyper difficile. Je passais mon temps à me demander ce que je faisais là, moi la “littéraire”, devant ces tableaux Excel.
J’ai ensuite quitté la France pour l’Italie et rejoint, un peu par hasard, une équipe dans le secteur de l’énergie. Mais je ne connaissais rien à la thématique sur laquelle je travaillais. J’oscillais en permanence entre le “Qu’est-ce que je fous là ?” et l’envie de prouver que je savais faire autre chose que prendre des notes. De retour en France, j’ai obtenu un poste dans la même entreprise. Je me disais sans cesse qu’on m’avait fait une fleur, que je ne méritais pas ce boulot. Ma ligne a donc été de bosser à fond pour démontrer aux autres et à moi-même que j’étais à la hauteur. J’ai changé d’employeur il y a deux ans et le groupe dans lequel je suis actuellement a mis au point une filière de détection des “talents”. Quand j’ai su que j’étais sélectionnée pour passer les tests, je l’ai vécu comme une reconnaissance. L’échec était impossible, donc j’ai cravaché et je l’ai eu. Ça m’a fait énormément de bien. Enfin, on m’a dit que mon travail avait de la valeur ! Dans le cadre de ce programme, j’ai fait une formation avec une coach sur ma légitimité professionnelle. C’était l’occasion ou jamais de s’atteler au problème. Elle m’a fait réfléchir à l’image que je renvoie en me confrontant à l’avis de cinq inconnus. Et là, ça a été un choc. Les adjectifs employés pour me décrire n’avaient rien à voir avec ce que je pensais. Je crois que ça a fini de me convaincre qu’il fallait que j’arrête de m’autodénigrer et d’avoir peur en permanence. » 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.