Comment les fémi­nistes fran­çaises se mobi­lisent pour les femmes afghanes

Accusées tan­tôt de res­ter silen­cieuses face au sort des Afghanes, tan­tôt d’être des suc­cubes isla­mo­gau­chistes, les fémi­nistes fran­çaises se mobi­lisent, au creux de l’été, pour plai­der la cause des femmes afghanes encer­clées par les tali­bans. Voire, pour cer­taines d’entre elles, orga­ni­ser des éva­cua­tions de mili­tantes des droits des femmes à dis­tance, main dans la main avec l’ambassade de France.

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Le 15 août, le jour­na­liste Lotfullah Najafizada
publie sur Twitter le cli­ché d'un homme recou­vrant
de pein­ture le visage d'une femme sur une publi­ci­té, à Kaboul.
Elle fera le tour du monde. © Capture d'écran Twitter

D’un côté, la tri­bune mal ren­sei­gnée de l’essayiste Rachel Khan publiée dimanche 22 août dans le Journal du dimanche et conspuant un soi-​disant « silence » des « néo­fé­mi­nistes » au sujet du sort des femmes afghanes depuis la prise de Kaboul par les tali­bans, le 15 août. Toute honte bue, l’autrice n’hésite pas à affir­mer même que « cer­taines [néo­fé­mi­nistes] se réjouissent de [leur] arri­vée » (!). De l’autre, des mili­tantes qui se démènent pour sau­ver la vie de ces mêmes Afghanes. « Trente-​sept mili­tantes afghanes et les enfants de cer­taines d'entre elles ont été exfil­trées en France grâce à notre tra­vail depuis le 15 août, souffle Anaïs Leleux. C’est une goutte d’eau, mais nous fai­sons au mieux. » La fon­da­trice de Pourvoir fémi­niste n’a pas beau­coup dor­mi depuis la prise de Kaboul par les tali­bans. Depuis Paris, cette mili­tante fami­lière des milieux asso­cia­tifs de réfugié·es a rapi­de­ment déci­dé d’agir. Elle pro­pose la force de frappe de Pourvoir fémi­niste à des connais­sances afghanes à Kaboul ain­si qu'à Reza Jafari, pré­sident de l’association Enfants d’Afghanistan et per­son­na­li­té forte de la com­mu­nau­té afghane exi­lée en France. « En tout, nos cama­rades et Reza Jafari ont consti­tué une liste de 82 noms de femmes par­ti­cu­liè­re­ment en dan­ger avec le retour des tali­bans pour que nous aidions à leur éva­cua­tion grâce à nos contacts avec l’ambassade de France, explique la jeune femme. Il s’agit de mili­tantes des droits des femmes, filles et mino­ri­tés de genre, actrices asso­cia­tives, uni­ver­si­taires ou direc­trices d’école qui sont désor­mais les pre­mières cibles de la ven­geance des tali­bans en rai­son des com­bats qu’elles mènent. » Le mili­tant asso­cia­tif pose une exi­gence à l’égard de cette aide d’urgence : ne deman­der, pour l’heure, que l’évacuation des femmes et per­sonnes LGBTQI+, sans leur conjoint, afin de parer au plus pres­sé et empê­cher les assassinats.

Anaïs Leleux se rap­proche alors de la cel­lule de crise du minis­tère des Affaires étran­gères et de l’ambassade fran­çaise à Kaboul pour leur trans­mettre les noms de ces femmes en dan­ger et orga­ni­ser avec eux leur exfil­tra­tion. Pour don­ner du poids à sa requête devant les auto­ri­tés fran­çaises, Pourvoir fémi­niste lance, le 17 août, la péti­tion « Pour que la France accueille les défen­seuses des droits des femmes afghanes  » afin d’asseoir un sou­tien citoyen, adres­sé au pré­sident Emmanuel Macron. L’argument mis en avant tient en ces lignes : « Dans un com­mu­ni­qué en date du 15 août, le ministre des Affaires étran­gères s’est enga­gé à assu­rer la pro­tec­tion des “per­son­na­li­tés de la socié­té civile afghane, défen­seurs des droits, artistes et jour­na­listes par­ti­cu­liè­re­ment mena­cés”. Comment expli­quer que le mot “femmes” n’apparaisse pas une seule fois dans ce texte ? Femmes et enfants repré­sentent pour­tant d’après l’ONU 80 % des per­sonnes fuyant l’avancée des tali­bans. » Avec 91 000 signa­tures à ce jour, dif­fi­cile pour le pou­voir fran­çais de faire la sourde-​oreille à ce plai­doyer, d’autant que depuis le pas­sage de Marlène Schiappa au minis­tère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, la France reven­dique s’inscrire dans une « diplo­ma­tie fémi­niste ». À l’instant où nous par­lons donc, l’assemblage com­mu­nau­té afghane en France, Pourvoir fémi­niste et Affaires étran­gères, tente encore d’exfiltrer au compte-​gouttes 46 mili­tantes afghanes pour les droits des femmes avant que les portes du pays ne se referment, le 31 août, selon l'accord entre Américains et tali­bans. Ce 25 août, la France avan­çait le chiffre de 2 000 per­sonnes éva­cuées sur le ter­ri­toire fran­çais au total en une semaine.

Revêtir une bur­qa pour fuir

« C’est dif­fi­cile pour Reza et nous de dire à ces femmes en leur expli­quant qu’elles doivent par­tir sans leur mari, mais c’est pour elles le seul moyen de par­tir, tant la situa­tion à l’aéroport est instable, sou­ligne Anaïs Leleux. Nous les accom­pa­gne­rons dans un second temps dans leurs démarches de regrou­pe­ment fami­lial. » Actuellement, l’armée amé­ri­caine contrôle encore l’aéroport de Kaboul où s’est replié le quar­tier géné­ral de l’ambassade fran­çaise – qui orga­nise les éva­cua­tions des per­sonnes dési­gnées prio­ri­taires (Français·es, per­son­nels afghans au ser­vice de la France et donc, des per­sonnes à pro­té­ger en urgence). Autour de l’aéroport, des sol­dats de l’armée du pou­voir afghan en fuite consti­tuent les der­niers rem­parts à l’armée tali­bane qui a pris posi­tion tout autour. Anaïs Leleux sou­ligne qu’à ce stade les femmes afghanes que l’on cherche à éva­cuer tentent de se pro­cu­rer, à prix d’or sur le mar­ché noir, des bur­qas pour trom­per la vigi­lance des tali­bans. « Beaucoup d’entre elles ont la ving­taine, observe Anaïs Leleux. Certaines plus âgées, qui ont côtoyé la mort de très près depuis 2001, font le choix de res­ter, déter­mi­nées à conti­nuer à œuvrer sur place mal­gré le danger. »

Alors que Pourvoir fémi­niste a ciblé, par prag­ma­tisme au vu de la situa­tion cri­tique, sa requête sur l’accueil de réfu­giées afghanes direc­te­ment mena­cées, un autre col­lec­tif fran­çais mis sur pied juste après la prise de Kaboul, le 15 août, a lui choi­si d’exiger un « accueil incon­di­tion­nel des femmes afghanes ET leurs proches », éga­le­ment au tra­vers d’une péti­tion sur Change.org. Il s’agit d’Urgence Afghanes, lan­cée par deux amies, Nadia Meziane et Marie Bardiaux-​Vaïente, res­pec­ti­ve­ment assis­tante d’élèves en situa­tion de han­di­cap et autrice de bandes des­si­nées. Les deux femmes ont der­rière elles de longues années d’activisme, qu’il s’agisse de lutte contre l’antisémitisme ou pour l’abolition uni­ver­selle de la peine de mort. « Nous avons déci­dé de réagir face à la gra­vi­té de la situa­tion en Afghanistan, mais aus­si pour por­ter une autre voix que celle du pré­sident Macron qui a tenu à ouvrir le débat [lors de son allo­cu­tion en réac­tion à la prise de Kaboul le 16 août, ndlr] sur des “flux migra­toires régu­liers impor­tants” », pré­cise Nadia Meziane.

Union sacrée féministe

La péti­tion aux 6 000 signa­tures affiche d’emblée une sorte d’union sacrée entre fémi­nistes de toute obé­dience en faveur du secours à appor­ter à toutes les Afghanes. « Nous, fémi­nistes et femmes de tous les genres, de toutes les diver­gences, de toutes les écoles, de toutes les sphères sociales et poli­tiques, affirme-​t-​elle en pré­am­bule, nous déci­dons aujourd’hui d’enterrer la hache de guerre et la géo­po­li­tique et de faire front dans un seul objec­tif : la vie et la liber­té pour les Afghanes, l’ouverture de nos fron­tières et l’accueil incon­di­tion­nel de nos sœurs et de leurs familles. » Un pied de nez aux contemp­teurs du mou­ve­ment fémi­niste qui adorent pen­ser que les mili­tantes uni­ver­sa­listes et inter­sec­tion­nelles sont inca­pables de s’entendre.

Grâce à leurs contacts, les deux amies par­viennent à faire signer leur plai­doyer à l’autrice Virgine Despentes, qui entraîne avec elle d’autres per­son­na­li­tés publiques : la réa­li­sa­trice Agnès Jaoui, la jour­na­liste Giulia Foïs, l’essayiste Paul B. Preciado… Toutes et tous sont convaincu·es de l’importance de se battre pour l’ensemble des femmes afghanes qui sou­haitent fuir les tali­bans et d’inclure leurs familles. De quoi faire bon­dir une opi­nion qui se droi­tise de plus en plus. Nadia Meziane assure à Causette rece­voir sur les réseaux sociaux des mes­sages d’insultes de la part de mili­tants d’extrême droite (le fameux « islamo-​gauchisme », elle qui ins­crit son fémi­nisme dans l’universalisme), mais reste droite dans ses bottes. « De quel droit pourrait-​on faire le tri entre celles et ceux qui méritent l’asile face aux tali­bans et les autres ? » En paral­lèle, Urgence Afghanes s’est consti­tué un groupe d’échanges sur Facebook, dans lequel sont pla­ni­fiées les mani­fes­ta­tions de sou­tien au peuple afghan.

Des orga­ni­sa­tions fémi­nistes ont ain­si lan­cé un appel à mani­fes­ter en sou­tien aux Afghanes same­di 28 août à 14h30 devant le minis­tère des Affaires étran­gères à Paris. De son côté, Pourvoir fémi­niste orga­nise, le dimanche 5 sep­tembre, à la Cité fer­tile (Pantin, Seine–Saint-Denis) la jour­née mili­tante Les Enragé·es, au cours de laquelle seront invi­tées des femmes afghanes réfu­giées. Et tra­vaille actuel­le­ment avec la Fondation des femmes pour créer un pro­gramme d’accompagnement adap­té aux femmes qui sont en train de rejoindre nos fron­tières. Complémentaires, ces deux mou­ve­ments ne demandent qu’à être rejoints. Et devraient faire taire les cri­tiques de certain·es sur le pré­ten­du silence des fémi­nistes à l’égard des Afghanes.

Lire aus­si l Afghanistan : « On aban­donne les femmes et les filles aux mains meur­trières des talibans »

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