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Chantal Birman © Alain Kasanda

Tribune l « En Corps » pour la mater­ni­té des Lilas et toutes les autres, par Chantal Birman

En cette jour­née inter­na­tio­nale des sages-​femmes, Chantal Birman, figure de l'accouchement phy­sio­lo­gique, publie une tri­bune dans Causette. La sage-​femme fémi­niste y explique que der­rière le cas emblé­ma­tique de la menace de fer­me­ture de la mater­ni­té des Lilas où elle a exer­cé pen­dant 40 ans, c'est le sys­tème glo­bal des mater­ni­tés et la san­té des par­tu­rientes qui sont mis en dan­ger par la course à la rentabilité. 

Tribune

« En corps »

Un coup de fil de mes col­lègues me deman­dant « d’être avec elles » devant le Ministère de la Santé ven­dre­di 29 avril pour s’opposer à la énième menace de fer­me­ture de notre Maternité me trans­porte dans la rue. Dans le métro qui nous emmène, est prise la déci­sion que je fasse par­tie de la délé­ga­tion qui doit être reçue. Dans cette délé­ga­tion, j’ai la posi­tion de « l’historique » et il est donc déci­dé que je prenne la parole en der­nier. Mes col­lègues décrivent clai­re­ment ce que signi­fie au quo­ti­dien de tra­vailler, depuis main­te­nant dix ans, mal­gré les menaces de fer­me­ture récur­rentes. De pro­messes non tenues en espoirs sans cesse déçus. A tra­vers leurs mots on mesure le cou­rage qui leur a fal­lu, pour res­ter debout mal­gré les tsu­na­mis venus de l’intérieur comme de l’extérieur. Tous·tes disent : « C’est au cœur de notre his­toire qu’il fal­lait pui­ser la force de se remettre debout. Nous avons tou­jours su que les femmes nous sou­te­naient ; elles ont tou­jours été là. Voir à quel point elles ont besoin de nous est un moteur. Quel incroyable hon­neur que cette confiance renou­ve­lée chaque jour. »

Alors, oui, tous et toutes les professionnel·les de ce lieu ont conti­nué l’accompagnement magique qui rend les autres plus forts pour tou­jours. Elles ont oublié leur pré­sent plein d’angoisses, leur ave­nir incer­tain pour s’investir dans le soin sous toutes ses formes.

L’actuel maire des Lilas et son pré­dé­ces­seur ont tous deux beau­coup dénon­cé la res­pon­sa­bi­li­té des auto­ri­tés de l’époque à avoir refu­sé la recons­truc­tion de la Maternité des Lilas aux Lilas. Cette poli­tique d’attente, dite du pour­ris­se­ment de la situa­tion, (alors que le pro­jet pré­voyait un retour finan­cier à l’équilibre dans un lieu à l’architecture inno­vante), avait eu pour résul­tat une dépense finan­cière de rat­tra­page bud­gé­taire annuel, fina­le­ment plus dis­pen­dieuse qu’un enga­ge­ment pérenne aux côtés du personnel.

Être res­pon­sable c’est for­cé­ment être rede­vable. Ici, la res­pon­sa­bi­li­té auprès du contri­buable est entière !

Derrière le cas emblé­ma­tique des Lilas, un défi­cit struc­tu­rel des maternités

Pour ma part, je m’interroge sur ce dis­cours de retour à l’équilibre. Ayant par­cou­ru la France à plu­sieurs reprises ces 6 der­niers mois, j’ai ren­con­tré des pro­fes­sion­nels de san­té tra­vaillant en Maternité par­tout en France. Le constat du défi­cit struc­tu­rel des Maternités est géné­ral. Ce défi­cit est peu dépen­dant de l’adossement et du nombre de nais­sances. Le rap­port de la Cour des Comptes de 2015 pointe « le sous-​financement struc­tu­rel des mater­ni­tés, qui ne peuvent trou­ver un équi­libre qu’à par­tir de 1100 à 1 200 accou­che­ments par an, en rai­son d’une décon­nexion ancienne des tarifs et des coûts réels. Malgré une évo­lu­tion ten­dant à déve­lop­per un tarif spé­ci­fique lié à la prise en charge du nouveau-​né, il est per­mis de s’interroger sur l’adaptation de la tari­fi­ca­tion à l’activité (T2A) à ces éta­blis­se­ments » et d’ajouter : « Les éta­blis­se­ments qui ont une acti­vi­té exclu­sive d’obstétrique (mater­ni­té des Bluets, mater­ni­té des Lilas) ren­contrent des dif­fi­cul­tés sup­plé­men­taires, liées à leur vul­né­ra­bi­li­té face à toute réforme tari­faire ou de mise en confor­mi­té. Leur phi­lo­so­phie spé­ci­fique de prise en charge de la gros­sesse implique en outre un accom­pa­gne­ment ren­for­cé et des effec­tifs plus nom­breux. Confrontées à de grandes dif­fi­cul­tés finan­cières, ces struc­tures ne par­viennent pas à finan­cer les inves­tis­se­ments néces­saires à leur réno­va­tion in situ. »

Lire aus­si l La mater­ni­té des Lilas obtient la pro­lon­ga­tion de son habi­li­ta­tion à exercer

Une pra­tique peu inter­ven­tion­niste fra­gi­lise l’équilibre financier

Certes. En revanche, il me semble que ce défi­cit est moins impor­tant quand le nombre d’actes pra­ti­qués sur le corps des femmes est impor­tant. Le rap­port confirme : « Les mater­ni­tés qui atteignent l’équilibre ont géné­ra­le­ment, outre une grande taille, une acti­vi­té très tech­nique et/​ou très diver­si­fiée. » Ce qui veut dire qu’une pra­tique peu inter­ven­tion­niste fra­gi­lise l’équilibre finan­cier d’une struc­ture (par­ti­cu­liè­re­ment celle d’une Maternité comme les Lilas qui tente, autant que pos­sible, de res­pec­ter le rythme natu­rel de la femme.) Pour autant, le rap­port déjà cité rap­pelle que « du fait de la fer­me­ture de mater­ni­tés de niveau I, on voit ain­si se concen­trer les nais­sances dans les mater­ni­tés de niveaux II et III, au prix de dif­fi­cul­tés d’accès à ces der­niers éta­blis­se­ments pour les gros­sesses pathologiques. »

La fer­me­ture des mater­ni­tés de type I est donc un dan­ger à moyen et long terme sur le sys­tème glo­bal de prise en charge des nais­sances et de la maternité.

Sans doute faut-​il rap­pe­ler que la Maternité des Lilas est située dans le dépar­te­ment le plus pauvre, et au plus fort taux de fécon­di­té de France métro­po­li­taine (dû en par­tie à la forte pro­por­tion d’immigrés – 29% – et où la mor­ta­li­té infan­tile est l'une des plus éle­vées de France métro­po­li­taine (4,8 ‰ 2011–2013, alors qu'elle est en moyenne de 3,3 ‰ en France métro­po­li­taine). Le rap­port annon­çait ain­si « craindre que cer­tains éta­blis­se­ments, dans cer­tains ter­ri­toires – ter­ri­toires ruraux iso­lés ou ter­ri­toires urbains concen­trant des popu­la­tions défa­vo­ri­sées – ne s’en trouvent encore fra­gi­li­sés ». Cela risque d’être le cas en Seine-Saint-Denis.

De plus, la crise du COVID a mon­tré les dan­gers d’une telle poli­tique pour les pro­fes­sion­nels de san­té subis­sant de dif­fi­ciles condi­tions de tra­vail et des pres­sions admi­nis­tra­tives et poli­tiques. Les sage-​femmes se tournent vers des acti­vi­tés libé­rales ou des recon­ver­sions quand elles ne font pas de burnout.

Les pro­fes­sion­nels de la Maternité des Lilas ont été exem­plaires dans leur résis­tance au décou­ra­ge­ment et dans l’affirmation que le temps pas­sé avec les patient·es fai­sait par­tie inté­grante du soin. Ils se trouvent qu’en mater­ni­té (parce qu’il s’agit d’actes majo­ri­tai­re­ment phy­sio­lo­giques) ce temps est l’essentiel de l’expertise. Informations, chan­ge­ment de posi­tions, res­pi­ra­tions, mas­sages, encou­ra­ge­ments ver­baux, soins aux bébés, mises au sein, bains etc. : voi­là le cœur de notre travail.

Que dire d’un sys­tème de san­té qui offre lar­ge­ment déclen­che­ment, per­fu­sion et péri­du­rale mais ne peut garan­tir un accou­che­ment phy­sio­lo­gique accompagné ?

Que dire d’une socié­té qui valo­rise l’intervention plus ou moins muti­lante sur le corps des femmes et qui place l’arrivée d’un enfant du côté de la dette ? Pourquoi devoir payer, par les fer­me­tures des Maternités, le bon­heur des nais­sances « normales » !

Cette vio­lence faite aux mères doit cesser !

Faites de la Maternité des Lilas le sym­bole qu’elle est déjà et élevez-​là au rang de labo­ra­toire de l’humanité, c’est le moins qu’on lui doit.

Chantal Birman, sage-​femme ayant tra­vaillé 40 ans aux Lilas.

Lire aus­si l Chantal Birman : « Lorsqu’une femme accouche, elle ren­contre la vie et la mort, elle est Dieu, en quelque sorte »

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