j8a teakg78
© Melanie Wasser

Titiou Lecoq : « Nous sommes passé·es à une femme tuée tous les deux jours »

Pendant deux ans, j’ai recen­sé les femmes tuées par leur com­pa­gnon ou ex-​compagnon. Cette for­mule à ral­longe n’est pas un détail, elles sont très nom­breuses à avoir été tuées pré­ci­sé­ment parce qu’elles venaient de quit­ter celui qui les mal­trai­tait. En jan­vier, j’ai déci­dé d’arrêter ce tra­vail. Mais, esprit humain tor­du, fidé­li­té à des mortes, j’ai conser­vé les alertes Google qui me per­met­taient d’établir cette macabre liste. Je les par­cours encore tous les soirs. 
Depuis jan­vier, j’avais la très forte impres­sion que les sta­tis­tiques s’étaient alour­dies. Un mes­sage alar­mé d’une amie qui tra­vaille éga­le­ment sur le sujet me l’a confir­mé. Et puis des alertes sur les réseaux fémi­nistes ont ache­vé de me convaincre qu’il se pas­sait quelque chose. En un mois et demi, soit jusqu’à mi-​février, vingt-​cinq femmes ont été tuées en France. À titre de com­pa­rai­son, en 2017, pour deux mois pleins, jan­vier et février, elles étaient dix-​huit, et en 2018, seize. Presque dix femmes mortes de plus, une aug­men­ta­tion démentielle.

Pourquoi ça s’aggrave ?

C’est d’autant plus sur­pre­nant que les fémi­ni­cides sont tou­jours assez constants. Il y a des périodes de ­l’année plus dan­ge­reuses, comme la Saint-​Valentin, mais les fluc­tua­tions vont de dix à qua­torze femmes tuées par mois, d’où l’affirmation d’une femme tuée tous les trois jours. Or, depuis ce début d’année, nous sommes passé·es à une femme tuée tous les deux jours. 
Où a‑t-​on mer­dé ? Que s’est-il pas­sé pour que, alors qu’on a ten­té (et ce « on » signi­fie pour moi les fémi­nistes et les ­asso­cia­tions) de mettre en lumière ce phé­no­mène, il s’aggrave. Je tente une hypo­thèse. Et si c’était pré­ci­sé­ment la mise en avant du sujet qui l’avait aggra­vé ? Autrement dit : et si les femmes étaient plus nom­breuses à ten­ter de quit­ter leur conjoint violent ? Et si c’était là que rési­dait la véri­table cause de cette aug­men­ta­tion ? 
Pour moi qui ai, pen­dant deux ans, consa­cré de l’énergie à ten­ter de faire émer­ger le sujet dans le débat public, de sor­tir les gens de l’apathie, c’est une véri­table gifle. Je ne peux pas affir­mer que c’est la média­ti­sa­tion qui entraîne, certes indi­rec­te­ment, cette hausse des femmes mortes, mais c’est une hypo­thèse qui me paraît hau­te­ment pro­bable. Parce que par­ler de ce sujet dans les médias, à l’évidence, ne suf­fit pas. On ne doit jamais se conten­ter de dire à une vic­time « pars, quitte-​le ». Dans le cas d’un conjoint violent, la femme mul­ti­plie ses risques d’être tuée au moment où elle annonce la rup­ture. Il faut qu’elle soit en per­ma­nence accom­pa­gnée, qu’elle béné­fi­cie de mesures d’hébergement et de pro­tec­tion. 
Gulcin, 34 ans, quatre enfants, moni­trice d’auto-école, avait pris soin d’être accom­pa­gnée par un ami quand elle a été obli­gée de revoir son ex violent en jan­vier. Il l’a poi­gnar­dée à mort et a ten­té de tuer son ami. Elle avait dépo­sé cinq plaintes contre son ex et il n’a jamais été convo­qué. Nous avons une res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive. Porter le sujet des fémi­ni­cides dans les médias est évi­dem­ment indis­pen­sable, mais il ne faut pas faire peser la res­pon­sa­bi­li­té de l’action sur les femmes. C’est à la socié­té dans son ensemble, à la police, à la jus­tice, au gou­ver­ne­ment d’agir. Sans cette mobi­lisation et les moyens qui vont avec, on se contente de mettre ces femmes encore plus en danger.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.