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Capture d'écran de la performance de Corinne Masiero lors des César, le 12 mars sur Canal +.

Corinne Masiero : « Pourquoi quand un mec montre son zguègue, per­sonne ne dit rien et pour­quoi quand une meuf qui n’a pas 25 ans se met nue, ça dérange des élus ? »

Mise à jour lun­di 22 mars 2021 /​/​/​Le par­quet de Paris, via son pro­cu­reur Rémy Heitz, a annon­cé avoir clas­sé sans suite le signa­le­ment des par­le­men­taires. « Au regard de la démarche pour­sui­vie par l’intéressée, qui sou­hai­tait atti­rer l’attention du public sur les dif­fi­cul­tés actuelles ren­con­trées par les pro­fes­sion­nels du spec­tacle, une pour­suite serait inop­por­tune », a‑t-​il jus­ti­fié. Et de pré­ci­ser que la pour­suite serait « vouée de sur­croît à l’échec au regard de la juris­pru­dence récente de la Cour de cas­sa­tion », qui avait cas­sé en 2020 la condam­na­tion pour exhi­bi­tion sexuelle d'une Femen.
De son côté, le dépu­té Julien Aubert a lais­sé explo­ser sa colère sur Twitter. « La Justice sait être d’une célé­ri­té redou­table quand elle le veut. On retien­dra qu’on peut faire n’importe quoi à heure de grande écoute et pri­va­ti­ser un canal à par­tir du moment où c’est pour la « cause ». Masiero est nue, la loi aus­si ! » Peuchère.

Mardi 16 mars, neuf élu·es LR et membres du mou­ve­ment Osez la France ont adres­sé un signa­le­ment au pro­cu­reur de la République de Paris pour dénon­cer des faits « d'exhibition sexuelle » après la mise à nue de Corinne Masiero lors de la céré­mo­nie des César le 12 mars. Une attaque sexiste qui fait « à la fois rire et pleu­rer de honte pour eux » l'actrice.

Julien Aubert, dépu­té LR du Vaucluse a mobi­li­sé, le 16 mars, une poi­gnée d'élu·e dans une néo-​croisade. Signaler au pro­cu­reur de la République de Paris la per­for­mance poli­tique de l'actrice Corinne Masiero, qui s'est mise à nue lors de la soi­rée des César dif­fu­sée sur Canal + après avoir enle­vé une peau d'âne et une robe ensan­glan­tée comme Carrie (dénon­çant ain­si tout à la fois les récentes affaires d'inceste, le tabou des règles, le har­cè­le­ment) pour dénon­cer la fer­me­ture des théâtres et des ciné­mas, situa­tion qui plonge le monde de la culture dans une grave crise éco­no­mique. Ont co-​signé ce signa­le­ment Jacques Myard, dépu­té hono­raire des Yvelines que l'on connait pour ses prises de posi­tion anti-​avortement ou encore Valérie Boyer, média­tique séna­trice conser­va­trice des Bouches-​du-​Rhône – d'ailleurs, le docu­ment pré­fère par­ler de « séna­teur » à pro­pos de cette der­nière, ves­tige d'une France qui s'arc-boute contre la fémi­ni­sa­tion des noms de métier.

Le cour­rier que le dépu­té Aubert s'est empres­sé de dif­fu­ser sur Twitter rap­pelle à toutes fins utiles la loi au pro­cu­reur, c'est-à-dire que le délit d'exhibition sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Le dépu­té, qui a son propre mou­ve­ment poli­tique, Osez la France (dont les mots d'ordre sont sou­ve­rai­ne­té, gaul­lisme, répu­blique), tente aus­si de démon­trer que le geste poli­tique de Corinne Masiero consti­tue un outrage aux bonnes moeurs puisque, quand bien même Canal + a long­temps dif­fu­sé du por­no, la chaîne « enle­vait le haut et le bas à des horaires beau­coup plus tar­difs et sur­tout cryp­tés… » Voici ce que Corinne Masiero a à répondre à cette ini­tia­tive politique.

Causette : Quelle a été votre réac­tion quand vous avez appris que ces neuf par­le­men­taires avaient signa­lé votre per­for­mance à la jus­tice ?
Corinne Masiero :
Je ris en même temps que je pleure de honte pour eux de voir que se faire gar­diens d’une morale moye­na­geuse, c'est le seul moyen qu'ils ont trou­vé pour exis­ter média­ti­que­ment, alors que des élec­tions légis­la­tives se tien­dront en 2022. D’ailleurs, je serais curieuse de savoir : qu’est ce que ça a don­né, quand ils ont por­té plainte contre le cama­rade comé­dien qui avait fait la même chose aux Molières en 2015 ? (rires)

Personne n'a jugé bon de por­ter plainte lorsque, cette année-​là, l'auteur et comé­dien Sébastien Thiery, s'est plan­té nu comme un ver sur la scène des Molières devant la ministre de la culture de l'époque Fleur Pellerin pour dénon­cer la pré­ca­ri­té des auteur·trices vis-​à-​vis de l'assurance chô­mage.
C.M. :
Ah, ils ne l’ont pas fait ! Il fau­drait leur deman­der de le faire parce que c’est quand même scan­da­leux, de se mettre tout nu comme ça ! C'est vrai qu'on ne voit jamais de gens à poil à la télé­vi­sion, sur­tout pas sur Canal. Au ciné­ma non plus, ni au théâtre, c’est un milieu très prude. Moi-​même j’ai déjà joué nue dans des pièces, c’est vrai que je suis la seule au monde à faire ça. Et je com­prends qu’ils soient hor­ri­fiés de voir le corps abso­lu­ment déca­ti d’une femme de plus de 25 ans, avec les fesses qui tombent, les seins pas tout à fait symé­triques, des poils. Mea culpa, je ne suis pas épi­lée, ni des jambes, ni des ais­selles, ni du pubis. Désolée d’être une femme de 57 nue et laide.

C'est exac­te­ment la vio­lence des mots de Stéphane Tapie, fils de, qui s'est per­mis de don­ner son avis sur votre per­for­mance chez Cyril Hanouna et a expli­qué qu'en ce qui le concerne, il ne goû­tait pas de voir « un lai­de­ron » nu à l'écran. Vous attendiez-​vous à de telles réac­tions ?
C.M. :
Je ne sais pas qui est ce Monsieur, je connais un autre Tapie, mais il a eu des pro­blèmes avec le Crédit lyon­nais. Mais il fau­drait être conne pour ne pas s’attendre à de telles réac­tions vu la socié­té ultra patriar­cale dans laquelle nous vivons encore. On est encore en plein dedans, la preuve c’est qu’il y a encore des gon­zesses qui sont défor­mées du bulbe rachi­dien par ces dis­cours [Deux des signa­taires du signa­le­ment au pro­cu­reur de la République sur neuf sont des femmes, ndlr].
Pour tout vous dire, je pen­sais en fait que ça allait être pire. Qu'on allait me cou­per le micro, ou m'enjoindre à quit­ter la scène. Ma sur­prise, elle vient plu­tôt du fait que j'ai été inon­dée d'amour et de remer­cie­ments de toute part, du monde du spec­tacle mais pas que. On m'a dit : « Ton cul à l'écran, ça inter­pelle bien plus que tous les théâtres que nous occu­pons. » On m'a écrit depuis le Brésil, la Corée du Sud ou le Canada pour me dire que c'était vache­ment bien, d'avoir fait ce coup pour faire entendre notre détresse. Car par­tout dans le monde, la culture est à l'arrêt à cause de la crise sani­taire, les gens souffrent, et c'est ce que je vou­lais faire entendre.

Le pro­blème, c’est que vu les cris­pa­tions sur la forme, votre nudi­té, le fond du mes­sage est pas­sé à la trappe. En tout cas pour les des­ti­na­taires : le gou­ver­ne­ment.
C.M. :
Je ne suis pas du tout d'accord. Ils l’ont reçu en pleine gueule, mon mes­sage, le reste n’est que com­mu­ni­ca­tion. Mais ils ne vont pas dire « oh bah oui, c’est vrai, on est des méchants, on ne fait rien pour la culture. » Ce ne sont pas des gens qui prennent des déci­sions pour le bien du peuple.

En por­tant votre mes­sage pour la réou­ver­ture des lieux cultu­rels, vous avez mis en lumière le fait que l'irruption du nu fémi­nin non sexua­li­sé, uti­li­sé comme un outil poli­tique, dérange tout un pan de notre socié­té. On peut dire que vous avez fait d'une pierre deux coups ?
C.M. :
Oui, ces réac­tions démontrent qu'on ne se dépar­tit tou­jours pas du male gaze ! Une femme qui se montre nue sans sexua­li­ser son corps dérange encore. Pour tout vous dire, je ne savais même pas qu'un comé­dien avait fait à peu près la même chose en 2015, je l'ai appris ce matin. Mais parce qu'il s'agissait d'un homme, c'était pas­sé qua­si inaper­çu. Pourquoi quand c’est un mec qui montre son cul et son zguègue ça ne dérange pas, per­sonne ne dit rien, et pour­quoi quand c’est une meuf qui n’a pas 25 ans ça dérange des élus ? Bon, il faut noter que j’ai aus­si reçu le sou­tien de pas mal d’élus.

Ce corps nu qui véhi­cule des mes­sages, en l'occurrence « No culture, no future » et « Rend l'art, Jean », c'est une réfé­rence aux Femen ?
C.M. :
Evidemment. La pre­mière réfé­rence, c'est au mou­ve­ment de pro­tes­ta­tion des pro­fes­sion­nels de la culture belges « No culture, no future ». Mon copain Quentin Chaveriat a même reçu un PV Covid en octobre quand il est sor­ti dans la rue torse nu avec cette ins­crip­tion sur son corps. J’ai trou­vé ça vrai­ment pas mal.
Puis, oui, les Femen, que j’admire énor­mé­ment. Je n’ai pas d’abdo comme vous l’avez remar­qué donc je ne peux pas suivre leur for­ma­tion (rires) donc c'est ma façon de leur dire que je suis avec elles.
Enfin, me foutre à poil pour dénon­cer des trucs je l’ai déjà fait notam­ment quand on avait été occu­per la DRAC de Lille. C'est un clin d'oeil aux cama­rades inter­mit­tents qui étaient par­tis le matin même occu­per le théâtre du Nord.
L'idée que j'avais pour les César, c'est de mon­trer qu’on est vrai­ment à poil. Avec les habilleuses-​costumières qui m'ont aidée à me pré­pa­rer, on a conve­nu que n'enlever que le haut comme les Femen, ça ferait pour le coup petite joueuse et ce serait leur man­quer de res­pect. Donc on a déci­dé de le faire à fond. Enfin, j'ai vou­lu jouer à fond le cli­ché de la ch'ti pas très let­trée – j'ai d'ailleurs for­cé mon accent quand j'ai pris la parole – avec cette faute d'orthographe sur le « rend l'art » en n'écrivant pas le S, mais le pro­blème c'est que ça, pas grand monde ne l'a com­pris (rires).

Ça vous inquiète, qu’il puisse y avoir réel­le­ment une suite judi­ciaire à ce signa­le­ment ?
C.M. :
Une copine m'a rap­pe­lé à juste titre qu'une Femen avait déjà été condam­née pour exhi­bi­tion [L'arrêt a été fina­le­ment cas­sé par la cour de Cassation en mars 2020, ndlr], je vais donc me ren­sei­gner autour de moi pour voir si je fais appel à un avo­cat. En atten­dant, on conti­nue d’occuper les théâtres, dans l’inter-lutte tou­jours avec les gilets jaunes et les étu­diants qui sont en train de cre­ver, les ensei­gnants et les soi­gnants. On fait en sorte que ça bouge parce que le vieux monde dont font par­tie ces dépu­tés, on en veut plus. Donc has­ta la vic­to­ria y la vul­va siempre !

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